L’intérêt du bâchage papier des piles de bois-énergie en montagne
Article paru dans le Bioénergie International n°60 d’avril 2019
La production de plaquettes forestières permet depuis des dizaines d’années le développement de l’usage du bois dans de nombreux domaines énergétiques. Renouvelables et neutres en CO2, elles sont consommées très largement dans les installations de chauffage à distance où elles présentent les avantages de permettre une importante automatisation dans son usage et d’assurer un prix compétitif de l’énergie face aux autres sources de chaleur. La difficulté principale rencontrée avec ce combustible naturel est liée à sa teneur en eau relativement élevée et variable durant l’année. Suivant le mode de production, on obtient des plaquettes plus ou moins humides avec un impact direct sur le pouvoir calorifique et le prix.
Le pré-séchage du bois-énergie stocké en piles
Dans sa brochure éditée fin 2017 « Plaquettes de bois de qualité optimale », l’association Energie-bois Suisse aborde la question du pré-séchage du bois-énergie non-déchiqueté stocké en piles. Un ensemble de recommandations y est présenté :
- il est préférable de placer les piles sur les crêtes et les mamelons hors forêt pour privilégier l’exposition au vent,
- il faut prévoir un dégagement au sol suffisant de la pile, avec un support en bois massif, pour la garder au sec,
- l’accessibilité de la pile doit être garantie à tout moment (déneigement des voies d’accès).
la durée de stockage ne devrait pas excéder une année pour une question de conservation du contenu carboné.
Le bois de feuillus (hêtre) présente un processus de séchage lent et atteint sa teneur en eau minimale au bout de 8 à 9 mois, mais ce dernier reste ensuite plus ou moins constant. Une couverture n’est pas jugée nécessaire.
Pour les résineux (épicéa), le bois atteignant sa teneur en eau minimal au bout de 3 à 5 mois de stockage, il est recommandé de déchiqueter la pile passé cette durée ou de la recouvrir, faute de quoi la teneur en eau serait de nouveau en hausse. La couverture est réalisée avec des rouleaux en papier renforcé. Il est important de déposer la protection suffisamment tôt dans la saison, c’est-à-dire avant la fin juin ou la fin juillet, selon les conditions météorologiques.
Cette technique est utilisée en Europe du Nord, notamment avec le produit Walki®Biomass Cover (Télécharger la plaquette d’information ici). Ce fournisseur finlandais souligne l’intérêt de protéger le futur combustible de la pluie, de la neige et de la formation de blocs de glace. Outre un contenu énergétique amélioré grâce au séchage (5 % à 15 % annoncé), Walki souligne également comme avantage une réduction des frais de transport grâce à la réduction du poids du bois.
Expérience dans la couverture des piles de bois
En Suisse, Jean-Maurice Chappalley, garde forestier du triage de Jogne-Javroz à Charmey dans le canton de Fribourg, a acquis une longue expérience dans la préparation de piles de bois-énergie pour alimentation de la centrale de chauffage à distance de la commune. Cette chaufferie alimente en chaleur notamment le centre thermal Les Bains de la Gruyère et ce sont 13 500 m³ de plaquettes qui sont consommés annuellement.
À Charmey, les piles de bois qui restent de longs mois voire plus d’une année en forêt sont systématiquement couvertes. Le séchage obtenu, mais jamais mesuré systématiquement, a permis d’observer une plus grande facilité dans le réglage des chaudières et un meilleur respect de la consigne de puissance. Le séchage par couverture a en particulier permis de solutionner une source importante de pannes : auparavant, l’humidité élevée du bois avait pour conséquence que des poussières humides se déposaient et encrassaient très régulièrement les cellules photoélectriques de mesure du niveau du stock de combustible. Cela entraînait, passé un certain temps, l’arrêt des chaudières.
À relever qu’en plus du séchage, la couverture papier permet d’empêcher l’infiltration d’eau provenant de la couche de neige recouvrant la pile. Sans la couverture, il y a un risque important que le gel entraîne la formation d’un ensemble de grumes soudées rendant plus difficile l’usage du grappin du camion déchiqueteur. D’une manière plus générale, la couverture permet de conserver plus longtemps les piles en forêt et minimise la perte en substance au cours du stockage. Le gain de l’opération n’est donc pas seulement énergétique mais offre une amélioration sensible à la fois dans l’exploitation en forêt et dans la gestion de l’installation de chauffage.
Ailleurs dans le Canton de Fribourg, la Corporation forestière Forêts-Sarine, située en plaine, a réalisé plusieurs essais mais a jugé les avantages d’une couverture peu concluants. La Corporation alimente 13 centrales de chauffage à distance pour un total d’environ 20 000 m³ par an. La différence d’altitude, la plus grande proportion de feuillus et les chutes de neige moins importantes qu’à Charmey peuvent expliquer ce constat. L’abondance de la ressource énergétique et la mobilisation nécessaire en ressource humaine pour effectuer l’opération ont également influé sur la décision.
