La production de miscanthus, gestions et performances en Centre Ardenne
Article paru dans le Bioénergie International n°71 de mars 2021
Le miscanthus, appelé communément herbe à éléphant, est une espèce de Poacée originaire d’Asie orientale. C’est une plante pérenne, implantée pour une durée de 15 à 20 ans, qui présente une bonne productivité, une biomasse riche en cellulose avec une valeur énergétique élevée, et ce avec des besoins en intrants limités. Afin de préciser les performances de cette espèce en Ardenne belge, un suivi, initié en 2009 dans le cadre du projet INTERREG ENERBIOM, a été réalisé sous différentes conduites afin d’évaluer (1) la réponse de cette culture à un apport azoté, allant de 0 à 160 unités d’azote (uN) par hectare, et (2) l’impact de la période de récolte (en vert fin septembre – début octobre ou en sec en avril) sur les biomasses récoltées et leurs évolutions interannuelles.
Le suivi
L’essai a été implanté au printemps 2009 sur une parcelle gracieusement mise à disposition par la société L’Oréal-Libramont. Cette parcelle est située à une altitude de 500 m et présente un profil de sol de type limono-caillouteux à drainage légèrement excessif avec un substrat débutant à plus de 80cm de profondeur. La densité de plantation était de 15.000 rhizomes par hectare, elle a été ajustée à 12500 pieds par hectare fin 2010. La plantation a été réalisée à l’aide d’une planteuse à pommes de terre modifiée. L’espace entre les lignes était de 75 cm ce qui rend la phase d’implantation de la culture plus délicate. En effet, cette espèce occupe peu le terrain les deux premières années, le temps de mettre en place ses rhizomes et d’atteindre un développement végétatif suffisant. Il y a donc lieu d’être attentif à son désherbage que ce soit mécaniquement ou chimiquement, dans ce dernier cas, avant sa repousse. De plus les rhizomes de miscanthus sont appréciés des taupins bien présents sur cette parcelle antérieurement en jachère, si l’on fait exception de 2008 avec une culture de maïs. La mise en place des conduites contrastées, une fois la culture bien en place, a eu lieu dès 2012 et s’est poursuivie jusqu’en 2020. L’application des engrais se faisait fin avril au début de la reprise de végétation. Les paramètres mesurés étaient les rendements en matière sèche ainsi que la teneur en matière sèche et en carbone de la biomasse récoltée. Certaines années, en fin de saison, l’azote minéral résiduel présent dans les sols était également quantifié afin d’évaluer les risques de lessivage de nitrate vers les nappes en fonction des différentes conduites.
Qu’avons-nous observé ?
1- Suivi de l’évolution des rendements sur huit années pour des récoltes de printemps et d’automne
L’évolution des rendements pour un même apport azoté, à savoir 80uN/ha, montre une augmentation de ces derniers à partir de 2012 jusqu’à un pic correspondant à 2016-2017 en fonction de la période de récolte. À partir de 2017, une diminution s’enclenche. Elle pourrait s’expliquer, tout au moins partiellement, par une diminution progressive du nombre de pieds du miscanthus.
Les sécheresses survenues ces dernières années pourraient également contribuer à cette évolution. Sur base de ce suivi, dans les conditions du Centre Ardenne, la culture de miscanthus a permis de produire, respectivement pour des récoltes d’automne et de printemps, plus de 15 et 10 tonnes de MS par hectare dès sa troisième année de pleine production et ce durant 7 ans au minimum.
Les récoltes d’automne montrent des rendements supérieurs au regard de celles du printemps suite à la perte des feuilles du miscanthus durant l’hiver. Comme nous le verrons ci-après, les teneurs en matière sèche des biomasses récoltées sont, en moyenne, de 38 % et 77 % respectivement en automne et au printemps.
Certaines années, l’apport azoté sous forme minérale engendre des rendements supérieurs à l’apport organique pour une récolte au printemps.
2- Impact du niveau de fertilisation azotée et de la période de récolte sur la productivité du miscanthus
Récolte printanière
Classiquement, le miscanthus est récolté au printemps, après avoir atteint une teneur de matière sèche proche de 80 % afin de pouvoir être broyé et stocké sans séchage ultérieur pour une utilisation en tant que biocombustible ou pour le paillis de cultures maraîchères ou ornementales. Dans ce cadre, la plante a perdu ses feuilles durant l’hiver et l’ensemble des nutriments ont pu migrer vers les rhizomes avant l’hiver.
Bien que l’apport d’azote améliore les rendements obtenus au printemps, l’augmentation observée reste marginale et détériore plutôt que n’améliore la marge brute dégagée par la culture (tableau 2). Qui plus est, les apports d’azote ont tendance à freiner l’augmentation des teneurs en matière sèche au sein des biomasses récoltées, ce qui peut rendre le stockage plus problématique, et à réduire les teneurs en cellulose.
