Arrêtons de gaspiller les produits de fauche et de débroussaillement !
Article paru dans le Bioénergie International n°41 de janvier-février 2016
Dans les pays européens, depuis la disparition du pastoralisme sur l’espace public, l’entretien des bords de routes, des parcs et des espaces naturels est devenu une charge lourde pour la collectivité. Celle-ci, tout comme le secteur privé pour ses propres espaces, dépense des sommes colossales chaque année pour cet entretien. Les mesures de lutte contre les incendies de forêts par débroussaillement dans les régions à risques en sont l’illustration la plus flagrante. Et comble de stupidité du système, la quasi totalité de cette biomasse n’est pas utilisée alors qu’elle se trouve pratiquement récoltée et alors qu’elle a subi une préparation par broyage. C’est le cas des broussailles, herbes, roseaux et produits d’élagages qui sont ainsi gaspillés alors qu’ils pourraient aisément alimenter des chaufferies ou des unités de méthanisation. Et donc au final, non seulement les détenteurs de cette ressource n’en tirent aucun profit, bien au contraire, non seulement c’est un gaspillage d’énergie solaire stockée et donc de richesse renouvelable, mais en plus tout ce carbone laissé au sol retourne dans l’atmosphère sans avoir joué aucun rôle contre l’effet de serre, alors qu’il aurait pu efficacement se substituer à des combustibles fossiles.
Une idée déjà ancienne
L’idée de récolter la petite biomasse diffuse n’est pas nouvelle. Déjà au tout début des années 80 en France, la société CIMAF basée à Esternay dans la Marne avait mis au point une récolteuse sur chenilles, le Scorpion. Mais à l’époque, les esprits n’avaient pas encore pris confiance dans le retour d’un bois-énergie moderne tel qu’on le connaît aujourd’hui, et surtout les priorités politiques françaises du moment étaient à des années lumières de là, avec notamment un subventionnement massif du charbon et du nucléaire français. L’initiative s’est donc essoufflée au bout de 5 ans et il a fallu attendre 30 ans avant que le sujet ne revienne sérieusement sur la table.
Aujourd’hui, les motivations n’ont pas changé d’un iota, mais à la différence des années 80, deux choses importantes ont changé : d’une part la politique est désormais favorable au renouvelable, et d’autres part il existe des technologies éprouvées et capables de consommer ces produits récoltés pratiquement au sol avec beaucoup d’efficacité : les chaudières à biomasse pour les plus sèches et les méthaniseurs pour les plus humides.
Des intérêts multiples
Aujourd’hui, dans de nombreuses collectivités territoriales, l’idée commence à faire son chemin, à l’image des campagnes de récolte qui ont été réalisées en 2014 et en 2015 sur le site du Cap Blanc nez, propriété du Conservatoire du littoral gérée par le syndicat mixte Eden 62.
Jusque-là, le gestionnaire de cet espace naturel remarquable, finançait des campagnes de restauration de milieux ouverts sur le site par broyage de la végétation au sol. Le but de ces travaux est de limiter l’embroussaillement et à terme la disparition des pelouses calcicoles, habitat naturel caractéristique du site du Cap Blanc nez ayant justifié son classement en site Natura 2000 au titre de la directive européenne Habitat. Et le problème de la technique coûteuse du girobroyage au sol est que l’objectif biologique n’est pas atteint. Le broyage au sol, de part l’apport de matière organique qu’il génère régulièrement, contribue en effet à modifier la nature du sol, en l’enrichissant, favorisant le développement des ronciers et d’arbustes invasifs comme l’argousier, sans pour autant permettre une reconquête de l’espace par les pelouses calcicoles.
Pour résoudre cette équation, préalable indispensable à la mise en œuvre d’un pâturage ovin itinérant permettant d’envisager une restauration de pelouses calcicoles sur ces espaces embroussaillés, Eden 62 a dû trouver une solution technique adaptée, le tout dans une démarche également satisfaisante du point de vue de l’environnement global.