Dans le canton de Neuchâtel sur le massif du Jura, David Vuillemez, garde forestier à La Sagne, est responsable de la centrale de chauffage à plaquettes du village. Cette commune a la particularité d’avoir de grandes surfaces de pâturages boisés. Son entretien entraîne la production d’un volume important de cimes et de grosses branches. David Vuillemez a observé que l’usage des bâches en papier renforcé permet d’éviter, du fait du séchage, la transformation en compost des grosses branches qui rendrait impraticable leur combustion. Le contenu énergétique du combustible séché obtenu représente un gain appréciable pour la production de chaleur sans entraîner une augmentation significative des frais d’exploitation et de maintenance.
Au Québec, l’entreprise Partenariat Innovation Forêt a réalisé l’une des rares études évaluant la conséquence du bâchage des piles (en téléchargement ici). Réalisée de janvier 2012 à mars 2013, elle ne concernait que des bois résineux. Il ressort de cette étude que durant la phase de séchage de mai à septembre, il n’y a pas de gain avec la bâche mais que de septembre à mars un gain de 10 % a été mesuré. L’étude arrive à la conclusion que le recouvrement peut être justifié économiquement à partir d’une diminution du taux d’humidité de 5 % (Figure 1).
Des tests de bâchage ont aussi été réalisés en France dans le cadre du projet MOQAPRO par le consortium UCFF/ONF/FCBA/Walki. Huit chantiers ont été suivis en 2014/2015 avec des produits assez variés (bois durs/tendres, feuillus/résineux, avec/sans feuilles). Deux largeurs de bobines de bâche ont été utilisées (4 et 6 m). Les durées de bâchage ont varié de 3 à 15 mois avec pour certains chantiers des mesures répétées à 3, 6 et 10 mois. Sur l’ensemble des mesures, l’opération de bâchage est bénéficiaire pour une diminution moyenne de teneur en eau d’environ 5 %. Il est toutefois observé une grande variabilité entre les chantiers.
Étude 2017-18 réalisée en Suisse romande
L’étude a porté sur la récolte d’échantillons de plaquettes forestières à partir de 16 piles de grumes alimentant la centrale de chauffage à distance de Charmey. L’altitude des piles se situait entre 850 et 1 400 m. Les piles ont été déchiquetées au cours de 14 campagnes qui se sont déroulées entre le 10 octobre 2017 et le 15 mai 2018 pour un volume total d’environ 13 500 m³ de plaquettes. Le volume des piles oscillait entre environ 600 et 3 000 m³ plein, 1 m³ plein donnant au déchiquetage environ 2,5 m³ de plaquettes. La composition en essences des piles était approximativement de 60 % de résineux (épicéa 60 % et sapin 40 %) et de 40 % de feuillus (hêtre 90 % et frêne 10 %).
Quarante échantillons de plaquettes forestières ont été prélevés en forêt, identifiés par un code, emballés hermétiquement, envoyés par Poste le jour même et analysés dans les jours qui suivent pour connaître leur teneur en eau. Sur quelques échantillons une analyse granulométrique a été effectuée pour tester la variabilité.
Seize échantillons proviennent de piles couvertes plus d’un an et vingt-quatre échantillons de piles non-couvertes ou découvertes une année plus tôt. Les piles ont été édifiées entre avril 2015 et avril 2018. Les piles non couvertes étaient constituées de coupes très récentes ou de piles ayant été découvertes lors d’opérations de déchiquetage dans les mois ou l’année qui précèdent.
Méthode de prélèvement
Un échantillon est obtenu à partir de six prélèvements pour assurer une bonne représentativité. Ces six prélèvements proviennent d’un ou deux conteneurs et sont effectués en surface, une fois le conteneur rempli. La figure 2 représente schématiquement le conteneur rempli en plusieurs étapes de déchiquetage. La prise d’échantillons en surface assure, dans une certaine mesure, la représentativité de l’ensemble des plaquettes du conteneur.
Pour effectuer ce choix sur le nombre de prélèvement, l’étude s’est inspirée du Projet Opti-Screen (optimisation de l’échantillonnage à la livraison) réalisé par l’ADEME. À noter que la différence majeure dans cette étude est que les prélèvements s’effectuent après remplissage du conteneur pour s’assurer de la provenance exacte des prélèvements et non pas au moment du déversement dans le silo de la centrale de chauffage. La raison est que plusieurs piles de bois couvertes ou non couvertes pouvaient être déchiquetées le même jour.
