La biomasse, première source d’énergie renouvelable de la ville d’Amiens
Article paru dans le Bioénergie International n°91 de juin 2024

Les deux chaufferies biomasse d’Amiens Nord, avec en fond la cathédrale et la Tour Perret, image Sofialex, constructeur de la chaufferie biomasse de 4 MW à Amiens Nord
Dans les Hauts-de-France circule encore, en langue picarde, la maxime populaire « Grin diseux, p’tiot feseux », qui signifie que celui qui parle le plus est parfois celui qui en fait le moins. On pourrait illustrer cette manière de se conduire avec le cas de la communauté amiénoise, capitale de l’ancienne Picardie, et qui, depuis près de 40 ans, agit dans le sens de la transition énergétique sans forcément passer son temps à en parler.
Bientôt 40 ans d’efforts de décarbonation avec la biomasse
Si peu de personnes le savent, et même en Picardie, Amiens est une ville pionnière en matière de transition énergétique et de bioénergie en particulier. En 1988, elle fut la première collectivité de France à réussir à méthaniser les biodéchets de ses concitoyens pour en faire du gaz vert, ce qui constitua la première référence du procédé Valorga. C’est aussi à Amiens, il y a dix ans déjà, dans le quartier d’Etouvie, que vit le jour l’une des premières chaufferies de France à mettre en pratique à la fois la condensation des fumées et l’hydro-accumulation sur réseau de chaleur biomasse. Plus récemment, la ville a engagé un grand programme d’extension et de décarbonation de ses réseaux de chaleur, avec dans une première phase la mise en place de deux chaudières à bois sur le réseau de chaleur Nord, puis dans la seconde phase l’installation d’une troisième chaufferie bois sur le réseau Sud. Ce programme a pour objectif de chauffer 26 800 équivalent logements soit le tiers des habitants d’Amiens (44 300 sur 133 000). Notons aussi qu’en 2023, Amiens Métropole a commandé 32 bus urbains fonctionnant au biométhane.

L’usine de méthanisation d’Amiens, en service depuis 1988, photo Frédéric Douard
Un montage juridique et financier original
Amiens Énergies est la première SEMOP de France, une Société d’Économie Mixte à Opération Unique, à voir le jour dans le domaine de l’énergie. À travers un capital de 8 M€ détenu à 51 % par ENGIE Solutions, 34 % par la Ville d’Amiens et 15 % par la Banque des Territoires, Amiens Énergies est délégataire du service public de la chaleur urbaine et assure depuis 2017 la gestion et l’extension de ce réseau exemplaire. Par ce montage qui lui donne la minorité de blocage au capital, la Ville d’Amiens est ainsi pleinement décisionnaire de ce service public énergétique vertueux dont la conception, la réalisation et l’exploitation sont assurées au quotidien par les équipes d’ENGIE Solutions.
Grâce au recours aux énergies renouvelables, et à la SEMOP qui préserve le contrôle de la collectivité, les abonnés au réseau de chaleur bénéficient d’un prix compétitif largement déconnecté des prix des énergies fossiles, en moyenne 6,5 c€/kWh en 2023. Ce projet à 140 M€ d’investissements sur une période de neuf ans, a été financé des subventions et par la Caisse d’Épargne des Hauts-de-France et par Unifergie, avec la participation d’Arkea Banque Entreprises et Institutionnels.

Pose en 2019 de la jonction entre les réseaux Nord et Sud dans le port d’Aval à Amiens, photo Amiens Energies
L’objectif décarbonation à 2025
La collectivité amiénoise, comme beaucoup d’autres désormais, vise la neutralité carbone en 2050, et pour cela, elle travaille par étapes. Et l’étape en cours concerne un paquet de travaux qui se déroulent depuis 2018 et jusqu’en 2025. Le contrat de concession, qui a vu la signature de son cinquième avenant le 17 mars 2023, court à ce stade jusqu’en 2041.

Les deux chaufferies biomasse d’Amiens Nord, photo Frédéric Douard
En 2017, au démarrage de ce grand projet de réseau de chaleur interconnecté, la ville d’Amiens disposait de trois réseaux de chaleur distincts totalisant une puissance installée de 39 MW, alimentée à 100 % en combustibles fossiles : le réseau Nord, alimenté par la chaufferie du Pigeonnier ; le réseau Sud, alimenté par la chaufferie de Rollin ; et le réseau de la ZAC Intercampus qui était en construction et dont l’alimentation est assurée par un système de pompe à chaleur sur nappe. Le programme validé en 2017 a pour objectif de créer un grand réseau en interconnectant les différents réseaux existants, dont celui de la cité scolaire fonctionnant également au gaz naturel. L’interconnexion permet de maximiser l’utilisation des énergies renouvelables et d’alimenter un plus grand nombre de bâtiments avec des moyens mutualisés. À l’échéance 2025, après des travaux à marche forcée qui ont démarré en 2018, les extensions auront nécessité la construction d’environ 75 km de nouveau réseau enterré, la création de trois chaufferies biomasse, deux au nord sur le même site et une au sud à venir, le tout raccordant au total 186 MW de puissance sur dix points d’injection, dont la chaufferie de l’hôpital par exemple.

