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Huile de palme : les idées reçues ont la peau dure

Plantation de palmiers à huile au Cameroun, photo Frédéric Douard

La culture du palmier à huile et l’huile de palme alimentent aujourd’hui un débat passionné, au centre de nombreux thèmes d’actualité : déforestation, « malbouffe », biodiversité, déforestation, réchauffement climatique…. Qu’en est-il réellement ? Rencontre avec Alain Rival, spécialiste du palmier à huile au Cirad et co-organisateur du Symposium international Palms 2010 qui s’est tenu à Montpellier du 5 au 7 mai 2010.

Idée reçue n°1 : On coupe la forêt primaire pour planter des palmiers à huile, ce qui menace la biodiversité.

Sur les 21 millions d’hectares de forêt primaire qui ont disparu en Indonésie entre 1990 et 2005, 3 millions correspondent effectivement à la création de palmeraies (Persey, 2010). Quid des 18 millions restant ? Le bois est exploité pour la production de bois d’œuvre, de pâte à papier, de charbon de bois. Lorsqu’elles ne sont pas replantées, les surfaces déforestées sont laissées en friche jusqu’à ce qu’elles deviennent des savanes dégradées qui seront, ou non, reconverties pour des activités agricoles. Si une forêt primaire est transformée en plantation, la perte de biodiversité s’élève à 85 %, mais c’est le cas de toute monoculture intensive, sous les tropiques comme ailleurs…

Comment éviter les coupes ? Le commerce du bois constitue l’apport nécessaire aux premiers investissements dans une plantation : semences, pépinières, infrastructures, préparation du sol, etc. Pour éviter les extensions de palmeraies dans les zones de forêt primaire, il convient donc de fournir un revenu équivalent à celui issu de la coupe du bois et de déplacer le projet de création de palmeraie vers une savane dégradée ou une zone agricole à reconvertir. D’après R.H.V. Corley (2009), si on mettait en culture toutes les terres dégradées recensées a ce jour, uniquement en Indonésie, on pourrait satisfaire les besoins en corps gras de la totalité de la population mondiale jusqu’en 2050. Il n’est donc pas inéluctable de couper de la forêt primaire pour répondre aux besoins croissants en corps gras de la population mondiale.

Quelle solution pour concilier la préservation de la biodiversité et un développement agricole indispensable pour la population ? Identifier des forêts à « haute valeur de conservation » et les entourer de zones tampons incluant des agroforêts à côté des plantations permettant une activité humaine raisonnée : cultures vivrières, fruitiers, caoutchouc, plantes médicinales ou même écotourisme. Cette pratique permet d’éviter une réduction drastique de la biodiversité consécutive à l’ouverture d’espaces agricoles en limite directe de forêt primaire. La culture du palmier à huile est alors intégrée à une planification du paysage en concertation avec les populations locales (Koh et al, 2009).
Dans les zones dédiées à la monoculture du palmier à huile, il s’agit aujourd’hui de produire plus et mieux : cette intensification écologique passe par la mise à disposition de tous les planteurs, familiaux ou industriels, de matériel végétal amélioré issu des programmes de sélection et par l’optimisation de l’utilisation des engrais.

Cueillette des régimes du palmier à huile. Chaque partie du palmier fournit des produits utiles à l’homme. © Cirad, A. Rival

Idée reçue n°2 : Le palmier à huile est une culture à 100 % industrielle qui profite aux multinationales occidentales.

Les multinationales agroalimentaires du Nord ne contrôlent plus le secteur des plantations. Ce dernier est occupé, soit par des sociétés nationales publiques ou privées, soit par des petits planteurs, groupés ou non en coopératives. Ceux-ci fournissent 60 % de la production mondiale. Les petits planteurs, soit consomment leur huile, soit la revendent sur le marché local, ou encore vendent leurs fruits à des usiniers. Suite aux privatisations de la filière palmier, notamment en Afrique de l’Ouest, les petits planteurs ne sont plus encadrés par de grands programmes nationaux et les rapports entre usiniers et producteurs se sont modifiés. Ce secteur exploite aujourd’hui une multiplicité étonnante d’agro systèmes à base de palmier à huile.

En Indonésie, ce sont 1 000 à 2 000 dollars par an et par hectare qui sont générés par la culture du palmier à huile, un revenu qui a contribué significativement, selon McCarthy (2010) à la régression de la pauvreté et à l’émergence d’une classe moyenne rurale. Aujourd’hui, plus de 5 millions de personnes en Indonésie dépendent directement de la culture du palmier à huile.

Idée reçue n°3 : La culture du palmier est polluante.

Le palmier à huile est la plante la plus productrice en huile, avec des rendements moyens de l’ordre de 6 tonnes/hectare/an dans de bonnes conditions écologiques (jusqu’à 12 T/ha dans les meilleurs essais génétiques actuels). Pour exprimer le potentiel des meilleures semences, l’utilisation de fertilisants est indispensable. Les engrais constituent aujourd’hui 60 % des coûts d’exploitation d’une plantation. Il y a donc un risque réel de pollution, notamment des nappes phréatiques, lorsqu’ils sont utilisés en excès et/ou au mauvais moment. Cependant, le problème est partagé par toutes les monocultures intensives dans le monde.

