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Clottes biogaz, la méthanisation est compatible avec des fermes à taille humaine

Article paru dans le Bioénergie International n°38 de août-septembre 2015

Bertrand Guérin, agriculteur-méthaniseur en Dordogne est vice-président de l'AAMF, photo Frédéric Douard

Bertrand Guérin, agriculteur-méthaniseur en Dordogne est vice-président de l’AAMF, photo F. Douard

Dans l’agriculture française, on s’est souvent laissé bercé par la doctrine du « produire plus pour gagner plus » sans toujours bien en discerner les limites et le cortège d’effets secondaires notamment celui de devoir investir toujours plus pour vendre toujours moins cher et au final pour parfois gagner moins. En ce qui concerne la méthanisation, le message ambiant est un peu du même ordre, ce qui présente aussi des limites économiques et éthiques.

Sur la question de l’approvisionnement en biomasse, que ce soit en général pour la biomasse sèche ou fermentescible, l’accroissement de la taille des projets n’a que rarement d’effet bénéfique sur les coûts d’approvisionnement, bien au contraire : plus le besoin est important, plus les coûts de transport et les aléas liés à la concurrence d’usage sont des obstacles à la rentabilité. Les effluents d’élevage représentent en France près de 80% du tonnage global de la biomasse fermentescible. Or, leur faible pouvoir méthanogène empêche de les transporter sur de longues distances. Les unités centralisées obligent à un premier transport pour le traitement et un deuxième transport pour le retour au sol. Ceci impacte très fortement la rentabilité des installations.

Sur la question du bien-être animal, l’augmentation de la productivité conduit à l’industrialisation des élevages et à la négation de la sensibilité et la souffrance animale. Dans le cas de la méthanisation, il semblerait ainsi très avantageux de disposer de déjections liquides concentrées en grande quantité, de manière à tout automatiser, dans des fermes rassemblant des milliers de bêtes enfermées à l’année. Mais la conséquence de cette politique indigne pour les animaux est que de plus en plus de consommateurs se détournent de la viande, ce qui contribue encore à amplifier la crise de l’élevage. Même la classe politique bouge sur le sujet puisque l’Assemblée Nationale française a officiellement reconnu aux animaux, le 28 janvier 2015, la qualité d’« êtres vivants doués de sensibilité ».

Elevage de Nojals et Clottes, photo Frédéric Douard

Elevage de Nojals et Clottes, sur paille, photo Frédéric Douard

Ensuite, sur la question des investissements, dans la même logique des élevages industriels qui risquent aujourd’hui de tuer une partie de l’agriculture française en l’obligeant à produire bon marché et bas de gamme, pour la méthanisation, on conseille également aux éleveurs d’investir gros et de prendre tous les risques. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la garantie de rembourser un investissement est liée aux garanties que l’on a sur la disponibilité et le coût des matières premières. Et plus on va investir gros, plus il va falloir trouver des garanties nombreuses et solides, alors que lorsque l’on ne compte que sur les ressources propres de son exploitation, le risque est minime.

En France, si le modèle de la méthanisation sur cultures énergétiques a été écarté d’emblée pour des raisons éthiques, la question de la pertinence du modèle unique des grosses unités n’a été pris en considération, ne serait-ce que dans les tarifs d’achat de l’énergie. Sur cette question, des négociations sont en cours depuis de mois devraient déboucher rapidement sur une revalorisation des tarifs d’achat pour les installations de moins de 500 kWé car à l’évidence de tous désormais, les hypothèses de coûts d’investissement et d’exploitation qui avaient été retenues pour définir les tarifs de 2011 (et a fortiori de 2006) avaient été sous-estimées, conduisant à des difficultés économiques importantes pour les projets.

Le hameau de Clottes à Nojals et Clottes en Dordogne, photo Frédéric Douard

Le hameau de Clottes à Nojals et Clottes en Dordogne, photo Frédéric Douard

Personne ne dit pour autant que les grosses unités ne sont pas viables, mais certains en dénoncent aujourd’hui les inconvénients. D’ailleurs, le manque de vigueur de leur développement ne serait-il pas une illustration de ces limites ? Face à cela, une demande pressante des fermes d’élevage françaises de taille moyenne existe et une offre pour une méthanisation autonome dont le pivot est le traitement des effluents fumiers et lisiers, sur une seule exploitation, émerge et commence à faire ses preuves : illustration de cette réflexion avec le projet Clottes Biogaz en Dordogne.

L’exploitation

Au sein de la Ferme de Clottes, deux sociétés sont intimement liées : la SAS Clottes Biogaz crée en 2009 pour construire et exploiter le méthaniseur ; elle compte 5 associés, les 3 frères Guérin, Bertrand, Patrice et Thierry, Dominique BOUSQUET qui gère une entreprise de collecte de déchets alimentant la SAS par contrat, et Jean Marie FAURE gérant d’Arcbiogaz constructeur de méthaniseurs de petite taille à Castelmoron-sur-Lot.