La chaudière biomasse de 4 MW mise en service en novembre 2021, photo Frédéric Douard
La principale énergie de décarbonation de ce projet est le bois-énergie : il va à terme représenter les deux tiers des sources d’énergies renouvelables et de récupération. La première pièce du dispositif bois-énergie, a été la mise en service d’une chaudière de 8 MW en octobre 2019, fournie par la société Weiss France, dans une chaufferie toute neuve créée au bout du chemin de Vauvoix. Dans la foulée, une autre chaufferie a été construite sur le même site pour héberger une deuxième chaudière bois, de 4 MW et toujours fournie par Weiss France, ainsi que trois chaudières d’appoint et secours au gaz. Cette deuxième chaudière bois a été mise en service en novembre 2021 et l’ensemble de ces deux chaufferies « Nord » a été inauguré le 17 mars 2023. À ce stade, les équipements permettent une décarbonation du réseau à hauteur de 64 % avec le concours d’autres énergies renouvelables et de récupération dont nous parlerons juste après.
Des chaudières biomasse de dernière génération
Les chaudières biomasse sont utilisées en seconde base sur le réseau, juste derrière la chaleur récupérée sur les eaux usées. Les eaux usées peuvent fournir à elles seules jusqu’à 15 MW mais avec de fortes variations, le débit de la source d’eau épuré valorisable variant en fonction de l’activité humaine, et avec une réactivité inexistante, cela restant de la chaleur fatale non pilotable. Cela signifie que les chaudières biomasse doivent être souples d’utilisation et doivent pouvoir moduler leur puissance en permanence. Elles peuvent être arrêtées en période estivale, en tout cas à ce stade de développement du réseau, car les besoins actuels en eau chaude sanitaire ne sont que de 6,5 MW. L’hiver, elles fonctionnent par contre en permanence, avec néanmoins de forts ralentis de nuit, les besoins du réseau pouvant alors être réduits à 20 MW. Ces valeurs devraient néanmoins évoluer avec les extensions prévues.

La chaudière biomasse de 8 MW mise en service en octobre 2019, photo Frédéric Douard
En termes de performances, ces chaudières affichent des rendements de plus de 90 % aux brides de l’échangeur. Elles ont aussi été équipées d’un économiseur qui récupère de la chaleur sensible sur les gaz de combustion.

Les filtres à manches garantissent à Amiens des émissions de poussières inférieurs à 30 mg/Nm³, photo Frédéric Douard
En termes d’émissions atmosphériques, les deux chaudières en place répondent toutes deux aux valeurs limites en d’oxyde d’azote, ici 300 mg/Nm³ à 6 % d’O₂, et ce sans dispositif de traitement, uniquement par leur niveau de technologie et par un recyclage efficace d’une partie variable des gaz de combustion. Pour cela, les fumées sont analysées en continu, ce qui permet de piloter le taux de recyclage des fumées, utile pour limiter la formation des NOx. Pour rappel, les oxydes d’azote se forment dans la zone la plus oxygénée de la chaudière, là où est injecté l’air primaire, principalement par oxydation de l’azote de l’air, et précisément juste au-dessus de la grille. C’est donc à ce niveau qu’il convient d’agir pour contrecarrer cette dynamique en mélangeant l’air comburant avec des gaz brûlés et donc pauvres en oxygène. L’apport stœchiométrique en oxygène, c’est-à-dire celui nécessaire à une combustion complète, est alors compensé avec l’air secondaire. Concernant les émissions de poussières, elles sont capturées en sortie de chaque chaudière par une double filtration cyclonique puis à manches textiles qui les ramène sous la barre des 30 mg/ Nm³ à 6 % d’O₂.
Signalons qu’en matière d’approvisionnement, la totalité du bois est collectée dans le département et les départements limitrophes, et qu’il s’agit d’un mélange de plaquettes forestières, de chutes de scieries broyées et de broyat de bois d’emballages usagers mais non traités.
Un mix de quatre sources d’énergie renouvelable et de récupération
L’alimentation du réseau de chaleur interconnecté d’Amiens repose actuellement sur un mix énergétique diversifié d’énergies locales et renouvelables couvrant 64 % de ses besoins, le reste étant assuré par des chaufferies à gaz naturel.
Le bois assurait 34 % des besoins en 2022, soit 61 GWh
Avec les 12 MW de la chaufferie Nord et les 14 MW à venir sur le sud, la biomasse est et sera la principale énergie renouvelable du réseau avec une production de 126 GWh/an après 2025. Elle est la deuxième énergie appelée, mais est la première énergie pilotable.

