Biocarburants avancés, quel avenir dans les transports ?
L’IFPEN organisait une table ronde le 26 juin 2019 sur l’avenir des biocarburants de deuxième génération dits avancés, issus des déchets agricoles et résidus forestiers. Voici la synthèse de cette journée.
Le contexte réglementaire de la stratégie française
Anne-Florie Coron, Sous-Directrice de la sécurité d’approvisionnement et des nouveaux produits énergétiques, Direction générale de l’énergie et du climat (Ministère de la Transition écologique et solidaire)
Le contexte réglementaire français s’inscrit dans le cadre de la stratégie française pour l’énergie et le climat publiée début 2019. Ce cadre présente deux volets :
- la stratégie nationale bas carbone, qui vise la neutralité carbone à horizon 2050 et qui concerne tous les secteurs ;
- la Programmation Pluriannuelle de l’Energie qui fixe les objectifs à horizon 2023-2028 en matière d’efficacité énergétique, de sécurité d’approvisionnement et de développement des énergies renouvelables.
Dans ce cadre, décarboner le secteur des transports est un enjeu fondamental pour atteindre la neutralité carbone, ce qui passe par trois grands piliers : réduire la consommation, électrifier les usages et, lorsque le moteur thermique est incontournable, développer les biocarburants avancés et le bio GNV. Les biocarburants liquides ont tout leur sens dans le cadre du transport aérien. Cette solution est d’ailleurs discutée dans le cadre d’un partenariat pour la croissance verte qui réunit toutes les entreprises du secteur aérien et l’Etat pour le développement des biocarburants aéronautiques.
Deux projets de loi contribuent à mettre en place le cadre législatif énergétique :
- La Loi d’Orientation des Mobilités, en cours d’adoption, prévoit un cadre pour le développement des mobilités douces (vélo, transports en commun) ainsi qu’un soutien public aux unités de production de bio GNV. L’objectif : ne plus avoir de véhicules légers circulant à énergies fossiles à horizon 2040 ;
- La loi énergie-climat fixera des objectifs en matière de décarbonation, notamment la neutralité carbone à horizon 2050.
En ce qui concerne l’incorporation des biocarburants, des outils incitatifs existent (sous forme de taxe à l’incitation fixée chaque année dans la loi de finances) pour les transports terrestres, et un outil similaire devrait être proposé prochainement pour le transport aérien. L’objectif est de répondre aux objectifs de la directive REDII qui prévoit 3,5% de biocarburants avancés à horizon 2030.
La question de l’approvisionnement en biomasse
Patrice Mangin, Directeur I2E3 (Institut d’innovations en éco-matériaux, éco-produits et éco-énergies – Canada)
La question de l’approvisionnement en ressource a toute son importance. Cette question est fortement liée à l’acceptabilité sociétale des projets et à leur impact sur la biodiversité. En ce qui concerne cette dernière, la question est simple si l’on parle en termes de métrique (nombre d’individus recensés), mais devient plus complexe si l’on parle en termes de diversité des espèces. Or la modification des espèces présentes peut être due à de nombreux facteurs (modification de l’habitat, du climat, etc.).
Le projet Bioénergies La Tuque (BELT) a pour objectif de construire la première bio-raffinerie canadienne à partir de résidus de coupes forestières. Il représente 800 millions d’euros d’investissement, et vise à remplacer 5 à 7% des carburants fossiles utilisés pour les transports au Québec par des biocarburants avancés. L’objectif est de faire des carburants de type drop-in.
Parmi les parties prenantes consultées, BELT travaille notamment avec la communauté Atikamekw des Premières Nations, qui a une très bonne connaissance de la ressource. La sécurisation des approvisionnements sur 25 ans minimum est également clé pour une usine qui va produire pendant 40-50 ans.
La réglementation est un autre élément clé pour le développement des biocarburants avancés. Par exemple, en Amérique du Nord, les biocarburants avancés permettent d’obtenir des crédits carbone et à ces projets d’atteindre un équilibre financier. En revanche, sans législation solide, ces projets ne tiennent pas la route parce que l’investissement de départ en capital est trop important.
