Ingredia décarbone avec la plus grosse chaudière biomasse de l’industrie laitière française
Article paru dans le Bioénergie International n°97 de juin 2025
Le site Ingredia de Saint-Pol-sur-Ternoise avec sa nouvelle chaufferie au premier plan, photo Engie Solutions
Basée à Arras, dans le Pas-de-Calais, la coopérative Prospérité Fermière Ingredia collecte et transforme le lait de ses adhérents depuis 1949. Elle regroupe 800 exploitations laitières des Hauts-de-France et collecte environ 400 millions de litres de lait par an dans un rayon de 80 kilomètres autour de son site de transformation de Saint-Pol-sur-Ternoise. Situé à 35 km à l’ouest d’Arras, ce site s’étend sur une quinzaine d’hectares, fonctionne 24h24 et emploie près de 350 personnes. Dans le cadre d’une politique globale de décarbonation de ses productions, du pré à la livraison des produits, mais aussi pour maîtriser ses coûts énergétiques, la coopérative a mis en place, en 2024, une nouvelle chaudière biomasse de 17 MW afin de couvrir une partie des besoins thermiques de son usine qui gère trois activités : le conditionnement de lait UHT en bouteilles, la transformation du lait en ingrédients pour l’industrie agro-alimentaire, et la fabrication d’ingrédients pour la nutrition et la santé. En 2024, le groupe, qui compte 488 salariés, a réalisé un chiffre d’affaires de 451 millions d’euros, dont 46 % à l’export.
Plus de 75 ans d’innovations
La coopérative Prospérité Fermière a été fondée en 1949 par des producteurs de lait de la région, à l’origine pour valoriser la crème dans sa beurrerie d’Arras. En 1964, le site industriel de Saint-Pol-Sur-Ternoise est créé pour produire les premiers ingrédients laitiers : les poudres de lait. La production est alors assurée par des chaudières à fioul lourd et qui seront remplacées au siècle suivant par des chaudières à gaz. En 1967, la marque Prospérité se diversifie et rassemble plusieurs autres produits laitiers frais comme de la crème, du lait et des yaourts réputés dans la région. En 1973, la coopérative investit à nouveau sur le site de Saint-Pol-Sur-Ternoise qui se retrouve alors première unité industrielle d’ultrafiltration de lait en Europe. Profitant de cette technologie, en 1979, le groupe opère un virage stratégique en développant des ingrédients laitiers de haute technologie.
Les silos de la première chaufferie bois ont été conservés, photo Engie Solutions
En 1991, c’est la naissance de la filiale Ingredia dont la mission est de développer et produire des ingrédients laitiers qu’elle va exporter dans 90 pays : poudres de lait, protéines fonctionnelles et nutritionnelles, actifs innovants à destination de l’industrie agroalimentaire, nutrition et santé.
En 2008, la coopérative met en service sa première chaudière biomasse. En 2014, les capacités de production de l’usine sont augmentées pour le marché de la nutrition clinique et en 2016, une ligne de production de protéines de nouvelle génération est créée, augmentant encore les besoins énergétiques du site. La première chaudière biomasse a fonctionné jusqu’au 25 novembre 2023 mais n’assurait plus à cette date que 63 % des besoins du site. En 2022, pour soutenir la croissance de la demande en ingrédients laitiers, la décision est prise de remplacer cette chaudière avec l’objectif de revenir à un taux de couverture de 85 % en combustible renouvelable, local et à coût maitrisé. En 2024, une nouvelle ligne de production de bioactifs est également mise en service.
Le convoyeur de bois entre les silos et la chaufferie, photo Frédéric Douard
La plus grande chaudière biomasse de France dans l’industrie laitière
Comptant sur une disponibilité de 8100 heures à puissance nominale, la nouvelle chaudière est dimensionnée à 17 MW pour produire 25 tonnes de vapeur saturée par heure à 30 bar et 237°C.