Récolte automnale
Une récolte automnale, en vert, permet d’envisager des utilisations alternatives du miscanthus, par exemple, pour alimenter des stations de biométhanisation. Quelles sont alors les performances attendues ? Cela ne risque-t-il pas de nuire à la pérennité du couvert qui ne peut plus remobiliser l’ensemble des nutriments présents dans le couvert pour alimenter ses rhizomes ? L’apport d’engrais se justifie-t-il plus dans ce contexte ? Autant de questions explorées dans le cadre de cette recherche.
Lien vers le fichier : Utilisation-du-miscanthus-en-biomethanisation_20141210.pdf
Au vu des résultats présentés au tableau 3, il en ressort que l’apport d’azote permet d’augmenter significativement les biomasses de miscanthus récoltées en automne sans en modifier la qualité, c’est-à-dire la teneur en cellulose. Néanmoins, l’approche économique reprenant le produit de la vente du miscanthus relativise cette observation. En effet, l’augmentation du rendement est de l’ordre de 15 % suite à un apport annuel de 160 unités d’azote sans améliorer la rentabilité de la culture.
3- Impact des différentes conduites sur les reliquats azotés présents dans les sols en fin de saison
Bien qu’en 2019, les reliquats azotés présents en fin de saison soient directement corrélés aux apports d’azote, il y a lieu de souligner qu’ils restent très faibles. Nous pouvons également observer, sur ces profils de 60 cm, que les reliquats sont plus élevés pour les récoltes de printemps en comparaison aux récoltes d’automne. Cela peut s’expliquer par la présence et la minéralisation des feuilles tombées en fin de saison.
Que retenir ?
Au terme de ces huit années de pleine exploitation, nous pouvons observer que, dans les conditions de notre suivi en Centre Ardenne, le miscanthus, une fois bien implanté, à une densité de 10 à 11 000 pieds par hectare, peut produire 11 tonnes de matière sèche par hectare s’il est récolté pour être brûlé ou utilisé comme paillis, en sec, ou 15 tonnes de matière sèche par hectare s’il est récolté en automne pour alimenter une unité de biométhanisation.
Notons que ces performances, obtenues sur des parcelles expérimentales, doivent souvent être évaluées à la baisse afin de refléter les performances attendues en exploitation qui seront plutôt de l’ordre de 10 et 13,5 tonnes de matière sèche par hectare pour, respectivement, des récoltes de printemps et d’automne. De plus, les performances enregistrées en automne doivent être validées sur de plus grandes surfaces.
En effet, une interférence existait entre les modalités testées : des feuilles issues des modalités récoltées au printemps pouvaient, dans notre dispositif, venir ‘fertiliser’ nos parcelles récoltées en automne. Néanmoins, au terme de cette 8e année de pleine exploitation, la reprise des parcelles fauchées à l’automne apparaît comme moins vigoureuse que celle des parcelles récoltées au printemps.
Concernant les reliquats azotés, ils sont peu élevés, et ce quel que soit l’apport d’engrais N réalisé.
Ce suivi nous permet dès lors de tirer les conclusions suivantes. Le miscanthus est une culture qui, une fois installée, est facile d’exploitation et est peu gourmande en intrants ce qui permet d’en envisager l’implantation dans des zones environnementales sensibles (zones de captage par exemple). Afin d’éviter toute compétition avec des surfaces de qualité pour la production d’aliment, il est néanmoins préférable de lui réserver les surfaces marginales telles que des friches industrielles ou des zones non-cultivées.
Un inconvénient majeur réside dans son implantation délicate et coûteuse. Cette dernière nécessite le choix de bons rhizomes, de parcelles avec une faible pression de taupins et un contrôle des adventices durant l’année d’implantation et les deux premières années de pleine exploitation. Un deuxième point d’attention réside dans sa valorisation. L’idéal étant une utilisation en circuit court que ce soit pour l’alimentation d’une unité de production de biogaz ou d’une chaudière. A titre d’exemple, l’utilisation d’un hectare de miscanthus produisant 10 T/ha pour alimenter une chaudière biomasse, permet de substituer l’équivalent de 4 000 l de mazout, énergie non renouvelable contribuant au réchauffement climatique, par une énergie renouvelable. Sous une telle valorisation, en interne, la rentabilité de la culture sera supérieure à la marge calculée au tableau 2 car fonction du prix du mazout auquel elle se substitue. Il est également possible de vendre le miscanthus sec produit (voir le bilan économique du tableau 2) pour la production de paillis mobilisés dans les parcs et jardins afin de limiter le développement des adventices.
Cet article a bénéficié de la lecture critique et constructive de Pascal Parache qui nous a quitté beaucoup trop tôt et de façon trop brutale. Nous lui dédions cette contribution et le remercions pour les échanges fructueux dont il nous a fait profiter tout au long des chemins partagés.
Yves Seutin et Didier Stilmant
Centre wallon de Recherches agronomiques / +32 81 87 40 01
d.stilmant@cra.wallonie.be / y.seutin@cra.wallonie.be – www.cra.wallonie.be
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