Avec 14 ha de noyers, l'EARL Guérin ne met pas tous ses oeufs ans le même panier, photo Frédéric Douard

Avec 14 ha de noyers, l’EARL Guérin ne met pas tous ses oeufs ans le même panier, photo F. Douard

L’EARL exploite 80 vaches laitières sur 95 ha. En 2010, avant le projet, l’assolement était réparti ainsi : 10 ha de luzerne, 3 de blé, 20 de maïs, 25 de prairies temporaires, 15 de prairies naturelles, 14 de noyers et 8 de châtaigniers. L’assolement de 2011, à partir du projet, a vu l’abandon de la culture du maïs, très gourmande en eau, au profit de la luzerne et de prairies temporaires supplémentaires.

Le dimensionnement du projet

Huit années de réflexions et de travail ont précédé la mise en service de l’unité de méthanisation. Les objectifs étaient nombreux :

Silo de rafles de maïs doux en provenance de l'industrie, photo Frédéric Douard

Silo de rafles de maïs doux en provenance de l’industrie, photo Frédéric Douard

  • diversifier l’activité laitière pour réduire l’impact des aléas du marché et améliorer les revenus,
  • réduire voire supprimer les achats d’énergie de chauffage,
  • limiter les achats d’engrais minéraux pour être autonome en fertilisants,
  • créer un emploi à temps plein supplémentaire,
  • réorienter le système fourrager du maïs vers l’herbe et la luzerne afin de réduire les achats de protéines (tourteaux), de supprimer l’irrigation et sa charge de travail,
  • de faciliter les épandages et de réduire les émissions de gaz à effet de serre (CO2, NH4, protoxyde d’azote).

De nombreuses visites à l’étranger et le soutien du bureau Aria Energies ont permis de définir la nature et la dimension du projet en 2009. Ce dimensionnement était de 150 kWé, ce qui permettait d’amortir ces nouveaux investissements avec la biomasse propre à l’exploitation, sans aucune prise de risque. En septembre 2009, les demandes d‘autorisations administratives était faites et la construction a commencé.

L'incorporateur PUMPE, photo Frédéric Douard

L’incorporateur Konrad PUMPE, photo Frédéric Douard

Cependant, les futurs exploitants souhaitant profiter de ressources extérieures à haut pouvoir méthanogène pour améliorer la rentabilité du projet, ont décidé d’augmenter la taille du projet à 250 kWé. De ce fait, le projet a été soumis à autorisation et à enquête publique de par l’incorporation d’un produit d’origine animale (des graisses) et de boues de STEP. Ces procédures ont duré un an et ont coûté 10 000 €. Ces approvisionnements extérieurs, limités à 35% du tonnage entrant dans le digesteur, représentent par contre 70% du potentiel méthanogène annuel et le projet a trouvé une dimension plus importante. La mise en service s’est faite en septembre 2011.

Aujourd’hui en 2015, les Guérin sont satisfaits de leur dimensionnement et tout va bien. Effectivement, il y a aujourd’hui en France encore peu de méthaniseurs donc peu de concurrence sur les biodéchets et leur choix semble avoir été judicieux jusqu’ici. Mais imaginons un instant que leur approvisionnement extérieur leur échappe et c’est 70% du biogaz qui disparaît, même si aujourd’hui le risque semble faible.

Vue de l'installation de Clottes Biogaz à Nojals & Clottes en Dordogne, photo Frédéric Douard

Vue de l’installation de Clottes Biogaz à Nojals & Clottes en Dordogne, photo Frédéric Douard

Si l’on regarde la situation dans des pays qui méthanisent depuis des décennies, l‘Allemagne bien sûr, mais avant elle le Danemark, la Suède, et plus récemment le Benelux, la Suisse, l’Italie du Nord, le Royaume-Uni, on assiste à une véritable guerre des prix sur ces matières, une situation qui fait inévitablement des victimes.

Donc plus la méthanisation se développera en France, plus il faudra être vigilent sur cette question de la garantie des quantités et du prix des biodéchets, la meilleure manière d’éviter la faillite pure et simple. Et la perspective la plus rassurante quand on arrivera à ce stade sera bien entendu de dimensionner les projets avec les biomasses dont on dispose en propre, et si l’on est trop éloigné de ses voisins paysans pour s’associer avec eux, le mieux sera l’autonomie sur la ferme. Et si cela semble un frein au développement, c’est plutôt rassurant car cela montre que la durabilité des projets est plutôt liée à des fermes telles qu’on les connaît aujourd’hui en France, plutôt à qu’à des usines à gaz fort couteuses et dont le contrôle échappe aux agriculteurs.

