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La méthanisation : une alternative à l’incinération des déchets ménagers ?

Biodéchets, photo Vapo Oy

La gestion des déchets ménagers fait partie des chantiers fondamentaux pour la mise en place d’un mode de vie plus vertueux vis-à -vis de l’environnement, un des axes majeurs d’amélioration étant la valorisation énergétique, pour laquelle il existe deux méthodes principales : l’incinération, largement diffusée en France, et la méthanisation, plus marginale mais progressivement mise en avant pour ses avantages écologiques.

Les déchets qui nous intéressent ici sont les déchets ménagers et assimilés collectés par le service public1. En 2005, ils représentaient 36,1 millions de tonnes2. Il s’agit d’un levier important dans l’amélioration de la gestion de nos ordures car ces déchets sont généralement incinérés ou mis en décharge alors qu’ils pourraient être en grande partie recyclés et valorisés :

La France, pays de l’incinération

Le premier constat est l’importance de l’incinération : il s’agit du deuxième mode de traitement de ces déchets après le stockage. La France possède d’ailleurs le plus grand parc d’incinérateurs d’ordures ménagères de l’Union Européenne. Ce succès s’explique par la possibilité de valoriser les déchets brûlés, notamment dans le cadre du chauffage urbain. En 2005, environ 93% du tonnage incinéré était valorisé pour produire de l’électricité, de la chaleur, ou les deux à  la fois (cogénération).

Par rapport au stockage, l’incinération induit une réduction de l’émission des gaz à  effet de serre :

  • la valorisation énergétique permet des économies de combustible fossile.
  • le CO2 dégagé par l’incinération a un impact environ 20 fois plus faible sur le réchauffement climatique que le méthane issu de la décomposition des déchets en décharge.

Cependant, l’incinération n’est pas pour autant une solution idéale. Une réglementation stricte est nécessaire pour :

  • limiter la teneur en imbrûlés et en métaux lourds des mâchefers utilisés dans les travaux publics ;
  • limiter la présence de polluants et de toxiques dans les rejets gazeux. En particulier, une corrélation a été établie entre le fait de vivre à  proximité d’un incinérateur rejetant des dioxines et la probabilité de développer un cancer3.

Les premières normes européennes concernant les dioxines apparaissent en 1991. Elles ne seront réellement appliquées sur l’ensemble des sites français qu’en 2002. Outre un surcoût du traitement des déchets, les réglementations ont entraîné, entre 1998 et début 2002, la fermeture de 177 usines sur 300 car elles n’ont pas pu être mises aux normes…

Le principe de la méthanisation

La production industrielle de biogaz consiste à  stocker des déchets organiques dans une cuve cylindrique et hermétique (”digesteur” ou “méthaniseur”) dans laquelle ils sont soumis, en l’absence d’oxygène, à  l’action de bactéries. Un brassage de la matière organique, éventuellement un apport d’eau, mais surtout un chauffage, accélèrent la fermentation et la production de gaz qui dure environ deux semaines. Ce procédé peut générer jusqu’à  500 m3 de gaz par tonne de déchets.

Le biogaz produit est composé en moyenne de 60% de méthane. Après épuration, il peut être valorisé de diverses façons. Par exemple, une unité de méthanisation qui traite 15 000 tonnes/an de déchets permet (déduction faite des autoconsommations) :

  • de couvrir la consommation d’environ 100 bennes à  ordure ou de 60 bus urbains ;
  • d’assurer le chauffage de 700 maisons ou l’eau chaude sanitaire de 3 500 maisons ;
  • d’assurer par cogénération l’électricité spécifique de 1 300 logements, plus l’eau chaude pour 2 000 autres.

Le procédé produit également un “digestat” qui est ensuite transformé en compost par maturation aérobie. La qualité de ce compost est variable et dépend du type de déchets en entrée :

  • Si les déchets sont entièrement fermentescibles (déchets de cuisine, papiers, cartons, déchets verts), le compost sera de bonne qualité et pourra être utilisé dans les cultures alimentaires, non alimentaires, les espaces verts et les jardins.
  • Si les déchets contiennent des inertes (plastiques, métaux, verre, gravats, noyaux de fruits, etc.) ou des polluants, le compost produit devra servir au comblement d’anciennes décharges, à  la réhabilitation des sites pollués, voire être stocké en décharge.

