Cogénération bois de Felletin, la pionnière mal récompensée
Reportage exclusif paru dans le magazine Bioénergie International n°12 de novembre 2010
La cogénération, c’est la production simultanée de chaleur et d’électricité avec un minimum de perte d’énergie. Plus développée dans les pays de l’Europe du Nord qu’en France, elle est le plus souvent utilisée dans le secteur industriel ou dans certains établissements publics gros consommateurs ; les collectivités locales y ont recours moins fréquemment.
L’originalité de l’installation de Felletin, petite cité située en Limousin, réside dans l’utilisation de deux énergies : les déchets de bois et le gaz naturel, ce dernier étant appelé uniquement en appoint et secours. Le projet a émergé à l’occasion d’une réflexion sur la rénovation du chauffage des bâtiments municipaux, en prenant en compte le souhait de valoriser les déchets de bois produits en quantité par les scieries de Felletin et de ses alentours, mais aussi pour permettre l’arrivée du gaz naturel à Felletin. Le dimensionnement de l’installation, relativement modeste, a été conçu afin d’éviter des transports de bois combustibles sur des distances trop importantes et génératrices de pollutions.
L’installation comprend cinq éléments principaux
1- Une logistique d’approvisionnement comportant :
- Une arrivée des produits par des fosses de 120 m3 qui alimentent un broyeur. De là le bois calibré est acheminé vers le hangar de stockage avec possibilité d’acheminement direct vers la chaudière en cas de besoin.
- Un hangar de stockage mécanisé réalise l’homogénéisation du bois combustible. Ce dernier est ensuite repris automatiquement par un appareil d’extraction continu de type « gratteur »pour être déversé sur un ensemble de convoyeurs à bandes qui l’acheminent jusqu’à la chaudière.
2- Une chaudière Alstom d’une hauteur de 23 m qui brûle 9 tonnes d’écorces et de sciure à l’heure. Celle-ci fonctionne toute l’année, avec juste un mois d’arrêt technique en été, lorsque les besoins de chaleur sont au plus bas et sont alors couverts par la chaudière gaz de secours.
3- Une turbine à vapeur qui entraîne un alternateur produisant l’électricité vendue à EDF et dans une moindre mesure les besoins électriques des auxiliaires.
4- Un réseau de chaleur de 4 km de longueur desservant le Lycée des Métiers du Bâtiment (représentant la moitié de la consommation totale), les autres bâtiments scolaires (collège, écoles élémentaire et maternelle, l’Institut médico-éducatif), les bâtiments municipaux (mairie, salle polyvalente, gymnase,. . .), des habitats collectifs (HLM, maison de retraite) et une manufacture de tapisseries.
5- Une batterie d’aéroréfrigérants ayant pour fonction de refroidir l’eau du processus lorsqu’elle n’est pas utilisée par le réseau de chaleur.
Consommation et production
- Consommation de bois : 60.000 tonnes de produits connexes de scieries sont utilisées chaque année ce qui correspond à 200.000 m3 fournis principalement par Mallarini scieries situé à Felletin et par un GIE Bois-Energie regroupant la majorité des scieries situées dans un rayon de 60 km autour de Felletin.
- Production de chaleur : le réseau de chaleur distribue environ 14 000 MWh par an aux usagers locaux.
- Production d’électricité : 20 GWhé par an . Le rendement global de l’installation reste faible du fait que la plus grande part de l’énergie thermique n’est toujours pas utilisée alors que les bois des nombreuses scieries voisines pourraient être séchés sur une installation aussi économique que facile à réaliser sur le site de Felletin. Cette opération serait gagnante pour tous.
Les chiffres de l’installation | |
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Chaudière à bois | Production de vapeur surchauffée : 16,6 MW, 41 bars, 430˚C, 18 T/h. |
Turbine à vapeur | Production d’électricité : 3,5 MW, 6 000 Volts. |
Réseau de chaleur | Puissance thermique : 8,5 MW, de 70 à 110˚C. |
Chaudière de secours au gaz | Production d’eau chaude : 7,35 MW, 110˚C |
Montage juridique et financier
Aspect juridique: la société SOCCRAM a été désignée concessionnaire de service public pour une durée de 20 ans par
délibération du conseil municipal du 14 mai 1999. Elle a été chargée de construire la chaufferie et le réseau de chaleur, puis d’exploiter et d’entretenir l’ensemble des installations pendant la durée du contrat.