Deux campagnes d’essais
Deux campagnes de débroussaillement avec récolte ont donc été réalisées avec un triple objectif : mettre un frein à la dynamique d’embroussaillement du site du Cap Blanc nez, exporter la matière première et ne pas la gaspiller, en espérant un jour la valoriser financièrement pour financer tout ou partie de ces travaux.
Les intervenants
La programmation, l’organisation et le suivi technique des chantiers ont été réalisés par Xavier Douard, gestionnaire pour le compte du syndicat mixte Eden 62 des propriétés du Conservatoire du littoral sur le site du Cap Blanc nez (commune de Sangatte Blériot-Plage).
Les opérations ont été réalisées en septembre 2014 et en 2015 au Cap Blanc Nez par Mathieu Delamaide de l’entreprise DEE basée à Saint-Amand-les-Eaux et spécialisée en broyage forestier.
La valorisation de la biomasse collectée a été confiée à l’entreprise Easy Bois, basée à Saint-Omer. La matière a été valorisée en l’occurrence en chaufferies industrielles.
Les moyens mis en œuvre lors des deux campagnes :
- Broyeur exportateur de biomasse
- Tracteur suiveur avec benne agricole
- Zone de stockage
- Chargeur télescopique pour montage des tas et chargement dans les camions à fond mouvant
Les équipements de récolte testés :
- En 2014 : un porteur Galotrax 500 CV équipé du broyeur exportateur BR600 Plaisance.
- En 2015 : un broyeur exportateur Ahwi H600 sur prise de force tracteur Valtra de 360 CV avec poste inversé.
Les surfaces traitées
La surface réalisée chaque année a été d’environ 3 ha. Ces surfaces n’étaient pas uniformes en végétation : elles formaient une mosaïque de pelouses-ourlets colonisées par des argousiers, des prunelliers et des aubépines. De nombreux trous de bombes de la seconde guerre mondiale ont compliqué la progression des engins et de fait, le temps moyen d’exploitation d’un ha a été de 10 heures, un rendement qui devra être optimisé en conditions normales d‘exploitation.
La production
Le tonnage de biomasse récoltée a été de 67 tonnes en 2014 et de 73 tonnes en 2015, soit respectivement 22,3 et 24,3 tonnes à l’hectare avec une humidité moyenne de 35%, ce qui nous donne en énergie 68 et 74 MWh/ha.
L’efficacité des équipements
Les productivités des machines ont été quasiment équivalentes. Il ressort néanmoins qu’il est plus simple de travailler avec un chenillard qui passe partout et ne glisse pas sur ce type de chantier accidenté. Notons que le broyeur Ahwi existe aussi en version chenillard tout comme le Plaisance intervenu en 2014.
Des perspectives encourageantes
Le premier retour intéressant de ces chantiers est qu’il apparaît possible de récupérer plus de 70 MWh de biocombustible par ha de broussaille, une ressource qui pourra à terme contribuer au financement de ces travaux.
Le second enseignement important a été apporté par l’entreprise Easy Bois, qui à deux reprises, a trouvé un client pour le produit. Et ces clients industriels se sont dits intéressés par l’expérience dans le cadre de la politique de diversification de leurs approvisionnements.
Enfin, les essais ayant été techniquement concluants du côté exportation de la matière, l’expérience va déboucher en 2016 sur l’investissement d’un broyeur exportateur par l’entreprise DEE dans le cadre de l’AMI Dynamic Bois.
Contacts :
- Eden 62 : Xavier Douard – xavier.douard@eden62.fr – 06 85 15 48 10
- DEE, entreprise de travaux forestiers : Mathieu Delamaide – + 33 327 21 60 16
- Easy Bois, valorisation de la biomasse : Laurent Debarge – ldebarge@easy-bois.fr +33 650 07 11 21 – www.easy-bois.fr
- Récolteuse Plaisance : www.plaisance-equipements.com
- Récolteuse Ahwi en France : www.hantsch.fr
Frédéric Douard
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