Etat des lieux de la méthanisation en France et en Europe

La méthanisation existe déjà  en France sur de nombreux sites et pour différents types de déchets :

  • les boues de stations d’épuration : environ 80 sites de taille industrielle début 2004 ;
  • les effluents liquides industriels (papeteries, boissons et distilleries, agroalimentaire, agrochimie) : environ 70 sites de taille industrielle début 2004 ;
  • le lisier : uniquement de petites installations car les projets industriels se sont heurtés à  une forte opposition.

Cependant, les industriels ont recours à  la méthanisation pour rejeter des effluents conformes aux normes en vigueur et ne sont pas toujours intéressés par la valorisation énergétique du biogaz. De même, les agriculteurs souhaitent produire du compost mais leurs installations, de petite taille, ne permettent pas toujours une valorisation rentable du biogaz produit en faible quantité.

Concernant les déchets ménagers et assimilés, la France, pourtant pionnière, ne compte que trois sites en exploitation4 qui traitent 214 000 tonnes de déchets par an. En Europe, 78 unités industrielles étaient en service fin 2002 pour une capacité de 2,3 millions de tonnes par an.

La méthanisation, une alternative à  l’incinération ?

La méthanisation n’a pas vocation à  remplacer totalement l’incinération car elle ne peut pas traiter l’ensemble des déchets actuellement incinérés. En effet, certains matériaux inertes ne sont pas détruits par la méthanisation et entraînent un fonctionnement du procédé difficile à  contrôler, voire son arrêt spontané.

Néanmoins, le bilan écologique de la méthanisation est plus intéressant, notamment en terme de réduction des émissions de gaz à  effet de serre : bien que la valorisation du biogaz ne récupère que 2/3 de l’énergie issue de la combustion dans une usine d’incinération, la méthanisation respecte le cycle du carbone grâce au retour au sol des matières organiques sous forme de compost (en moyenne 35% du poids entrant).

L’aspect économique est également à  l’avantage de la méthanisation : pour de grandes unités, les coûts d’investissement sont inférieurs de 30% à  ceux de l’incinération et les coûts de traitement sont équivalents. De plus, les installations de méthanisation demandent peu d’espace, et les risques de nuisance olfactive sont maîtrisés. Elles peuvent donc être installées en milieu urbain, ce qui facilite la valorisation du biogaz pour le chauffage collectif.

Ceci est intéressant car dans un pays comme la France où l’électricité est essentiellement d’origine nucléaire, la production d’électricité pour valoriser le biogaz offre peu d’intérêt en terme de réduction des émissions de gaz à  effet de serre. Outre un meilleur rendement, la production de chaleur est écologiquement plus avantageuse, pour l’incinération comme pour la méthanisation. Ce choix de valorisation ne peut se faire que s’il existe un utilisateur potentiel de l’eau chaude à  proximité de l’installation. Ce critère doit être pris en compte en phase de projet.

La méthanisation a donc vocation à  complémenter le traitement par incinération, et à  le remplacer à  chaque fois que cela est possible. Bien que le mode de traitement des déchets se décide au cas par cas en fonction de critères locaux, il est possible de proposer une solution généralement optimale du traitement des déchets, pour un coût faible et un bilan écologique satisfaisant :

  • recyclage des matières non combustibles (verre, fer, aluminium), du papier et du carton ;
  • méthanisation de la partie fermentescible des déchets (qui représente 30% à  40% du tonnage de nos poubelles, hors papiers et cartons recyclables, d’après l’Ademe) avec valorisation énergétique et valorisation matière du compost ;
  • incinération du reste avec valorisation énergétique et valorisation matière du mâchefer ;
  • stockage uniquement des déchets toxiques, dangereux ou ne pouvant pas être intégrés aux traitements précédents.

