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La taxe carbone dans la transition énergétique, indispensable mais pas suffisante

Beaucoup d’entreprises hésitent à investir dans les renouvelables faute de visibilité. Ici la chaufferie bois de Biolandes à Le Sen, photo Frédéric Douard

Revenir à la taxe carbone en France est indispensable. Face au péril du réchauffement climatique, de nombreux pays engagés dans la transition énergétique ont mis en place une taxe carbone ou s’apprêtent à le faire. L’exemple le plus connu est celui de la Suède, où une taxe carbone a été mise en place dès 1991 ! Après des augmentations progressives, la taxe a atteint en 2018 un niveau élevé (120 € / tonne de carbone), mais recueille toutefois l’adhésion des partenaires sociaux et de la population.

Cette mesure fiscale s’est traduite par des résultats exemplaires en matière de réduction des gaz à effet de serre et de développement massif des réseaux de chaleur biomasse et autres renouvelables ou énergies de récupération.

Graphique 1 – Cliquer sur le graphique pour l’agrandir.

En France, de nombreuses études ont préconisé la mise en place d’une telle taxe, ce qui s’est traduit par son institution dans la loi de Finances 2014 et sa confirmation dans celle de 2018, avec une trajectoire ambitieuse de 2018 à 2022.

Graphique 2 – Cliquer sur le graphique pour l’agrandir.

Le prix du gaz a fortement baissé entre 2013 et 2016. Cette baisse n’a pas été compensée par la taxe carbone. La conjugaison de la remontée du prix du gaz naturel à partir de 2017 et de l’effet taxe carbone ont abouti à un prix en 2018 qui a retrouvé et même légèrement dépassé celui du début des années 2010 (cf. graphique ci-dessous). L’augmentation prévue jusqu’en 2022 (à prix de base identique) correspondait à une augmentation annuelle de 3.2 %.

Graphique 3 – Cliquer sur le graphique pour l’agrandir.

Suite au mouvement des « gilets jaunes », le gouvernement a suspendu la mesure pour 2019 et son redémarrage semble incertain.

Pourtant, les spécialistes de la transition énergétique considèrent qu’il est essentiel d’envoyer un signal prix aux usagers, creusant l’écart entre les solutions fossiles et les alternatives en termes d’efficacité énergétique et de recours aux énergies renouvelables. La plupart estiment toutefois que l’alourdissement de la fiscalité qui en résulte doit se faire à prélèvement fiscal et social global constant et être juste, c’est à dire ne pas pénaliser les usagers les plus fragiles, notamment les familles. En outre une partie des
recettes devrait être allouée au soutien aux investissements en faveur des solutions alternatives et/ou renouvelables.

Cette problématique était déjà clairement posée dès 2009 suite au rapport Quinet et très bien résumée dans un article du Monde / juillet 2009 intitulé : « Comment éviter que la taxe carbone ne pénalise les plus pauvres » ? (reprise des propos de Michel ROCARD, Nicolas -HULOT, Mathieu ORPHELIN, Yves MARTIN… ). Cinq prises de position récentes d’organismes publics ou privés (Terra nova/I4CE, CFDT/Nicolas Hulot, Ademe, Conseil d’Analyse économique, CESE) témoignent de cette approche commune.

En résumé, les organismes précités estiment qu’il faut :

  • Rétablir la taxe carbone, avec son évolution telle qu’elle a été prévue par la loi de finances 2018, mais à prélèvement fiscal constant ;
  • Compenser ses effets négatifs pour les usagers les plus faibles, en prenant en compte les revenus, mais aussi l’accès contraint à certaines formes d’énergie et la localisation géographique (zones climatiques et ruralité) ;
  • Affecter une partie des produits de la taxe à des mesures de transition énergétique.

La contribution de l’ADEME est de ce point de vue intéressante. L’Agence et les professionnels savent que les décisions à prendre sont complexes et longues avant de se concrétiser.

L’ADEME suggère donc que les premières mesures soient principalement orientées vers la compensation des usagers les plus affectés par la taxe et que celle-ci soit réaffectée au fil du temps vers des mesures d’accompagnement aux investissements, dès lors que les usagers concernés auront été clairement avertis, informés, conseillés et eu le temps de s’organiser.

Des opérateurs « financeur / investisseur » sont nécessaires pour la
Réhabilitation thermique des logements et la Chaleur renouvelable

La raison du succès des énergies liquides et gazeuses et de l’électricité

La chaleur fossile et le chauffage électrique, majoritairement d’origine fissile, ont beaucoup de défauts macro-économiques et environnementaux, largement documentés. Mais le service rendu est apprécié par le client pour sa simplicité.

