A Obernai, un pôle expérimental grandeur nature sur les digestats de méthanisation
Un article de Philippe Cousinié, animateur Réso’them de l’enseignement agricole et de Véronique Stangret, responsable du projet Dige’O, avec la contribution de Guillaume Bapst, enseignant d’agronomie à l’EPLEFPA d’Obernai. Janvier 2020. |
Depuis septembre 2018, un des plus grands pôles expérimentaux de digestats de méthanisation de France a été mis en place sur l’exploitation du lycée agricole d’Obernai pour une durée de 4 ans, avec une équipe dédiée de trois personnes et un budget de 642 000 €. La finalité des essais menés est double. Il s’agit d’une part de fournir des références pour une valorisation agronomique optimale des digestats et d’autre part de mesurer leurs impacts sur l’environnement, en particulier sur les sols carbonatés, représentatifs du territoire. La dimension de cet essai, dénommé Dige’O et son niveau technologique en font un formidable terreau pédagogique pour les apprenants.
Une problématique de territoire, un pôle éducatif sur l’eau et un méthaniseur à l’origine du projet
Le pôle d’excellence éducative sur l’eau (P3E), plateau technique de l’établissement recevant notamment les BTSA GEMEAU, formés en alternance et en formation initiale scolaire, a contribué dès 2016 au questionnement initial du projet. Les digestats de méthanisation produits et épandus par l’exploitation depuis 2013 peuvent-ils à long terme impacter la qualité des eaux souterraines ? A cette interrogation se sont ajoutés d’autres questionnements portés par les enseignants d’agronomie du lycée et par le directeur d’exploitation, tels que l’impact des digestats sur la fertilité des sols, sur l’environnement local (eau, sol, plante, air) et sur les cycles de l’azote et du carbone.
La qualité des digestats, en lien avec la nature des produits entrants dans l’unité de méthanisation, est également questionnée. Plusieurs digestats sont donc comparés :
- Celui de la ferme d’Obernai, issu de fumier de taurillons de la ferme et de biomasse alimentaire du territoire (déchets de cantines et d’industries locales), associé à du lisier d’une exploitation voisine. Ce digestat est testé seul ou additionné d’argiles fixatrices d’azote (« Digestat Obernai corrigé »).
- Celui issu de canne de maïs et de lisier de vaches laitières.
Le volume total des entrées de biomasse de la ferme et de l’extérieur avoisine les 5 000 tonnes par an. Une partie de la biomasse de la ferme est cependant conservée pour être compostée et pour fertiliser la culture de houblon réalisée en conduite AB sur 30 ha.
Dige’O repose sur des dynamiques fortes de territoire et de recherche
La question des digestats est peu connue scientifiquement. Elle a fait l’objet de controverses dans la presse par rapport à la présence de métaux lourds dans les épandages et aux effets négatifs potentiels sur la biodiversité (notamment sur les vers de terre). Il était donc important d’étudier les flux d’azote vers les eaux souterraines mais aussi de mesurer les impacts à long terme des épandages de digestats sur la fertilité et sur la vie dans les sols.
Plusieurs partenaires de la recherche se sont associés au projet : l’INRAE de Colmar, l’ENSAIA de Nancy, l’Université de Lorraine et AgroSup Dijon, dans le cadre d’un futur projet CASDAR.
La dimension spatiale du projet sur 7,7 ha de SAU permet de fonctionner avec des équipements agricoles de taille classique et de fournir de précieuses références. Les acteurs professionnels du territoire ne sont donc pas en reste avec la participation de la chambre d’agriculture d’Alsace, de la chambre régionale d’agriculture du Grand-Est (Service Recherche-Innovation) et de la chambre régionale d’agriculture des Pays de la Loire (en partenariat avec AgroSup Dijon). Les agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) sont également partie prenante.