Le casse-tête du tri des déchets

La combinaison de traitements exposée ci-dessus n’est réalisable que si elle fait suite à  un tri des déchets efficaces et peu coûteux. Par exemple, dans le cas d’une collecte au porte à  porte, le recyclage du papier et du carton perd de son intérêt économique (coût de la collecte) et écologique (consommation de carburant des bennes) par rapport à  une collecte par apport volontaire.

Concernant la méthanisation des ordures ménagères, l’utilisation du compost obtenu pour l’agriculture est souvent rendue impossible par la présence de produits toxiques (métaux lourds et dérivés chlorés notamment). Un choix doit donc être fait entre :

  • la collecte des déchets fermentescibles à  la source ;
  • le tri sur site associé à  une collecte au porte à  porte des toxiques : piles, détergents, médicaments, produits phytosanitaires, solvants, encres, peintures, etc.

A titre d’exemple, le procédé Valorga mis en place à  Amiens ne permet pas une bonne commercialisation du compost, pollué par des résidus divers ayant contaminé les déchets fermentescibles avant le tri réalisé sur site. Le même procédé, en Allemagne et aux Pays-Bas, mais avec un tri à  la source des déchets de jardin et de cuisine, produit un compost de très haute qualité, valorisable dans l’agriculture. En France, la collecte sélective des biodéchets est encore au stade de l’expérimentation locale.

Les perspectives de la méthanisation des ordures ménagères

Actuellement, une dizaine de projets d’installations de taille industrielle sont à  l’étude en France pour méthaniser les ordures ménagères. La filière devrait d’ailleurs obtenir un soutien accru de l’état, suite au rapport de l’intergroupe «Déchets» du Grenelle Environnement5, qui fixe comme objectifs le développement de la méthanisation, de la filière biogaz ainsi que de la collecte sélective des biodéchets. De plus, depuis 2006, de nouveaux tarifs de rachat ont doublé la valeur de l’électricité produite à  partir de biogaz6. Enfin, les installations de méthanisation peuvent trouver, sous certaines conditions, une nouvelle source de financement avec le lancement des projets domestiques de réduction des émissions de gaz à  effet de serre7, car la production de chaleur ou de carburant à  partir du biogaz entre dans le cadre de ce dispositif.

Le gisement français (à  moyen terme, plus de 10 millions de tonnes de déchets fermentescibles peuvent être récupérées chaque année à  partir des déchets ménagers et assimilés) n’est pour le moment exploité qu’à  hauteur de 2%. Cela donne des perspectives intéressantes à  une filière déjà  en forte croissance au niveau Européen.

Sia Conseil, mai 2008

Notes :
(1) Les ordures collectées par le service public comprennent :
– les ordures ménagères au sens large (24,82 Mt) : collecte sélective et ordures ménagères résiduelles (OMR),
– les déchets verts (0,96 Mt),
– les encombrants (0,91 Mt),
– les ordures mises en déchèterie (9,43 Mt).
(2) Soit 20% de l’ensemble des déchets produits en France par les ménages, les collectivités et les entreprises, hors agriculture et BTP.
(3) D’après une étude de l’institut de veille sanitaire
(4) L’usine d’Amiens, ouverte en 1988, traite actuellement 86 000 tonnes de déchets par an, l’usine de Varennes-Jarcy (91) traite 100 000 tonnes de déchets par an depuis 2002 et l’usine de Calais traite 28 000 tonnes depuis janvier 2007.
(5) Rapport de l’intergroupe Déchets du Grenelle Environnement
(6) Sur des durées de contrat de 15 ans, le tarif s’établit entre 7,5 et 9 centimes d’euro par kWh, selon la puissance de l’installation, auxquels s’ajoutent une prime d’efficacité énergétique allant jusqu’à  3 centimes d’euro par kWh, et une prime à  la méthanisation de 2 centimes d’euro par kWh.
(7) Voir l’article sur les projets domestiques

Sources :
– Ademe
– Sinoe (rubrique Documentation)
– Club Biogaz de l’ATEE (Association Technique Energie Environnement)
– Solagro (Initiatives pour l’énergie, l’environnement, l’agriculture)

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