L’installation de Clottes

Le moteur de cogénération de la SAS Clottes Biogaz, photo Frédéric Douard

Le moteur de cogénération de la SAS Clottes Biogaz, photo Frédéric Douard

Réalisée sous maîtrise d’oeuvre Aria Energies, elle se compose d’un digesteur en infiniment mélangé, alimenté une fois par jour, d’une cuve à digestat avec récupération du biogaz et d’un module de cogénération préparé par la société allemande Elektro Hagl sur base MAN avec alternateur Leroy-Somer.

Les cuves ont été construites par le belge Biodynamics, une installation dont les frères Guérin sont très satisfaits. Par contre, pour ce qui est du motoriste, l’exploitant a trouvé très compliqué de travailler avec lui et a confié désormais la maintenance de la cogénération au groupe Fauché basé à Montauban à 1h30 de l’installation. Bertrand Guérin insiste sur l’importance d’avoir des interlocuteurs de proximité.

La production de biogaz est de 950 000 Nm³/ an avec 60% de méthane. La production d’électricité est de 2 GWh/an. La chaleur produite représente 2,55 GWh. Elle est valorisée dans le processus, les besoins de l’élevage laitier, le chauffage de 5 maisons du hameau de Clottes, et par le séchage de bois bûche et de digestat.

Séchage de bois de chauffage sous serre avec la chaleur de cogénération, photo Frédéric Douard

Séchage de bois de chauffage sous serre avec la chaleur de cogénération, photo Frédéric Douard

Les substrats internes, lisier et fumier pailleux, représentent 70 % des tonnages entrant dans le méthaniseur soit 6200 m³ de lisier et 800 tonnes de fumier. Les substrats externes proviennent de l’industrie légumière locale (du maïs doux principalement : 2000 tonnes par an) et de l’industrie fromagère (boues, graisses, sérum, déchets de fromage : 800 tonnes par an).

10 000 tonnes de digestat sont produites chaque année et épandues sur quatre exploitations après passage au séparateur de phase. La partie liquide est stockée en fosse géo-membrane de 6800 m³ avant épandage par système ombilical sans tonne et par tonne pour les parcelles éloignées. Une partie est séchée dans la serre afin d’obtenir un engrais déshydraté pour fertiliser les parcelles les plus éloignées.

Digestat séché prêt à l'épandage, photo Frédéric Douard

Digestat séché prêt à l’épandage, photo Frédéric Douard

En terme d’organisation du travail, aujourd’hui, c’est 1,5 emploi sur les 4 que compte la Ferme de Clottes qui est affecté au biogaz, avec un roulement des astreintes à tour de rôle, chacun étant totalement polyvalent. Cette création de poste a sensiblement renforcé l’exploitation en particulier l’élevage et la rend plus forte et plus flexible pour appréhender l’ensemble des enjeux actuels.

L’investissement prévisionnel était de 1250 k€ mais a été dépassé de 300 k€. Les recettes actuelles liées à la vente d’électricité se montent à 360 000 € par an sur une base de 19,5 centimes €/ kWh. Bertrand Guérin signale que pour être rentable, il faut maitriser au maximum l’investissement (ici 4 700€/kWé installé subventions déduites), et assurer un fonctionnement maximum de l’installation (8490 h au régime nominal en 2014).

Les deux digesteurs Bio-Dynamics de Clottes Biogaz, photo Frédéric Douard

Les deux digesteurs Bio-Dynamics de Clottes Biogaz, photo Frédéric Douard

Ensuite, la rentabilité globale sur l’exploitation vient aussi des complémentarités et des effets induits comme la réduction des achats d’engrais quitte à renoncer à certaines cultures ou le renforcement de l’équipe. Il faut également jouer au maximum la carte de la valorisation de la chaleur, comme ici avec le séchage de bois de chauffage, alors que souvent ce n’est pas réellement le cas dans les projets. Et pour ceux qui purifient et injectent, le biométhane carburant est une voie complémentaire.

Séchage de bois-énergie à la centrale de cogénération de Clottes Biogaz, photo Frédéric Douard

Séchage de bois-énergie à la centrale de cogénération de Clottes Biogaz, photo Frédéric Douard

Enfin, échanger avec ses collègues, agir ensemble comme ils le font au sein de l’Association de Agriculteurs Méthaniseurs de France, permet de se tenir informé, d’éviter des écueils, d’orienter les choix et de trouver des solutions comme cela se fait pour les autres activités agricoles, comme par exemple le service de remplacement. Grâce à tout cela, la méthanisation peut profiter durablement aussi aux petites exploitations à taille humaine, avec des animaux bien soignés comme c’est le cas à Clottes, avec une proximité avec son territoire… bref, la méthanisation bien pensée et optimisée peut constituer un atout fort pour les petites éleveurs, une perspective plutôt bienvenue en cette époque de mondialisation et de concurrence exacerbée où l’on pense parfois qu’il n’y a plus de solution !

Séparateur de phases Bauer pour le digestat, photo Frédéric Douard

Séparateur de phases Bauer pour le digestat, photo Frédéric Douard

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Frédéric Douard, en reportage à Nojals-et-Clottes


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