La méthanation biologique testée sur le site de méthanisation Energia Thiérache
Article paru dans le Bioénergie International n°98 de l’été 2025

Le pilote de méthanation Denobio chez Energia Thiérache, photo Enosis

Le château d’eau de la commune de Lesquielles – Saint-Germain où le célèbre peintre Henri Matisse a habité quelques mois et en a immortalisé le paysage, photo Frédéric Douard
La start-up toulousaine Enosis a inauguré le 20 mars 2025 son premier démonstrateur industriel Denobio, une installation pionnière positionnée chez un producteur de biométhane des Hauts-de-France, la société Energia Thiérache située à Lesquielles-Saint-Germain dans le département de l’Aisne, dans une région riche en parcs éoliens. Alimentée à partir de matières organiques presque exclusivement d’origines végétales, l’unité de méthanisation produit 475 Nm³/h de biogaz composé à 55 % en moyenne de biométhane. Ce projet de méthanation, c’est-à-dire ici de production de biométhane de synthèse à partir de CO₂ et d’hydrogène renouvelable, vise à tester la production supplémentaire de méthane à partir de la valorisation du CO₂ issu de la purification du biogaz produit par le site au lieu de le rejeter à l’atmosphère, une solution qui pourrait améliorer encore plus fortement le bilan carbone du biométhane produit.
La production du biométhane

David Batteux, associé d’Energia Thiérache, photo Frédéric Douard
La société Energia Thiérache a été fondée en 2018 par quatre agriculteurs en polyculture et production de bovins viande sur 1600 ha de terres agricoles : David Batteux, David Samain, Marc Egret et Philippe Dumur. Leurs objectifs par ce projet étaient de diversifier leurs activités, de baisser leurs charges d’engrais chimiques et de stabiliser des revenus sur le moyen terme.
Afin de réaliser une installation simple et profitable, au regard des biomasses disponibles, cette unité de méthanisation fonctionne principalement sur des bases végétales, d’origines agricole et agroindustrielle. Aucun effluent d’élevages n’est utilisé, ce qui a permis de limiter le besoin en infrastructures et de ne pas construire de bâtiment couvert, hormis les bureaux et les locaux techniques pompes et électricité.
La ration quotidienne est de 55 tonnes. Elle est composée de pulpes de betteraves, de CIVE d’hiver et d’été, d’ensilage d’herbe, de drêches de blé et de maïs, de terre de décoloration, de pommes de terre périmées, de frites non-conformes, de déchets de pommes, de glycérine, de liquides agroalimentaires et de jus de silos.

L’incorporateur chez Energia Thiérache, photo Frédéric Douard
Ayant finalement accès à 20 000 tonnes de biomasse par an, l’installation produit aujourd’hui 250 Nm³/h de biométhane même si au démarrage en 2020, le projet n’avait été dimensionné que pour 150 Nm³/h.

Agitateur Suma dans l’un des digesteurs, photo Frédéric Douard
Les infrastructures de digestion comptent une trémie d’incorporation de 90 m³ avec broyeur, un digesteur de 2000 m³, un post-digesteur de 2000 m³, une cuve de stockage de 7500 m³ isolée et avec gazomètre. La particularité du dispositif tel qu’il est utilisé aujourd’hui est que toutes les cuves sont chaudes, y compris, fait rarissime, la cuve de stockage ! Le digesteur fonctionne en mésophile entre 38 et 42°C, le post-digesteur en thermophile entre 46 et 52°C et le stockage entre 28 et 39°C, selon la période de l’année. Ceci est le résultat d’une modification du projet dimensionné au départ pour 150 Nm³/h et qui a été porté à 250 Nm³/h par modification des températures et par l’isolation du stockage, sans construction de nouvelle cuve.

Livraison de biodéchets chez Energia Thiérache, photo Frédéric Douard
Les intrants solides sont stockés sur 2000 m² de silos à plat, tandis que les liquides sont réceptionnés dans trois cuves aériennes de 80 m³ et que les produits visqueux et les jus de silos sont conservés dans une cuve enterrée et agitée de 140 m³.