L’incitatif (ou mandat au Québec) est également un moyen de favoriser les biocarburants, en imposant une certaine part de biocarburants avancés dans les carburants fossiles. Cela crée le marché et met tous les producteurs sur un pied d’égalité.
On constate aujourd’hui une forte demande en biocarburants. Neste par exemple a installé des stations multi-carburants en Finlande et a constaté que le public était prêt à accepter un prix plus élevé pour des carburants avancés.
Les technologies françaises de biocarburants avancés sur le point d’entrer sur le marché
Jean-Christophe Viguié, responsable de programme biocarburants (IFPEN)
Dans le cadre de la décarbonation du secteur des transports, les biocarburants représentent une option de choix à plusieurs titres :
- Ils peuvent être déployés sans nécessiter de mise en place massive d’infrastructures nouvelles ;
- ils peuvent être utilisés dans les véhicules actuels car ils se mélangent souvent jusqu’à des teneurs élevées avec les carburants conventionnels ;
- ils peuvent être utilisés seuls ou en combinaison avec des options technologiques nouvelles comme l’hybridation ;
- et, enfin, ils représentent à court ou moyen terme la seule option technique pour décarboner certains secteurs tels que le transport aérien.
Biocarburants avancés et conventionnels sont deux options qui se complètent. Les biocarburants conventionnels sont déjà une réalité industrielle en France : ils sont incorporés de 7 à 8 % dans les carburants et représentent 25 000 emplois. En revanche, ils sont issus de matières premières pouvant entrer en concurrence avec un usage alimentaire (sucre de betterave, amidon de maïs, de blé ou huile de colza). C’est pour cela que dès les années 2000 d’importants travaux de R&D ont été lancés pour développer de nouvelles technologies pour la production de biocarburants avancés à partir de ressources lignocellulosiques. IFPEN s’est engagé pleinement dans ces travaux et a participé à deux projets majeurs en France :
- Futurol (démontrer la production de bioéthanol avancé, technologie validée sur plus de 10 biomasses différentes), et
- BioTfueL (démontrer la production de biogazole de synthèse et de biokérosène de synthèse homologué par l’ASTM pour être incorporé jusqu’à hauteur de 50% dans les réservoirs des aéronefs).
Il est important de développer ce type de projets en commun avec des industriels afin de bien comprendre leurs enjeux et leurs objectifs. Ces technologies permettront de produire des carburants avec une réduction des émissions de GES de 85 à 90 % par rapport à la référence fossile. Pour déployer ces technologies aujourd’hui à l’échelle industrielle, il est nécessaire de disposer d’un cadre réglementaire et il est souhaitable d’aider les premiers industriels qui vont se lancer ; il faut également un cadre fiscal dédié et stable pour les produits ; et enfin d’une réglementation de l’émission des véhicules qui prenne en compte l’ACV complète des véhicules et non pas les seules émissions de CO2au pot d’échappement.
Pour le biojet, le carburant n’étant aujourd’hui pas taxé, et sans objectif d’incorporation ni système fiscal dédié, il est difficile d’y inclure des biocarburants qui ont un bilan environnemental plus favorable que les fossiles mais restent plus onéreux.
La France a des atouts forts pour développer cette filière des biocarburants avancés, car elle dispose d’une industrie de production de biocarburants conventionnels, d’une industrie du raffinage, de ressources lignocellulosique importantes, et de technologies de production de biocarburants avancés. Les unités de production de biocarburants avancés pourraient s’intégrer soit à des unités de production de biocarburants conventionnels, soit à des raffineries de pétrole, de façon à trouver des synergies et réduire les investissements qui sont importants. Quant à la biomasse, l’enjeu en France n’est pas tant la quantité que la mobilisation. Enfin, les unités de production de biocarburants avancés sont également la porte d’entrée vers des bioraffineries : par exemple dans une unité de bio-éthanol avancé, on peut coproduire des sucres deuxième génération, qui seront la base des molécules plateforme pour des produits avancés. Des projets sont désormais en cours dans le monde (Inde, Est de l’Europe), pour développer de tels projets industriels, il faut 4 ou 5 ans, c’est aujourd’hui qu’il faut les amorcer. Ces unités permettront de créer des emplois industriels des emplois agricoles et sylvicoles et de décarboner les transports.