Les besoins thermiques se concentrent vers quatre tours de séchage et une unité de préparation des compléments alimentaires en vapeur 30 bar, une pression nécessaire pour le bon fonctionnement de ces équipements. Le surplus de vapeur est détendu à 15 bar et utilisé pour la pasteurisation et le nettoyage. En effet, chaque jour en moyenne, plus de 1,2 million de litres de lait arrivent à l’usine à une température de 4 à 5°C et sont immédiatement portés à 78°C pour pasteurisation, avant toute autre transformation.
La nouvelle chaufferie biomasse d’Ingredia, photo Engie Solutions
Le dimensionnement à 17 MW bois permet de réduire le taux de couverture des besoins thermiques par le gaz à moins de 15 % sur 136 GWh/an. Pour couvrir 85 % des besoins par le bois, soit 116 GWh /an (ce qui représente une augmentation de 51 GWh/an par rapport à l’ancienne installation), cela demande 44 000 tonnes de bois par an. La part de production au gaz est ainsi réduite à moins de 20 GWh/an et ce sont 26 000 tonnes de CO₂ dont l’émission est évitée chaque année par rapport à un fonctionnement 100 % gaz, soit 11 000 tonnes de plus qu’avec l’installation bois précédente.
Une production de vapeur externalisée
Alors que le premier projet de chaufferie biomasse avait été entièrement géré en interne par Ingredia, l’entreprise a cette fois choisi d’externaliser le dimensionnement, la conception, l’installation, le financement et l’exploitation de la nouvelle chaufferie pour se concentrer sur ses activités de base. Elle a pour cela confié la production de vapeur renouvelable à Engie Solutions dans le cadre d‘un contrat de 15 ans avec garantie de résultat. Ainsi, dans le cadre d’un contrat d’exploitation complet, P1 à P4, c’est-à-dire du financement et à la construction, de la fourniture du bois à celle de la vapeur, Engie Solutions, en tant que locataire des lieux, s’est engagé à fournir à Ingredia au moins 116 GWh de vapeur renouvelable par an et une disponibilité de la chaudière bois d’au moins 8 100 heures par an à puissance nominale.
La base de la chaudière biomasse, photo Frédéric Douard
Ces investissements se montent à 13 M€ et concernent la construction d’une nouvelle chaufferie située à côté de la précédente dont les silos et les convoyeurs à bois ont été conservés. Ces investissements ont bénéficié du Fonds de soutien de l’Ademe dans le cadre du plan France Relance et du programme Biomasse Chaleur Industrie Agriculture et Tertiaire.
Une chaudière de dernière génération
La nouvelle chaudière a été mise en service le 24 avril 2024. Avec sa forte inertie thermique, une volumineuse chambre de combustion et une grille de 25 m² composée de 1080 barreaux en alliage réfractaire, la chaudière biomasse Weiss peut consommer des bois humides tout en conservant ses performances de combustion. Avec du bois à 45 % d’humidité, elle développe une puissance de 17 MWth, c’est la plus grosse chaudière de la gamme actuelle du constructeur. L’installation est complétée en sortie de chaudière par un économiseur, un piège à escarbilles et un filtre à manches. En termes de valeurs limites d’émissions atmosphériques, l’installation respecte les seuils de 30 mg par Nm³ pour les poussières et de 250 pour les oxydes d’azote. Pour atteindre ses performances, la chaudière pratique l’étagement de la combustion et le recyclage des fumées.
La chaudière biomasse d’Ingredia lors de sa construction en mai 2023, avant la fermeture du bâtiment, photo Weiss France Energie
En matière de maintenance, les tubes de fumée horizontaux sont ramonés automatiquement et cycliquement par des ramoneurs pneumatiques et deux fois par an par ramonage mécanique. La totalité des cendres (grille, anti-escarbilles et filtre à manches) est évacuée sans intervention humaine. Les cendres de grille sont valorisées en épandage agricole par Veolia Agriculture basé à Regnière-Écluse dans le Somme à 50 km de la chaufferie.