En effet, un opérateur national ou multinational s’occupe de tout (ou presque). Celui-ci conçoit, construit et finance les grands équipements de la chaîne de production / transformation et de transport / distribution. Au final, l’usager se fait livrer « clé en main » un produit / service en pied d’immeuble ou à la maison. La prestation fournie est modulable et interruptible pratiquement à tout moment, avec même désormais la possibilité de changer de fournisseur. Le montant de la facture au compteur, est proportionnel à la consommation, avec un abonnement (part fixe) faible.

La chaleur fossile et le chauffage électrique, majoritairement d’origine fissile, ont beaucoup de défauts macro-économiques et environnementaux, photo Frédéric Douard

Ainsi les opérateurs énergétiques assument-ils, à leurs risques et périls, la quasi-totalité des coûts d’investissement et d’exploitation (situés pour l’essentiel en amont de la filière) et répercutent à chaque client la quote-part correspondant à ses besoins et à un moindre degré à la puissance souscrite. C’est cette mutualisation / péréquation qui fait le succès des énergies dites conventionnelles, tout particulièrement du gaz naturel. La facture n’est pas toujours basse, car elle varie selon les fluctuations des matières premières (admises comme une fatalité géopolitique !), mais elle est acceptée et considérée comme adaptable à l’évolution des besoins, ou via des sacrifices consentis en terme de confort (situation fréquente pour les ménages en chauffage « tout électrique »).

Réhabilitation des logements et chaleur renouvelable : Contrainte liée à la faible flexibilité

Il en va très différemment s’agissant de la réhabilitation de logements ou du passage à une solution chaleur renouvelable (biomasse, géothermie, solaire). L’essentiel des coûts d’investissement et d’exploitation doit être supporté, très en aval au niveau du site utilisateur, par le gestionnaire de l’équipement de production d’énergie ou l’occupant du bâtiment à rénover ou à chauffer. Ces derniers sont donc confrontés à une décision financièrement lourde, peu flexible, qui les engage sur le long terme, indépendamment des vicissitudes qui peuvent affecter la vie de l’entreprise, de l’établissement ou la situation personnelle d’un ménage.

Ainsi beaucoup d’entreprises hésitent-elles, faute de visibilité sur leur avenir, à entreprendre des travaux d’économies d’énergie ou à opter pour des énergies renouvelables thermiques, amortissables seulement sur du long terme.

Logements collectifs raccordés au réseau de chaleur de Vitry-le-François, photo Vitry-Habitat

Cette situation concerne également les bâtiments publics dont la pérennité n’est pas toujours assurée (établissements de santé en milieu rural…), de même que le logement collectif (HLM ou copropriétés), susceptible d’être restructuré ou partiellement inoccupé, et bien sûr les propriétaires de maisons particulières qui hésitent face à l’incertitude du lendemain, notamment par crainte de ne pas récupérer leur mise de fonds lors d’une revente de leur bien.

De surcroît, beaucoup d’agents économiques n’ont pas les compétences (même avec des conseils appropriés), ni les moyens financiers (capacité d’autofinancement ou d’emprunt) pour prendre de telles décisions.

C’est la raison pour laquelle la majorité des collectivités territoriales externalisent, via une délégation de service public, la production / distribution de chaleur sur leur territoire. Mais cette option bien adaptée aux collectivités de taille significative, avec de gros consommateurs et un foisonnement des besoins thermiques, l’est beaucoup moins pour les villes moyennes ou petites et a fortiori les bourgs ruraux. Dans ces derniers cas, les opérateurs privés hésitent à s’impliquer (et donc à répondre aux consultations) car ils estiment la rentabilité et l’évolution de ces projets incertaines (risque de perte de recettes), du fait d’un possible déclin économique et démographique du territoire, ou même d’une légitime amélioration thermique du bâti, sans redéploiement possible vers de nouveaux clients.

Cette gestion externalisée de la chaleur, avec mutualisation tarifaire à la simple échelle du projet, ne règle d’ailleurs pas tout : dans la facture globale, la part de l’abonnement demeure lourde (plus de 50 % pour les sources d’énergie bois ou géothermie) et celui-ci est de longue durée (10 ans), ce qui n’est pas le cas pour les combustibles liquides ou gazeux ou pour l’électricité, que tout un chacun garde à l’esprit comme point de comparaison.