Le Cirad et ses partenaires travaillent sur la fertilisation raisonnée des palmeraies depuis plus de 50 ans. L’idée est d’optimiser les apports d’engrais afin qu’ils profitent au mieux à la plante au travers d’applications fractionnées et raisonnées, évitant ainsi que les résidus se retrouvent dans les nappes ou les eaux de surface. Ces besoins sont évalués au travers de prélèvements de sols et de feuilles dans les plantations. Leur analyse permet de donner des limites à l’utilisation d’engrais en fonction de la saison, de la physiologie de la plante, de la nature du sol ou de l’âge de la plantation. Cette gestion raisonnée n’est pas un concept nouveau, mais elle prend de l’ampleur depuis quelques années avec la prise de conscience que les hauts rendements doivent aller de pair avec la protection de l’environnement. De même, très tôt, le Cirad a travaillé sur le compostage des résidus d’usine afin de recycler les effluents solides et liquides issus des huileries.

Côté pesticides, en revanche, le palmier à l’huile joue la carte de la chance : il n’y a, à ce jour, pas de parasite ou ravageur du palmier qui n’ait pas de solution biologique. La fusariose en Afrique a été éradiquée grâce à des semences résistantes issues de programmes de sélection variétale classique. Les recherches vont dans le même sens concernant les attaques de Ganoderma en Asie du Sud-Est. Des expérimentations sont également en cours pour identifier les agents responsables de la Pourriture du Cœur en Amérique latine, en parallèle de l’exploitation des ressources génétiques apportées par l’espèce amazonienne Elaeis oleifera. Trois continents, trois maladies qui pour l’instant restent confinées dans leur contexte d’origine.

L’extraction de l’huile de palme à partir des fruits s’effectue en outre par pression, sans ajout d’adjuvant chimique, de même que pour l’huile d’olive.

Fruits du palmier à huile. © Cirad, A. Rival

Idée reçue n°4 : L’huile de palme contient des acides gras saturés, elle est donc mauvaise pour la santé.

L’huile de palme est en effet hydrogénée, c’est ce qui lui donne sa consistance solide sous nos températures tempérées. Mais elle l’est naturellement. Le beurre de cacao est également naturellement hydrogéné. Cependant, personne ne dit qu’il est mauvais pour la santé d’en consommer. En revanche, une huile peut être hydrogénée industriellement pour lui donner une consistance plastique intéressante lors de sa transformation. Or, il existe depuis longtemps des accidents d’hydrogénation des huiles non naturellement hydrogénées qui vont mener à la production d’acides gras trans, lesquels sont, eux, extrêmement mauvais pour la santé car cancérigènes. Ces accidents dépendent de la qualité de l’huile ou de la qualité de la transformation. Or, les réglementations française et européenne n’obligent pas les transformateurs à préciser si l’huile qu’elles utilisent est naturellement ou artificiellement hydrogénée et donc si elle contient des acides gras trans. Cette obligation est en revanche présente dans la réglementation américaine. Ce pays n’a d’ailleurs jamais cessé d’importer de l’huile de palme, principalement pour cette raison.

Quant aux acides gras saturés, l’huile de palme en contient environ 50 %. A titre de comparaison, le beurre de cacao en contient 60 % et l’huile d’olive, 15 %. Ces acides gras sont réputés pour être la cause de maladies cardio-vasculaires. Cependant, de récentes études scientifiques montrent aujourd’hui que l’huile de palme constitue une exception : les acides gras saturés contenus dans l’huile de palme ne sont en effet pas métabolisés au cours de la digestion. C’est également le cas du beurre de cacao mais pas du saindoux, par exemple.

Les fruits du palmier sont constitués d'une pulpe huileuse et fibreuse, elle-même recouvrant une coque noire très dure. Cette coque protège une amande ovoïde pleine, appelée « palmiste ». © PalmElit, T. Durand-Gasselin.

Rappelons pour finir que l’huile de palme non raffinée est le produit le plus riche que l’on connaisse en carotènes (précurseurs de la vitamine A) et en tocophérols, un antioxydant, d’où notamment l’intérêt de son utilisation en Afrique comme source naturelle de vitamine A.

Idée reçue n°5 : L’huile de palme sert à faire des biocrburants.

Aujourd’hui, moins de 1 % de la production mondiale d’huile de palme est utilisée comme biocarburant. Au Sud, plus de 90 % des utilisations de cette huile sont alimentaires. Il n’y a donc pas de concurrence directe entre les utilisations énergétiques et alimentaires. Toutefois, les biocarburants ont installé une tension durable sur les cours des huiles végétales. En Europe (EU27), ils consomment environ 20% des 5.4 millions de tonnes d’huile de palme importées chaque année. En outre, les cours des huiles végétales dépendent des cours du pétrole plus que des aléas climatiques, malgré l’interchangeabilité totale des huiles végétales (James Fry, in Corley) : une tendance qui se confirme depuis ces dernières années.

Source CIRAD 17 mai 2010