Ecran de contrôle et commande de la chaudière biomasse, image Engie Solutions. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.
La chaudière fonctionne de manière quasi automatique en dehors des maintenances et des réglages réalisés lors de changements importants de qualité des combustibles. Deux personnels Engie Solutions sont en charge de sa conduite et de la bonne livraison de la vapeur à l’usine. Elles peuvent s’appuyer sur le service national d’assistance technique d’Engie Solutions mais aussi sur le constructeur de la chaudière en cas de besoin. Sur ce dernier point, un contrat a été conclu pour dix ans avec Weiss France Énergie pour assurer les grosses maintenances du poste P3, une maintenance qui comprend les installations d’alimentation en bois. Weiss France Énergie assure également dans ce cadre douze visites de la chaufferie par an pour en surveiller l’état et les bonnes performances : 11 à chaud et une à froid.
Un mur de feu de 17 MW, photo Frédéric Douard
Trois chaudières vapeur à gaz de 10 MW assurent l’appoint de la chaudière bois, car la saisonnalité de la production laitière occasionne des pics de besoins qui peuvent monter jusqu’à 37 MW.
L’approvisionnement
Il est géré par Soven, la société d’approvisionnement d’Engie Solutions. Il est composé de 70 % de plaquettes forestières et de 30 % de bois de recyclage non traité en SSD, le tout en granulométrie P100. Au regard des aides publiques et des bonnes pratiques qu’elles exigent, 75 % du bois-énergie doit provenir d’une zone dont le rayon est inférieur à 100 km. Dans la pratique, le coût du transport étant proportionnel au nombre de km parcourus, en 2024, la distance moyenne d’approvisionnement en bois n’était que de 47 km !
Livraison de bois de recyclage à la chaufferie Ingredia, photo Frédéric Douard
En 2024, le tonnage livré était d’un peu moins de 44 000 tonnes pour un pouvoir calorifique avant combustion de 130 GWh, de quoi produire 117 GWh de vapeur selon le rendement de 0,9 de la chaudière. Ce tonnage est assuré par dix fournisseurs locaux dont quelques agriculteurs adhérents de la coopérative. La part de bois bocager est amenée à croître dans le cadre d’un projet d’agroforesterie détaillé ci-après.
Un projet d’agroforesterie locale
De par la présence de nombreux de ses adhérents dans le bocage du Boulonnais, la coopérative a souhaité ménager une part de son approvisionnement en bois aux éleveurs du territoire. L’objectif est de pérenniser les exploitations en élevage sur herbe en leur fournissant des revenus pour l’entretien de leurs haies, le bocage étant une méthode d’agriculture résiliante aux perturbations environnementales.
Le projet vise en partie à renforcer le bocage régional pour y rendre l’agriculture plus résiliante, photo AFAF
Pour cela un partenariat a été signé avec l’AFAF, l’association française d’agroforesterie, pour accompagner les éleveurs du Pas-de-Calais dans leur gestion, voire dans le développement de leurs linéaires boisés. Cet accompagnement passe par la réalisation de diagnostics environnementaux et par la mise en place d’actions pour maintenir ou développer les haies, pour produire de l’énergie verte, et pour favoriser la biodiversité, la préservation des sols et la régulation des régimes hydriques.
Dispositif anti-escarbilles en amont du filtre à manches, photo Frédéric Douard
Contacts :
- Prospérité Fermière – Ingredia : 03 21 47 46 46 – www.ingredia.fr
- Exploitant de la chaufferie : www.engie-solutions.com
- La chaudière bois : 04 79 89 07 07 – contact@weiss-france.fr – www.weiss-france.fr
- L’AFAF : www.agroforesterie.fr
Frédéric Douard, en reportage à Saint-Pol-sur-Ternoise
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