Un opérateur externe « financeur / investisseur » est indispensable

Cette configuration a été mise en place par certaines Régions qui ont créé des sociétés d’économie mixte pour rénover thermiquement les logements, à charge pour ces dernières de financer les travaux et de se rémunérer sur les économies faites par l’habitant.

C’est une démarche intéressante, mais encore faut-il qu’il y ait économie pour l’usager final ! On en revient toujours à la question de l’écart entre le montant de l’énergie économisée et celui de l’amortissement (remboursement des emprunts) des travaux de réhabilitation thermique. Ce qui n’a plus été le cas depuis 2013, avec l’effondrement du prix du gaz naturel (avant la taxe carbone).

Pour la chaleur, la concession de service public est une solution bien adaptée aux grandes collectivités, c’est à dire aux réseaux desservant plus de 2000 équivalents habitants. En l’espèce, il n’y a donc pas lieu de changer le mode de gestion de ces services publics qui fonctionnent à la satisfaction des collectivités et de leurs délégataires.

Personnel de maintenance à la chaufferie bois de Cergy, photo Dalkia

Pour les moyennes et petites collectivités, c’est une autre affaire. La démarche est complexe et risquée pour le concédant et a fortiori son éventuel délégataire. C’est la raison pour laquelle, dans la plupart des régions de l’hexagone, le nombre de projets qui se concrétisent est très en deçà des potentiels identifiés de longue date. Pour changer de cap et s’inscrire dans les objectifs très ambitieux de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) à l’horizon 2028 (autrement dit demain dans le domaine qui nous occupe !), imaginer de nouveaux dispositifs est indispensable.

Selon nous, Il conviendrait de mettre en place à l’échelle régionale des opérateurs publics (Caisse des Dépôts et Consignations ?) ou mixtes publics / privés qui assureraient un rôle d’agrégateur des subventions publiques et des prêts bancaires et financeraient les investissements dans leur globalité, pour le compte des collectivités et autres acteurs économiques. Ces opérateurs / agrégateurs factureraient aux usagers le service rendu, c’est à dire dans le cas d’un réseau de chaleur, l’amortissement des ouvrages et équipements, de la chaufferie à la sous-station terminale, en passant par les canalisations de distribution. Ce service facturé sous la forme d’un abonnement classique serait modifiable/ modulable ou même interruptible, lorsque les circonstances l’exigent.

En parallèle, un Fonds de Garantie à l’échelon national, alimenté par un prélèvement modeste sur les abonnements, devra prendre en compte les aléas inhérents à ce type d’investissement. Ceux-ci ont normalement pour contrepartie des recettes fixées au départ, mais le projet peut être confronté à des évènements (perte d’un gros client industriel par exemple) non prévisibles au lancement de l’opération.

Dans cette nouvelle organisation, les acteurs du marché continueront bien évidemment à assumer les tâches de gestion du service public, d’exploitation / maintenance des installations de production d’énergie, d’achat de combustibles et de facturation de leurs prestations au compteur. Mais ils n’auraient plus à prendre à leur charge le financement des travaux initiaux, dont ils considèrent souvent que ce n’est pas leur coeur de métier. Ce nouveau partage des rôles suppose que les responsabilités respectives soient bien définies dès le départ et sur le long terme.

Chaufferie bois de la ZAC du Crozatier à Saint-Flour dans le Cantal, photo Frédéric Douard

A l’évidence, comme dans le précédent exemple de la réhabilitation thermique des logements, ce partenariat dans la durée et la pérennité de la qualité du service rendu aux usagers n’est concevable que si prix de la chaleur renouvelable, cumulant facturation au compteur et abonnement, est inférieur à la situation existante fossile ou électrique.

Rappelons le, comme l’ont démontré magistralement les Suédois, un signal prix creusant l’écart entre les énergies fossiles et les alternatives en termes d’économies d’énergie et de chaleur renouvelable est incontournable pour que les usagers (entreprises, collectivités territoriales, établissements publics, logements collectifs et maisons particulières) y trouvent un intérêt économique et adhèrent au projet.

On en revient toujours à la taxe carbone… ou à la rente des pays pétroliers ou gaziers, ce qui aurait le même effet, mais est moins souhaitable !

Serge DEFAYE & Marc Maindrault (illustrations)
Debat / Best Energies

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1 réponse
  1. RAOUL SEUX dit :

    Est ce que l’on nous prendrait pour des imbéciles avec cette taxe carbone , il n’y a pas besoin de taxe carbone à partir du moment où les énergies alternatives sont compétitives et on nous cesse de le répéter
    INTOX?