En cas d’études futures, il serait souhaitable d’organiser le prélèvement à la livraison au silo pour profiter du mélange qui s’opère naturellement lors du déchargement du container et améliorer ainsi la représentativité de l’échantillonnage. Après analyse, cette remarque s’applique en particulier pour les piles non-couvertes, montrant de plus fortes variations en eau.
Les prélèvements sont ensuite mélangés et une petite partie seulement représentant moins de 1 kg est mise dans un sachet d’une contenance de trois litres muni d’une fermeture assurant une parfaite étanchéité.
Pour chaque échantillon, un code d’identification est établi permettant d’indiquer de quelle campagne de déchiquetage il s’agit, du lieu de la pile de bois, si la pile était couverte ou non et du numéro de l’échantillon provenant de la même pile quand il y en avait plusieurs. Ce code est inscrit sur le sachet contenant l’échantillon et il est indiqué dans le rapport de mesure. Un rapport de mesure est effectué pour chaque campagne de mesure.
Pour chaque pile de grumes ont été enregistrées :
- la localisation exacte de la pile,
- la date de l’édification de la pile de bois (mise à port de camion),
- la date de la couverture papier de la pile (si c’est le cas),
- la notification avec ou sans la couverture papier au moment du déchiquetage.
Méthode de mesure de la teneur en eau
Les plaquettes ont été analysées suivant les critères développés par le QM Chauffage au bois et la norme ISO 17225-4. La teneur en eau a été mesurée avec une balance de précision avant et après le séchage. Trois échantillons sur les 40 ont fait l’objet d’une analyse de granulométrie.
Les plaquettes ont été séchées dans un four à une température de 102(±2) °C. C’est par la mesure périodique du poids que l’on peut savoir quand l’échantillon de plaquettes est complètement sec : le poids mesuré successivement ne varie plus. Le poids est mesuré directement après la sortie du four pour éviter la reprise d’humidité.
Résultats et discussions
Quantification du séchage
La figure 3 présente les résultats des mesures de teneur en eau des échantillons en fonction de leur date de prélèvement. Les trois mesures pour contrôler la granulométrie ont montré que celle-ci était régulière et correspondait à la classe P45S.
Les échantillons provenant de piles couvertes sont significativement plus secs. On note également une plus faible dispersion des mesures. Elle s’explique logiquement par le fait que, pour les piles non-couvertes, les grumes placées au cœur de la pile sont protégées par celles en surfaces. La différence entre la valeur moyenne des échantillons provenant de piles non-couvertes avec la valeur moyenne de ceux des piles couvertes (sans la série du 5 décembre 2017) est de 5,7 %.
Une analyse plus fine des résultats en vue d’estimer aussi précisément que possible l’influence du bâchage nécessite de comparer des piles dont les paramètres principaux sont proches. Ceux-ci sont essentiellement la date de mise à port de camion (correspondant à peu près à la date d’abattage), la localisation, la date de prélèvement (déchiquetage) et la date de bâchage pour les piles couvertes.
Pour les campagnes à partir de février 2018, la plupart des piles de bois non-couvertes étaient composées de bois fraîchement abattus. On observe une forte dispersion des mesures et dénote la difficulté à obtenir une mesure représentative avec un seul échantillon pour les piles de bois non-couvertes. La forte dispersion peut s’expliquer par la localisation des bois dans la pile, mais également suivant les essences déchiquetées, la porosité des bois résineux étant largement supérieure à celle des feuillus durs.
Les campagnes retenues pour les calculs furent les campagnes n°1, 3, 5 et 7. La campagne 4 du 5 décembre 2017 avec les carrés rouges a la particularité suivante : les échantillons proviennent de la pile qui avait été découverte et partiellement déchiquetée lors de la précédente campagne du 22 novembre 2017. Entre-temps, de fortes précipitations neigeuses ont eu lieu. On observe ainsi que les conditions météorologiques sur une période de deux semaines ont suffi à annuler le gain de séchage dû à la couverture. Le calcul donne 5,8 % de différence entre les deux prises d’échantillons. Pour la campagne n°1, l’échantillon présentant une teneur en eau de 35,5 % n’a pas été retenu, car la mise à port de camion et le bâchage ont été réalisés un an avant les trois autres échantillons.
Pour les campagnes 1, 3, 5 et 7, la différence entre les valeurs moyennes des piles couvertes et de la ou des piles non-couvertes est de 0,8, 7,5, 3,7 et 4,3 respectivement. Ce qui donne une valeur moyenne de 3,7 %. Même si les incertitudes sur les mesures sont élevées pour les piles non-couvertes, un gain d’environ 4 % dû à la présence de la couverture semble une valeur réaliste compte tenu des observations dans la pratique.