Enjeux et opportunités dans le secteur de l’aviation
Nicolas Jeuland, Responsable Prospective carburants bas carbone (Safran)
Le secteur aérien est actuellement au centre de beaucoup de discussions quant à son empreinte environnementale. Il y a déjà eu beaucoup d’évolutions en 50 ans, un aéronef actuel émet 80 % moins de GES par passager.km comparé aux premières générations. L’ensemble de l’industrie aéronautique travaille d’arrache-pied pour poursuivre cette réduction de l’empreinte environnementale de l’aviation et s’est fixé des objectifs ambitieux. Les carburants alternatifs durables, dont les biocarburants avancés, font clairement partie de la solution.
Le domaine aéronautique présente cependant un certain nombre de contraintes qu’il faut prendre en compte.
Tout d’abord, il convient de s’assurer que tout développement technologique d’énergie alternative permet de continuer à assurer la mission première de ce secteur, qui est le transport de voyageurs d’une manière sûre et efficace sur de longs trajets. Tout développement d’énergie alternative doit donc se faire dans cette optique de maintien d’un niveau optimal de sécurité, et de maintien des performances (rayon d’action, tenue à froid…)
A titre d’exemple, l’avion électrique à batteries n’existera pas avant très longtemps sur du moyen ou du long-courrier car, actuellement, même les meilleure batteries ne permettent pas d’effectuer ce type de trajet compte tenu de la densité énergétique de ces batteries et donc du poids embarqué.
La sécurité est un élément fondamental. Il n’est pas envisageable que le développement d’une énergie alternative se fasse au détriment du niveau de sécurité optimal des vols. C’est pour cela que les biocarburants de deuxième génération, les « drop-in », nous intéressent particulièrement, parce que leur contenu énergétique est très élevé et la compatibilité avec l’ensemble des aéronefs / aéroports est déjà garantie à des taux de mélange pouvant aller jusqu’à 50 %. Des filières de production de biocarburants avancés sont en effet d’ores et déjà certifiées au niveau international; ils peuvent donc être intégrés de façon sûre dans tous les avions du monde jusqu’à 50 %.
La principale difficulté de l’aéronautique réside principalement dans les vols internationaux :
- Cette notion d’international implique une coordination entre pays. Il est indispensable qu’un carburant jugé comme ayant un bénéfice environnemental dans un pays soit jugé de la même façon dans un autre pays. Cela se discute à un niveau international au sein de l’OACI. Cette organisation a permis de réelles avancées, telle que la mise en place de cadres internationaux comme le CORSIA, le seul organisme international qui permet à l’industrie aéronautique de compenser ses émissions ;
- Les carburants représentent 40 % des coûts opérationnels d’une compagnie aérienne. Il est donc important de prendre en compte dans les mécanismes mis en place pour développer ces biocarburants (actuellement encore 2 à 3 fois plus chers que les filières classiques) les aspects distorsions de concurrence au niveau local et d’éventuels effets négatifs liés par exemple à des stratégies d’achats de carburant particulières (stratégies dites de « tankering », par exemple faire le plein de l’aéronef pour plusieurs missions, ce qui a pour conséquence d’alourdir l’aéronef et d’augmenter les émissions, ou encore d’effectuer des escales dans les aéroports à bas coût de carburant).
La limite désormais est qu’il faut que ces carburants arrivent sur le marché dans des conditions économiques acceptables pour tous. Et pour cela, il va falloir un message fort de la part des pouvoirs publics afin notamment de donner aux industriels une vision sur le long terme (réglementation, critères de durabilité) qui lui permette d’investir dans les unités de production de biojet. Des mécanismes de soutien à la demande devront également sans doute être mis en place pour « lancer la machine ».
Le point de vue de Renault Trucks :
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