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1974-2024 : 50 ans pour commencer à abandonner le paradigme énergétique de stock pour celui de flux

Editorial du Bioénergie International n°93 de septembre 2024

La durabilité des approvisionnements énergétiques passe par la domestication des flux aux dépens des extractions minières, photo Frédéric Douard

Cesser de se comporter comme des êtres opportunistes, dépendants de manière hasardeuse de l’existence de stocks de ressources mis à disposition gratuitement par la nature, tels les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, en s’en remettant à notre époque aux caprices des marchés, à la découverte de gisements, à l’exploitation d’autrui, à la spéculation, parfois au vol et à la violence, au lieu de se comporter en gestionnaire, sur des bases renouvelables, programmées, raisonnées, maîtrisées, fruits de son propre travail, tel serait l’avènement d’une révolution énergétique durable.

L’homme a déjà connu une telle mutation de ses pratiques avec l’avènement de l’agriculture, il y a 10 000 ans : il a cessé de courir après les ressources, d’être tributaire des éléments et du hasard, pour s’orienter vers le travail et l’art de produire de manière perpétuelle à son échelle, ce dont il a besoin pour manger et se vêtir. En matière énergétique, l’humanité est encore à l’époque paléolithique des chasseurs-cueilleurs : il cherche et se sert dans les stocks fossiles de la planète, par la force s’il le faut, sans se soucier des autres ni du lendemain. Pour qu’il passe à l’art de produire lui-même l’énergie dont il a besoin, il doit s’orienter vers le travail et l’art de la produire de manière perpétuelle. Pour cela il doit oublier tout ce qui s’épuise pour s’orienter vers ce qui est renouvelable et perpétuel à son échelle. Cette énergie perpétuelle, ce sont les multiples déclinaisons de deux flux d’énergie : celui du soleil et celui émis par le cœur brûlant de notre planète. On reconnaîtra des ressources utilisées depuis l’aube de l’humanité : le rayonnement solaire, le cycle de l’eau, le vent, les marées, la géothermie terrestre et marine, et bien sûr, la plus ancienne et la plus facile à stocker des énergies solaires : la biomasse.

Cette exploitation des ressources de flux doit se faire de manière calculée, programmée, équilibrée avec le flux naturel et avec la meilleure efficacité possible. On ne doit pas reproduire ici les travers dommageables que connaît une certaine agriculture. Car la population est si nombreuse aujourd’hui, qu’il ne lui faudrait pas longtemps pour dégrader ce fabuleux potentiel, notamment pour ce qui concerne la biomasse, une énergie de flux, certes, mais qui est en même temps une énergie de stock, mais de court terme. De ce type d’écueils, nous avons depuis l’Antiquité de nombreux exemples de surexploitation notamment forestière et qui ont conduit à l’effondrement de sociétés humaines. Plus récemment les Européens avaient réduit à peau de chagrin les forêts du continent pour alimenter leur industrie : cela les mena au premier grand choc énergétique de leur histoire, à la fin du 17e siècle, ce qui les obligea à trouver une alternative au bois : ce fut le charbon !

Depuis 1974 et le premier choc pétrolier mondial, des alternatives renouvelables sont recherchées, expérimentées et mises en œuvre avec succès. Mais comme pour l’agriculture en son temps, cette mutation de la pratique par le travail est plus difficile à faire que de continuer à simplement cueillir, extraire ou piller, et donc la transition est lente. Et si l’abus des énergies fossiles carbonées n’avait pas eu pour conséquence de réchauffer et de perturber le climat de la planète, la mise en œuvre de ces alternatives renouvelables aurait dû attendre encore plus longtemps, et précisément la fin des stocks fossiles, après avoir mis la Terre sens dessus dessous. Le changement climatique pourrait-il alors être une chance, une chance que les perturbations qu’il occasionne sur les habitudes et le confort des humains les fasse réagir avant la fin des stocks fossiles ? Espérons-le ! Et pour observer la remontée en puissance des énergies renouvelables depuis quelques décennies, je suis tenté de répondre oui à la question : c’est un avertissement qu’il faut savoir entendre. Et bien que les humains des deux siècles précédents se soient contentés d’avidité et d’insouciance, ceux du 21e, s’ils veulent conserver une planète agréable, doivent s’emparer des carburants puissants de l’esprit que sont l’observation, la connaissance, l’objectivité, la raison et la recherche de l’harmonie avec l’ensemble du vivant.

Frédéric Douard, rédacteur en chef

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