Triple valorisation pour le biogaz du Haut-Pays d’Artois
Article paru dans le Bioénergie International n°41 de janvier-février 2016
La Sas Biogaz du Haut-Pays est située dans le village de Thiembronne, aux confins du Haut-Artois et du Boulonnais, une région aux plateaux calcaires largement entaillés de vallées étroites. L’altitude de la commune y varie entre 75 et 200 m. Située à l’ouest du département du Pas-de-Calais, cette région est balayée par les vents venant du littoral et c’est là un secteur très propice à l’énergie éolienne. Elle abrite d’ailleurs depuis 2008 autour de Fruges, à quelques km de Thiembronne, le plus grand parc éolien de France avec 70 machines de 2 MW chacune. Et ce territoire, qui est aussi celui de la célèbre bataille d’Azincourt dont les britanniques viennent de célébrer le 500ème anniversaire en 2015, devrait héberger très prochainement 30 nouvelles machines de 3 MW, portant la puissance totale du parc à 155 MWé. C’est dans ce contexte très « énergie renouvelable » que la famille Pruvost vient d’investir dans une unité de méthanisation agricole pour produire, tout comme les éoliennes voisines, de l’électricité écologique.
Le projet de méthanisation est né en 2010 dans l’exploitation agricole de Dominique Pruvost et de sa sœur Véronique Lefort, associés du GAEC du Bourguet. Une production laitière de 1,2 million de litres avec 130 vaches traites accompagne une production d’herbe, de blé, d’orge, de maïs grains et ensilage, et colza. Le projet a été pensé pour l’avenir de l’exploitation avec notamment l’arrivée de Gautier, le fils de Dominique dans l’exploitation depuis 2012. Et en pratique aujourd’hui, c’est Gautier qui fait tourner l’unité de méthanisation-cogénération, et séchage puisque c’est l’option qui a été retenue pour valoriser la chaleur dans le projet. Il passe ainsi 4 heures par jour dans l’unité, hors maintenance, travaux ou épandage : 2 heures pour l’alimentation des digesteurs et leur conduite et deux heures pour l’activité séchage. Son père et sa tante continuent quant à eux de s’occuper des productions agricoles. C’est clairement cette nouvelle activité qui a permis de créer le poste de travail de Gautier, ce qui n’était pas du tout garanti sans cela.
Le second élément qui a motivé le GAEC vers le projet de méthanisation, c’est la nécessaire mise aux normes des installations de stockage des effluents. Celle-ci était estimée à 400 000 €, et là, les associés se sont logiquement interpellés : « s’il faut dépenser 400 k€ pour préserver l’environnement, autant que ce soit productif ! ».
Mais pour en arriver à ce montage, à ces choix, il aura fallu quatre ans de réflexions, d’études, de visites d’installations en France et à l’étranger, pour définir les contours techniques et la dimension du projet. Ensuite, il y a eu les incontournables démarches administratives et un démarrage des travaux en mars 2014. Gautier a consacré personnellement un an de travail complet à la construction des installations, appuyé par des entreprises locales pour le terrassement et le génie civil, et par l’entreprise AES Dana pour la partie conception, suivi et gestion informatique des processus. Le 18 mars 2015, la production électrique était lancée, et trois mois après, le régime de croisière était atteint avec une production stabilisée de 250 kWé.
Les ressources fermentescibles
Les intrants disponibles sur l’exploitation sont des lisiers bovins pour 3500 tonnes et 100 tonnes de fumier pailleux par an. À ce stade du projet, les exploitants intègrent également 400 tonnes de produits extérieurs en provenance d’industries, de commerces ou de producteurs : des légumes avariés, des issues de silos, de l’herbe de betteraves et parfois des fruits d’importation abîmés comme des bananes.
Mais à terme, avec l’arrivée d’un second moteur, d’autres déchets seront également intégrés dans les digesteurs en provenance d’autres agriculteurs et de coopératives, par achat ou par échange contre du digestat ou de la paille.