Energia Thiérache et son stock de matières végétales, photo Frédéric Douard
Le biogaz est épuré dans une installation de filtration membranaire et le montant total des investissements de la partie production de biométhane par méthanisation est de 6,2 M€. Les installations fonctionnent avec un salarié et les astreintes sont assurées à 25 % par chaque associé. Le volume de digestat brut est de 17 500 m³ par an et il est épandu dans le cadre d’un plan sur 1800 ha.

Terre de décoloration, photo Frédéric Douard
La méthanation de bioCO₂
La méthanation consiste à combiner de l’hydrogène et du CO₂ dans des conditions de température et de pression précises pour obtenir du méthane.
CO₂ + 4 H₂ –> CH₄ + 2 H₂O

Conduite de CO₂ en provenance de l’épuration du biométhane, photo Frédéric Douard
L’intérêt du procédé serait de permettre une production complémentaire de méthane bas carbone par utilisation d’électricité décarbonée, dans les périodes où celle-ci est trop abondante pour le réseau, qu’elle soit d’origine renouvelable ou nucléaire. Or, pour stocker cette électricité excédentaire, lorsqu’elle est produite à des moments inopportuns, il existe aujourd’hui peu de solutions éprouvées. La solution la plus ancienne, la plus conséquente en termes de capacités, et la plus utilisée, est le pompage d’eau vers des réservoirs ou des barrages équipés de turbines, mais elle demande des investissements supplémentaires de très long terme pour lesquels l’économie actuelle manque encore de visibilité tant économique que politique.
La seconde option est le stockage chimique en batteries mais son coût financier et environnemental, ainsi que ses limites en termes de capacités, n’en font a priori pas une solution d’avenir à très grande échelle.

Connexion entre le module de purification du biométhane et celui de méthanation, photo Frédéric Douard
Une troisième solution consiste à transformer cette électricité en e-carburants par la voie de l’électrolyse de l’eau, en produisant de l’hydrogène avec l’électricité excédentaire. Cet hydrogène pourrait ensuite être utilisé soit brut, soit transformé en molécules plus lourdes, plus faciles à transporter comme des carburants d’aviation, ou plus universelles comme le méthane, pour des usages multiples et conventionnels. Or, pour faire des hydrocarbures, il faut du carbone, que l’on trouve très simplement dans des molécules comme le monoxyde ou de dioxyde de carbone, et si possible renouvelable. Or, toutes les unités de méthanisation qui injectent du biométhane produisent du CO₂ et pour l’instant celui-ci n’est quasiment pas récupéré. D’autres secteurs industriels ou agricoles comme ceux de la fermentation alcoolique, de la sidérurgie ou de la combustion produisent également de grandes quantités de CO ou de CO₂ fatal plus ou moins facile à isoler. Du monoxyde de carbone non fatal peut aussi être extrait par pyrolyse de déchets organiques, d’origine fossile ou pas.
La méthanation biologique