Dans le but d’essayer de connaître l’influence des conditions météorologiques dans les jours qui précèdent sur la teneur en eau des échantillons prélevés, des données ont été enregistrées pour chaque campagne de déchiquetage. Celles-ci proviennent du site internet de la Confédération www.agrometeo.ch. Les données ont été récoltées pour les deux semaines qui précèdent la campagne de déchiquetage. Les données enregistrées concernaient le rayonnement (Wh/m²), les précipitations (mm), l’humidité et la température. Vu l’absence d’une station de mesure proche de Charmey, les données des stations de Blonay et de Guin ont été sélectionnées. Il n’a pas été possible d’avoir accès à des données concernant la vitesse des vents.
La figure 4 montre cinq échantillons provenant de piles couvertes d’une même localisation déchiquetées lors de trois campagnes différentes : n°7, 8 et 11. Le cumul des précipitations sur deux semaines est trois fois supérieur pour les campagnes 7 et 8 par rapport à la campagne 11 si l’on compare les données récoltées par la station de Blonay. Les deux échantillons de droite (campagne n°11) présentent une teneur en eau inférieure ce qui semble cohérent avec les fortes différences de précipitations. Il n’a pas été possible de mettre en évidence l’influence d’autres paramètres, comme la localisation des piles par exemple.
Estimation du résultat financier du bâchage
Les données fournies par le garde forestier permettent de connaître le coût moyen de la couverture des piles depuis 2015. Au total, le coût pour couvrir 15 810 m³ pleins a été de 34 375 CHF (30 580 €), soit 2,26 CHF(2 €)/m³ plein.
Sur la base du résultat d’un gain en séchage d’environ 4 % et du prix d’achat de la chaleur en ct/kWh sortie chaudière, on peut estimer le gain à port de camion et le comparer au coût du bâchage pour connaître le résultat financier de l’opération.
Basé sur les résultats des campagnes 1, 3, 5 et 7, on estime la teneur en eau moyenne des piles non-couvertes à 45 % et la teneur en eau moyenne des piles couvertes à 41 %. Le pouvoir calorifique est calculé à partir des données du Manuel de planification QM Chauffage au bois® sur la base d’un mélange 60 % résineux (données pour l’épicéa) et 40 % feuillu dur (données pour le hêtre).
Connaissant le prix d’achat sortie chaudière (5,5 cCHF/kWh), les coûts pour le déchiquetage (9,6 CHF/m³ de plaquettes) et le transport (3,8 CHF/m³ de plaquettes), il est possible de traduire le gain en pouvoir calorifique par un gain pour les grumes mis à port de camion.
Le résultat du calcul donne un gain d’environ 1,7 CHF/m³ plein (1,5 €). En ce qui concerne l’exploitation des chaudières, il a été mentionné l’observation d’une diminution significative du nombre de pannes et d’une plus grande facilité dans le réglage des chaudières depuis la couverture d’une bonne partie des piles.
De ce qui précède, on peut faire l’hypothèse d’un gain en rendement annuel des chaudières de l’ordre de 2 % (87 % avec la couverture et 85 % sans). Le même calcul donne alors un gain de 4,1 CHF/m³ plein sur les grumes à port de camion (3,62 €/m³ plein).
Ces résultats montrent que le coût pour la couverture est probablement compensé par le gain en pouvoir calorifique voire légèrement bénéficiaire grâce à une amélioration du rendement annuel. Le gain en termes de diminution de frais de maintenance pour l’exploitant du réseau ne peut être que positif mais est difficilement estimable.
Conclusions
Les résultats obtenus permettent de mettre en évidence, pour la situation décrite, un gain en séchage d’environ 4 % grâce à la présence d’une couverture en papier renforcé sur les piles de bois.
Une comparaison entre le gain énergétique dû au séchage et le coût de l’opération de bâchage des piles montre une probable opération légèrement bénéficiaire compte-tenu de la diminution notable du nombre de pannes se traduisant par un meilleur rendement annuel de l’installation.
Par sa localisation dans les Préalpes, la région de Charmey présente deux particularités qui justifient la couverture des piles : un enneigement relativement important durant l’hiver, et une proportion importante de résineux prompts à reprendre de l’humidité après séchage pendant l’été.
Cette étude à elle seule ne permet pas de répondre s’il y a intérêt à couvrir les piles de bois dans une région moins soumise aux intempéries que Charmey et avec des forêts plus riches en proportion de feuillus (plaine). Seule une étude avec une attention particulière sur les conséquences dans l’exploitation de la centrale de chauffage permettrait d’y répondre.
Richard Golay, Energie Bois Suisse – golay@energie-bois.ch – +41 21 706 50 32 – www.energie-bois.ch
Énergie-bois Suisse remercie le Service de l’énergie du Canton de Fribourg pour son soutien financier à la réalisation de l’étude.
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