Les investissements de méthanisation
Sur la base des intrants disponibles dès à présent mais aussi dans le futur proche, la société AES Dana a dimensionné des installations à même de produire au moins 500 kWé, même si pour la première année, la Sas n’a démarré qu’avec un seul cogénérateur de 250 kWé. Cette année de lancement devait en effet valider les options et roder l’ensemble des processus, avant l’arrivée d’un second moteur de la même puissance en avril 2016.
Le site de la méthanisation a été implanté sur une prairie de 1,25 ha qui jouxte l’élevage de manière à véhiculer automatiquement le lisier de la fosse de la stabulation vers les digesteurs par conduite enterrée : toutes les heures une pompe pousse ainsi ½ m³ de lisier vers le local des pompes qui les dirigent vers la cuve adéquate.
En plus des surfaces de cuves, 3000 m³ d’aires de circulation, de travail ou de stockage à l’air libre ont été goudronnés ou bétonnés. Deux bâtiments ont aussi été construits : un hangar fermé de 900 m² pour les bureaux et la partie prestations de séchage et stockage des produits à sécher et séchés, et un hangar non bardé de 400 m² pour le stockage des digestats concentrés.
La dominante lisier a bien entendu déterminé le choix de l’infiniment mélangé comme processus de méthanisation et ce sont trois cuves en béton de 2000 m³ environ chacune qui ont été construites par l’entreprise belge Biodynamics, située à moins de 150 km de Thiembronne. Et à la fois pour profiter du terrain en pente et pour tenir compte des fortes déperditions thermiques locales dues au vent, les porteurs du projet ont décidé d’enterrer partiellement les cuves du côté des vents dominants. Et avec le recul, ce fut une excellente idée car le maintient en température des deux digesteurs à 38-40°C ne consomme que 30 kW au maximum en hiver, et quasiment rien l’été, laissant disponible tout le reste de la chaleur pour de la valorisation.
Côté équipements de méthanisation on trouve un pont bascule Robbe, un incorporateur Fliegl, des mélangeurs Suma (3 par cuve), une désulfuration, une supervision AES Dana et un séparateur de phase est attendu pour ce début d’année 2016.
Notons enfin concernant la partie méthanisation que la Sas s’est attachée les services de la société Innolab basée à Gand, à 150 km de Thiembrone, pour ses analyses et son suivi biologique.
L’économie du projet
L’équilibre du projet de base a été calculé sur une production de 2 GWh d’électricité par une génératrice de 250 kWé, avec récupération de 2 GWh de chaleur.
Côté vente d’électricité, le prix du kWhé est actuellement à son maximum, 20,6 centimes car la Sas cumule les primes aux effluents et à l’efficacité énergétique.
Côté chaleur, nous l’évoquions au début de cet article, l’option prise pour sa valorisation est le séchage. La Sas a investi pour cela dans un séchoir mécanisé développé par la société Ar-Tekh basée dans les Côtes-d’Armor. Équipé d’un tapis de 40 m², il est aujourd’hui alimenté par une batterie de 200 kW à partir du premier moteur. Gautier y sèche à l’année et selon la saison, pour le GAEC et à façon, des céréales et des sous-produits agroalimentaires pour la nutrition animale.
Le séchoir a néanmoins dès le départ été dimensionné pour 500 kW, de manière à avoir la capacité de valoriser toute la chaleur résiduelle des deux moteurs. Et c’est tout un hangar qui a été équipé autour de cette activité à part entière avec une salle de séchage isolée et ventilée, une trémie de chargement et des zones de stockage des produits à sécher et secs.
Et la valorisation de la chaleur ne s’arrête pas là, puisque la Sas a créé un micro-réseau de chaleur de 350 ml qui alimente quatre maisons autour de la ferme, des maisons appartenant toutes à des membres de la famille. En hiver, le chauffage des habitations consomme jusque 50 kW.