Les fosses de livraison du bois de la chaudière de 8 MW à Amiens, photo Frédéric Douard
La chaleur des eaux usées assurait 22 % des besoins en 2022, soit 39 GWh
Le réseau bénéficie en première base de l’énergie récupérée dans les eaux usées de la station d’épuration d’Ambonne au nord-ouest de la ville. Cet équipement reçoit et traite 8,5 millions de m3 par an d’effluents urbains à des températures comprises entre 16 et 22 °C. La valorisation de ces flux énergétiques se fait grâce à cinq pompes à chaleur à ammoniaque qui produisent, avec un COP opérationnel de 3,25, une eau à 80 °C pour une puissance totale maximale de 15 MW. L’intégration d’une sixième pompe et l’interconnexion de la centrale PAC à la station d’épuration traitant les eaux de la zone industrielle amiénoise est prévue dans le dernier avenant. Cette évolution permettra ainsi de maximiser la production annuelle de cette centrale et rendra cette énergie mieux pilotable grâce à un débit d’eau épuré plus important et plus stable.
Le biométhane assurait 7,5 % des besoins en 2022, soit 14 GWh
À Amiens, le réseau de chaleur ne valorise pas directement le biogaz produit à son usine de méthanisation, celui-ci étant déjà depuis plus de 30 ans valorisé en cogénération dans la Zone Industrielle de Longpré, au Nord-Ouest de la ville. Le biométhane intervient en pointes et en substitution du méthane fossile dans la chaufferie de Vauvoix, via le réseau public de gaz, et par le biais des garanties d’origine.
La géothermie assurait 0,5 % des besoins en 2022, soit 1 GWh
La géothermie repose sur la valorisation de l’énergie contenue dans les nappes phréatiques par la mise en place de pompes à chaleur. À Amiens, la géothermie alimente les zones Intercampus en chaud et froid, et la zone Gare la Vallée en froid.
72 % d’énergies renouvelables et de récupération après 2025
Le 17 mars 2023, à l’occasion de l’inauguration de la chaufferie de Vauvoix au Nord, la collectivité et Amiens Energies ont signé un avenant au contrat d’exploitation, le cinquième, et qui va permettre de porter le taux de couverture renouvelable à plus de 72 %, notamment par la mise en place d’une troisième chaudière biomasse de 14 MW implantée au sud de la ville.

Les émissions atmosphériques sont mesurées en continue à la sortie des deux chaudières à bois, photo Frédéric Douard
Entre 2022 et 2025, il est prévu la poursuite de l’extension du réseau avec la création de 25 kilomètres supplémentaires et qui permettront de raccorder 9000 équivalents logements en plus. Une augmentation de la récupération de chaleur fatale sur les eaux usées est également prévue par l’installation d’une sixième pompe à chaleur. Par ailleurs, le premier réseau de froid des Hauts-de-France sera déployé sur la nouvelle ZAC Gare la Vallée : il alimentera sept bâtiments tertiaires à partir d’une source géothermique pour une puissance cumulée de 1850 kW.
Mais la clé de voûte de cette dernière phase du projet est la création d’une nouvelle chaufferie biomasse de 14 MW au sud de la ville. Le taux d’énergies renouvelables et de récupération passera alors à 72 %. Ainsi, à terme, un total de 26 800 équivalents logements amiénois bénéficiera de cette chaleur majoritairement locale et renouvelable.
Notons enfin que le projet possède également une tranche conditionnelle qui pourrait permettre la mise en place d’une chaufferie biomasse supplémentaire à vapeur pour des besoins industriels cette fois, et la prospection commerciale est en cours en ce sens.
Evolution des chiffres clés du réseau de chaleur d’Amiens | |
---|---|
2022 | 2026 |
178 GWh de chaleur et 1 de froid | 268 GWh de chaleur et 2,6 de froid |
Mix renouvelable et récupération : 64% | Mix renouvelable et récupération : 72 % |
240 points de livraison | 350 points de livraison |
50 km de réseau | 75 km de réseau |
26 100 tonnes de CO₂ évitées | 41 100 tonnes de CO₂ évitées |
17 800 équivalents logements | 26 800 équivalents logements |
12 MW de puissance bois | 26 MW de puissance bois |
24 000 tonnes de bois | 50 000 tonnes de bois |
Contacts :
- Amiens Métropole : www.amiens.fr
- Réseau de chaleur d’Amiens : 03 22 34 16 30 – contact@amiens-energies.com – www.rezomee.fr/amiens-energies/
- Le chaudiériste biomasse : +33 479 89 07 07 – contact@weiss-france.fr – www.weiss-france.fr
Frédéric Douard, en reportage à Amiens
Voir également cette intervention de Benoît Mercuzot, Vice-Président d’Amiens Métropole, qui parle de la mise en place de la Semop Amiens Energies.
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