Les armes du totalitarisme énergétique français
Editorial de Marc Théry dans sa lettre « Territoires Energéthiques » de mai 2014.
Un visiteur allemand francophone et francophile m’a récemment raconté sa stupéfaction quand il a assisté à une conférence organisée à Paris, au mois d’avril 2014, par l’AX (association des anciens élèves de l’École Polytechnique), sur le thème de la transition énergétique en Allemagne : de la part d’ « experts » révérés comme tels, une vision à œillères de ce qui se passe outre Rhin et une large méconnaissance des mécanismes de ce pays où tout ne se joue pas à Berlin, mais sur le terrain, dans une multitude de collectivités et d’entreprises libres, qui expérimentent et améliorent sans cesse. Par opposition à la vision « macro », centralisatrice, des pouvoirs français, qui s’abritent toujours derrière les fantômes des services publics égalitaires et universels. Ce ne sont clairement plus aujourd’hui que des structures oligopolistiques qui cherchent à tout prix à maintenir leur mainmise, pour le plus grand profit de quelques-uns (et le plus grand dommage de la plupart, car nous ne sommes pas là dans des logiques gagnant-gagnant). Cet ami m’exprimait son effarement devant la sclérose de ces élites technocratiques françaises, dont le seul rôle semble être aujourd’hui de surtout maintenir un statu quo et de trouver toutes les bonnes raisons pour ne pas bouger. C’est un mal français ancien hélas.
La collusion des pouvoirs publics, politiques et administratifs, et des grands groupes industriels leur a permis de forger des armes redoutables pour interdire toute tentative n’entrant pas dans leurs vues. Nous ne parlerons pas ici de tout l’arsenal législatif et réglementaire, sur lequel il y a tant à dire. Nous évoquerons seulement le « trafic », la manipulation des coûts et des tarifs de l’électricité, qui est finalement l’arme la plus redoutable. Il est établi comme dogme intangible de ce pouvoir, si dominant qu’il finit par avoir des allures proprement totalitaires, que la France a l’électricité la moins chère d’Europe, sinon du monde, grâce au nucléaire si généreusement déployé par nos géniales élites (celles-là mêmes qui organisaient le colloque évoqué ci-dessus et y participaient). Il est certain que, si on fait supporter par l’impôt une grande partie des coûts (R&D, traitement des déchets à longue durée de vie etc.), si, de plus, on en sous-estime notablement, voire on en ignore une autre partie (démantèlement des installations en fin de vie, assurances etc.), la facture présentée au consommateur est bien réduite, jusqu’à prétendre que le coût de production est aujourd’hui autour de 40 €/MWh. Du coup, dès que vous proposez d’autres sources d’électricité, ce sera toujours plus cher, et trop cher, donc non susceptible d’entrer dans un mécanisme de marché ouvert. « Ils » laisseront une place (que diable, nous sommes une société pluraliste et libérale !) aux énergies qualifiées d’alternatives, grâce à des mécanismes complexes, pleins d’effets pervers et révocables d’un trait de plume, en criant haut et fort que tout ça coûte bien cher et qu’il faut surtout veiller à ce que cela reste marginal. Ce qui ne les empêchera pas de surfer sur la vague d’estime des énergies renouvelables pour faire réaliser quelques bonnes affaires aux copains, comme on le voit avec l’éolien offshore. Mais surtout ne dites pas qu’ils vendent cette électricité-là autour de 200 €/MWh : cela ferait désordre ; tout est à mettre au (mauvais) compte des « énergies renouvelables », ces gadgets pour écolos. Et ainsi, alors que la parité de coût de l’éolien terrestre et bientôt du photovoltaïque avec les productions fossiles et fissiles ne pose pratiquement plus question partout dans le monde, tous ceux qui font, à quelque degré, la politique de la France dans ce domaine soutiennent mordicus le contraire et, au nom de l’économie (!), nous enfoncent dans ces impasses ruineuses.
Nous nous garderons bien de dire que la voie des énergies renouvelables est une allée de sable fin bordée de rose, mais nous pourrions nous mettre sérieusement au travail, plutôt que de faire des projets renouvelables « alibis », convaincus, et même désireux que cela ne marche pas, pendant que nous gâchons tous nos moyens sur des projets nucléaires, payés par nos impôts, dont la démesure le dispute à la témérité irresponsable.L’énergie juste !
Marc Théry, Territoires Energéthiques
Pour en savoir plus :
Tribune intéressante, toutefois on retrouve à nouveau un biais fréquent dans la réflexion : cet article parle d’électricité, pas d’énergie ! Or, pour justement sortir des difficultés évoquées par l’auteur, il faut bien considérer l’ensemble des usages et des filières, et non uniquement les usages de l’électricité et les filières de production d’électricité.