La Sas avait calculé un retour sur investissement de 9 ans au départ avec un seul moteur. Avec l’arrivée du second moteur, elle espère pouvoir le faire passer en dessous à 7, voire moins si tout va bien.
La cogénération
Les équipements de purification du biogaz et de cogénération ont été fournis par la société Schnell Motoren. Fondé en 1992, le motoriste allemand a été pionnier des unités à double carburant et se développe maintenant avec ses solutions de cogénération basées sur des moteurs de renom, Scania et Liebherr. À ce titre, l’entreprise dispose déjà de 3500 unités de cogénération au biogaz en Europe, en fonctionnement dans des unités de méthanisation, des décharges, des stations d’épuration et des industries.
Les moteurs SCHNELL sont vendus en France depuis 2008, SCHNELL a déjà installé plus de 93 unités pour un total de 21MWé.
Caractéristiques du cogénérateur Schnell 250 kWé 6R20.1BO | |||
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Cylindrée | 11,7 litres | ||
Cylindres | 6 en ligne | ||
Régime | 1500 tours par min | ||
Générateur synchrone | Stamford HCG534C2 | ||
Puissance électrique | 250 kW | ||
Puissance thermique | 220 kW | ||
Rendement électrique (1) | 45,5 % | ||
Rendement thermique | 40 % | ||
Puissance calorifique | 549 kW | ||
Consommation de biogaz à 50% de CH4 | 110 m3/h | ||
Besoin en air de combustion | 771 M3/h | ||
Dégagement gazeux | 691 m3/h | ||
Emissions CO | < 1200 mg/m3 | ||
Emissions NOx | < 525 mg/m3 | ||
Emissions particules | < 10 mg/m3 | ||
Dimensions | 3120 x 1545 x 2150 mm | ||
Poids plein | 3300 kg |
(1) Le rendement électrique se base sur la puissance standard ISO en conditions normales de référence selon ISO 3046-1 dans le respect des tolérances correspondantes.
Pour les opérations de maintenance du moteur, en plus de la souscription d’un contrat d’entretien, la Sas peut se faire aider par le service de dépannage téléphonique mis en place par la société Schnell et peut solliciter l’aide des deux techniciens français que l’entreprise Schnell a basé dans la région.
La valorisation du digestat
Le plan d’épandage pour le projet s’établit sur 690 ha et sur trois exploitations. Mais la difficulté à Thiembronne, c’est le relief : 200 des 690 ha ont une pente supérieure à 7% et de fait cela ne permet pas l’épandage de liquide partout, dans le cadre de la réglementation ICPE. En cas de pentes supérieures à 7%, l’épandage des effluents liquide n’est pas possible à moins de 200 mètres des berges des cours d’eau et plans d’eau. Une partie des digestats devra donc être épandue plus loin, sur une trentaine d’ha situés à 20 km de l’unité. C’est pour cela qu’une partie des digestats sera concentrée au séparateur de phase et stockée dans le bâtiment couvert de 400 m², en attendant les périodes d’épandage.
Sinon, globalement, le recours au digestat devrait réduire les achats d’engrais chimiques d’un tiers sur les trois exploitations du plan d’épandage.
Contacts :
- Sas Biogaz du Haut-Pays : Gautier Pruvost – biogazduhautpays@gmail.com
- AES Dana, conception, suivi & maintenance : Claude Pruvot – +33 321 50 82 30 – claude.pruvot@aesdana.com – www.aesdana.com
- SCHNELL Motoren, cogénération : Bernhard Pfefferle, responsable France – +33 625 35 15 20 – b.pfefferle@schnellmotor.fr – www.schnellmotor.de
- Incorporateur : www.fliegl-dosiertechnik.de
- Agitateurs : www.suma.de
- Cuves béton : www.bio-dynamics.be
- Suivi biologique : www.innolab.be
- Séchoir : www.ar-tekh.fr
Frédéric Douard, en reportage à Thiembronne
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