Aspect financier : Sur un montant global d’investissements de 14 millions € , seuls 2,765 millions € de subventions ont été apportés : 1,394 millions € de fonds européens par l’Etat, 762 000 € de l’Ademe, 457 000 € de la Région Limousin et 152 000 € du Conseil Général de la Creuse, le reste étant supporté par la concession. Cette réalisation innovante présente de nombreux intérêts pour la commune :
- sur le plan écologique, produire de l’électricité et de la chaleur à partir d’une énergie locale et renouvelable répondant ainsi au souci de préservation de l’environnement en évitant à la fois l’utilisation des énergies fossiles et le recours à l’énergie nucléaire.
- sur le plan économique, les avantages sont multiples :
- pour la filière bois, en aidant à résoudre le problème d’élimination des déchets de scieries,
- pour la région, en créant 10 emplois directs sur le site, pour la création d’activité, avec la production de chaleur à un prix stable pendant toute la durée du contrat de concession,
- La chaufferie de Felletin pourrait aussi contribuer à la valorisation des bois broyés lors de l’entretien des voies de circulation.
Une expérience pionnière bien mal récompensée de ses efforts
L’installation complète a été, après beaucoup d’efforts, mise en route en 2005. La très grande hétérogénéité des bois bruts disponibles a nécessité la création d’une installation performante d’homogénéisation des bois approvisionnés. Il faut souligner également que les cendres sont conditionnées de façon à être valorisées en totalité par épandage comme amendement agricole.
Cette installation, en exploitation continue effective depuis plus de 5 ans, est ainsi devenue la seule référence française de cogénération en milieu rural pour le compte d’une collectivité. Et elle constitue avec l’installation de la Poterne à Grenoble les deux seules références publiques en matière de cogénération bois en France. Elle a permis d’éviter l’émission de l’équivalent de 110.000 tonnes de CO2.
Malgré le fait de constituer une référence nationale, les gestionnaires de l’installation sont pourtant confrontés à un prix de rachat de l’électricité qui a été fixé en février 2005 pour 15 ans à 45 € ht/MWh en moyenne. On peut ainsi aisément imaginer les difficultés d’équilibre financier surtout lorsque l’on sait que les appels d’offres récents pour la production d’électricité par la biomasse, sont malgré des tarifs beaucoup plus avantageux que celui-ci, restés en majorité sans suite.
Pour rappel, le MWh électrique d’origine biomasse était racheté en moyenne à 86 €/MWhé pour les projets CRE 1, 128 €/MWh pour les projets CRE 2 et seront rachetés à environ 145 €/MWh pour les projets CRE 3, c’est-à-dire plus de trois fois le tarif accordé à Felletin dans le principe en 1999. Le tarif de Felletin est en fait basé sur le tarif d’achat fixé définitivement par l’arrêté du 16 avril 2002.
Aujourd’hui, le tarif d’obligation d’achat en vigueur est celui très récemment adopté et publié par arrêté du 28 décembre 2009, et qui se situe entre 125 et 160 €/MWhé pour des puissances électriques comprises entre 5 et 12 MWé. Malheureusement en l’état, ce tarif n’est pas applicable à Felletin, car doté d’une turbine d’une puissance électrique limitée à 3,5 MWé !
Cette évolution considérable du tarif démontre bien que le tarif défini pour Felletin en 2002 n’est absolument plus adapté. A côté de cela, pour les abonnés au réseau de chaleur, l’opération est très compétitive puisque la facture est de 875 € TTC / équivalent logement, ce qui est inférieur à la facture d’un chauffage individuel au gaz pour un équivalent logement qui est de 1210 € TTC et bien moins onéreux qu’au fioul (1378 € TTC) ou à l’électricité (1280 € TTC) — Données Amorce décembre 2007.
La question que l’on peut naturellement se poser aujourd’hui, c’est pourquoi ne pas réévaluer les tarifs pour les rares installations pionnières en France et sous contrat, alors qu’elles ont servi de part leur antériorité à poser les bases de la politique actuelle de cogénération biomasse, une politique qui profite aujourd’hui à des dizaines de projets qui n’ont plus qu’à bénéficier de ces acquis et d’un tarif cette fois plus réaliste.
La reconnaissance de la nation pourrait facilement passer par ce petit effort, si peu coûteux, puisque ne concernant que deux installations de taille modeste. Cela éviterait en tout cas que ces installations méritantes ne se transforment à force de difficultés en échecs alors que les objectifs du pays sont encore si loin d’être atteints en matière de couverture en électricité renouvelable.
Frédéric DOUARD, en reportage à Felletin
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