L’enjeu de Dige’O est d’étudier les effets des digestats sur des sols carbonatés, très présents sur le territoire. C’est à ce titre une expérimentation nouvelle qui viendra consolider les références déjà acquises sur d’autres types de sol.
A Obernai, des enseignants fortement impliqués dans la démarche
« C’est à partir du pôle d’excellence éducative sur l’eau (P3e), des questionnements des enseignants d’hydraulique, d’agronomie et d’agroéquipement et grâce à des financements obtenus auprès de la Fondation Kronenbourg et de l’Agence de l’Eau Rhin Meuse qu’est née l’idée de comparer plusieurs digestats issus de la méthanisation à Obernai. » précise Véronique Stangret, responsable de l’expérimentation.
Le projet dispose aujourd’hui d’un budget global de 642 000 €, dont 20% en autofinancement. « L’Agence de l’Eau Rhin Meuse et la fondation Kronenbourg se sont montrées intéressées par le projet dès 2017. Elles ont été rejointes par France Agrimer depuis février 2019, qui a apporté près de 300 000 €. » rappelle Guillaume Bapst, enseignant d’agronomie. Dige’O permet ainsi de financer 2,5 ETP à travers le poste de Véronique Stangret, d’une technicienne d’expérimentation (Margaux Nedelec) et d’un apprenti en licence professionnelle. En plus de ce volet financier, l’établissement d’Obernai bénéficie du dispositif d’enseignants « Tiers-temps » réparti entre Guillaume et Véronique. L’équipe de direction de l’établissement dont le directeur d’exploitation Freddy Merkling, et les équipes enseignantes (Sylvain Schwarz, en agroéquipement, Véronique, Guillaume et Aurélie Iyapah en agronomie…) s’impliquent fortement dans la démarche.
Des enseignants d’agronomie au cœur du projet Dige’O
Véronique est installée comme cheffe de projet depuis 2018. Cette situation amène une enseignante à évoluer vers une posture de responsable de pôle expérimental, en tissant des liens étroits entre la pédagogie, le monde professionnel agricole et la recherche scientifique, notamment l’INRAE de Colmar.
« Les appuis dont nous avons disposé ont permis de m’investir à plein temps sur le volet expérimental tout en conservant une entrée pédagogique. L’apprenant est au cœur du dispositif, autant pour les travaux agricoles que pour la mise en œuvre des protocoles d’essais. L’ensemble des interventions nécessite une importante préparation en amont car les données générées par le projet doivent être fiables et précises. Les apprenants sont en situation d’expérimentation réelle. A nous, formateurs, de préparer les activités qui leur sont confiées pour qu’elles se déroulent au mieux, en les faisant s’entraîner sur une autre parcelle avant d’être en conditions réelles ! » précise Véronique.
L’expérimentation en grandeur nature devient un pôle d’excellence éducative en fertilité des sols
Le dispositif expérimental porte sur cinq modalités différentes (comparaison de trois types de digestats, d’un fumier et d’un engrais minéral), répétées trois fois. Les cultures testées sont en alternance le blé et le maïs. Au total, le dispositif compte donc 15 microparcelles de 25 ares. Neuf d’entre elles sont équipées plus spécifiquement pour mesurer la dynamique de l’eau dans le sol.
Les équipements mis en place ainsi que les interventions liées à la conduite des cultures ont permis d’assurer de nombreux TP de la seconde pro au BTSA APV.
« Ce dispositif est pourvu d’une station météo performante connectée et valorisée notamment en bac professionnel sur le maïs. 105 bougies poreuses ont été installées pour prélever les nitrates. Les apprenants ont été impliqués dans leur installation et dans les mesures de prélèvement. Enfin, la dynamique de l’eau dans les sols est étudiée au moyen de capteurs connectés et de sondes tous les 30cm jusqu’à 1,5 mètre de profondeur, installés par les BTSA GEMEAU. » précise Guillaume.