Colonne de séparation du CO₂, photo Frédéric Douard
Alors que le méthanation est connue depuis … 1897, découverte par deux chimistes français, Paul Sabatier et Jean-Baptiste Senderens, sous le nom de réaction de Sabatier, et qu’elle est très utilisée dans l’industrie des engrais azotés ou de la pétrochimie dans sa version catalytique, la technologie de méthanation biologique commence seulement à trouver sa place au sein de la filière des gaz verts sous l’impulsion de quelques grands industriels qui ont fait le pari d’une technologie moins complexe et plus facile à diffuser.
La méthanation biologique intervient en milieu anaérobie en présence d’H₂ et de CO₂ dissous en phase aqueuse et en présence de micro-organismes méthanogènes, dans des conditions très similaires à celles de la méthanisation, ce qui en fait une technologie assez facile à appréhender pour les actuels méthaniseurs. Ce travail se fait dans des plages de températures comprises entre 40 et 65°C et de pression inférieures à 10 bar. La quasi-totalité des projets de méthanation biologique en cours utilisent cette réaction qui pourrait permettre d’améliorer le rendement des unités de gaz renouvelable si toutes les bonnes conditions étaient réunies : coûts de l’hydrogène, vérification des rendements, droit à l’injection, tarifs de rachat…
Le principal enjeu technologique de la méthanation biologique réside dans la dissolution des gaz en phase liquide et notamment de celle de l’hydrogène qui est très peu soluble à ces températures (24 fois moins que le CO₂). La réaction doit donc être forcée par un réacteur dont l’encombrement et le coût doivent rester raisonnables.
Le réacteur développé par Enosis permettrait d’augmenter la production de méthane d’un site de méthanisation de plus de 50 % sans consommation supplémentaire de biomasse, et c’est tout l’objectif du pilote industriel installé chez Energia Thiérache, nommé Denobio, de vérifier ces attentes.
Le démonstrateur Denobio
Denobio est à la fois un outil d’industrialisation et une vitrine. L’installation a été conçue pour tester deux voies possibles : la méthanation du CO₂ biogénique rejeté par l’épurateur de l’unité de méthanisation, mais aussi la méthanation directe du biogaz produit par celle-ci. Pour Enosis, il s’agit de montrer les différentes possibilités d’intégration à un site de méthanisation, soit en complément de l’épurateur de biogaz, soit en substitution si les résultats sont convaincants. L’hydrogène indispensable au processus est ici fourni par la société Lhyfe, qui le produit sur un site distant en électrolysant de l’eau à partir d’électricité renouvelable. Un quai de livraison de l’hydrogène a été créé en dehors de l’enceinte de méthanisation et reçoit des conteneurs de 19 m³ contenant chacun 750 kg d’hydrogène à 340 bar.

Le poste de méthanation chez Energia Thiérache, photo Frédéric Douard
Le gaz produit par Denobio a bien sûr pour vocation à être injecté dans le réseau de gaz naturel. Et pour pouvoir vérifier parfaitement les quantité et qualité du méthane produit par ce dispositif, sans interaction avec la filière biométhane en place, un second poste d’injection GRDF a été mis en place, tout comme une seconde torchère, pour le temps de l’expérience, sachant que dans une installation commerciale, les deux sources de biométhane seraient réunies.
Le projet a aussi pour objectif d’optimiser les conditions et méthodes d’exploitation, en coopération avec les exploitants du site de méthanisation, et d’évaluer l’empreinte environnementale du procédé. Il inclut également un partenariat étroit avec GRDF pour tous les sujets relatifs au comptage et à l’injection dans le réseau du gaz produit par méthanation. Enfin, il comporte un volet scientifique qui associe Enosis au laboratoire TBI de l’INSA de Toulouse, partenaire historique d’Enosis. Ce volet porte notamment sur la modélisation avancée du procédé avec la réalisation d’un jumeau numérique.

Quai de raccordement des conteurs d’hydrogène, photo Frédéric Douard
Cette mise en service est un jalon important dans l’industrialisation du procédé de méthanation biologique conçu par Enosis. Ce pionnier français du recyclage du CO₂ en gaz et carburants renouvelables a mené plus de dix années de recherche et de développement technologique pour aboutir à la mise en service de la première installation de ce type en France.

Analyseur de biogaz portatif, photo Frédéric Douard
Contacts :
- Energia Thiérache : David Batteux – 06 15 36 49 68
- Méthanisation : www.ramery.fr
- Cuves béton : www.bio-dynamics.be
- Cuves intrants liquides : www.mip-nv.com/fr/
- Pont bascule : www.marechalle-pesage.fr
- Incorporation des solides : www.sa-legrand.fr
- Broyeur : www.vogelsang.info
- Agitateurs : www.peters-mixer.com/fr/ et www.suma.de/fr/
- Soupapes biogaz : www.baur-folien.de
- Débitmètre électromagnétique : www.krohne.company/fr/
- Épuration biogaz : www.prodeval.com
- Torchère biogaz : www.c-nox.de/fr/
- Torchère méthanation : www.ennox.at
- Analyseur biogaz : www.sewerin.com/fr/
- Injection biométhane : projet-methanisation.grdf.fr
- Méthanation : www.enosis-energies.com
- Fournisseur d’hydrogène renouvelable : fr.lhyfe.com
Frédéric Douard, en reportage à Lesquielles-Saint-Germain
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