Les données sont stockées en ligne et gérées par Margaux Nedelec, technicienne en expérimentation et formée au lycée agricole d’Obernai depuis la seconde générale jusqu’à sa licence professionnelle.
« Les actions réalisées sur le dispositif expérimental sont également exploitées en pédagogie. Cela concerne notamment les opérations culturales en grandeur nature, la collecte des données (BTS APV), les récoltes, des prélèvements de sol (Bac pro) et le traitement des données collectées. » ajoute Guillaume. Les prélèvements sont analysés par les laboratoires prestataires qui interviennent également dans les classes. « Parmi les prélèvements originaux, on peut citer les analyses de la nématofaune qui feront l’objet d’une intervention en amphithéâtre le 13 février 2020. » indique Véronique.
Une agriculture de haute précision enseignée à Obernai
Propos recueillis par Véronique Stangret « A notre arrivée dans la parcelle, Sylvain Schwarz nous parle avec enthousiasme, depuis le fond de la trémie de son semoir, sa clé à molette à la main » :
« L’arrivée de l’essai Dige’O a été une véritable aubaine pour la chaire d’agroéquipement. Tout d’abord par la diversité des opérations culturales qu’il présente, et qui sont autant d’occasions de faire pratiquer les apprenants. Ensuite pour toutes les opportunités de mises en œuvre des outils de l’agriculture de précision et des systèmes de guidage qui ont été nécessaires à sa bonne réalisation, que ce soit au moment du semis, lors des différents épandages ou pour le pilotage de l’irrigation. Enfin, les conditions toutes particulières de l’essai dans des parcelles qui sont à la fois de grandes tailles, comparativement à des parcelles expérimentales classiques, et de petites tailles aux regards des largeurs de travail de certains outils, ont nécessité la fabrication de dispositifs destinés à interdire tout débordement lors des épandages ou la modification des équipements de récolte. L’essai a donc permis aux élèves et surtout aux étudiants de se familiariser à l’utilisation des équipements d’agriculture de précision mais également de procéder aux modifications de matériels standards afin qu’ils satisfassent aux exigences expérimentales, couvrant ainsi l’ensemble du champ de compétence en agroéquipement d’un élève de BTS APV. »
Un projet qui fait référence par ses dimensions et ses retombées scientifiques
Les dimensions de ce projet en font une référence unique en France et y compris dans la recherche scientifique car les essais de l’INRAE Colmar ne se font pas en grandeur nature avec un matériel agricole classique. Tout l’enjeu de ce projet est donc de fournir des références sur la valorisation des digestats de méthanisation en céréales (maïs et blé) et de mesurer les impacts à long terme, non connus, des épandages de digestats sur l’eau, l’air, la vie dans les sols et la fertilité. C’est donc un projet qui devrait perdurer au-delà de 2022.
« Actuellement, un projet de thèse avec l’INRAE de Colmar est à l’étude et de nouveaux travaux sont en discussion avec l’école d’ingénieur Agrosup Dijon dans le cadre d’un projet « CASDAR Innovation et Partenariat ». » conclut Véronique.
Contacts utiles
- Thierry Girodot, Directeur de l’EPLEFPA d’Obernai : thierry.girodot@educagri.fr
- Freddy Merkling : Directeur d’exploitation agricole : expl.obernai@educagri.fr
- Veronique Stangret, Ingénieure de l’agriculture de l’environnement, cheffe de projet et tiers temps : veronique.stangret@educagri.fr
- Guillaume Bapst, Ingénieur de l’agriculture de l’environnement, enseignant BTSA APV et tiers temps : guillaume.bapst@educagri.fr
- Aurélie Iyapah, Ingénieure de l’agriculture de l’environnement, enseignante BTSA APV :aurelie.iyapah@educagri.fr
- Sylvain Schwarz, Enseignant d’agroéquipement BTSA APV et Bac Pro : sylvain.schwarz@educagri.fr
Article source : adt.educagri.fr
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