Le bouclage biomasse du gouvernement français pour le bois-énergie, ou comment tordre le cou d’une filière vertueuse

Le bouclage biomasse 2024 veut faire croire qu’il n’y aura pas assez de bois en France en 2030 alors qu’on est encore très loin de valoriser tout ce qui pousse ainsi que tous les déchets qu’on produit, photo Frédéric Douard
La Journée française Bois-Énergie, co-organisée par le CIBE, AMORCE, la FEDENE, la FNCCR, PROPELLET et le SER le 4 juin 2025 à Paris, a mobilisé 190 professionnels de la filière bois-énergie, parties prenantes, porteurs de projets, décideurs politiques, institutionnels et parlementaires. A l’issue de cette journée de réflexion autour des enjeux du bois-énergie et du bouclage biomasse réalisé par l’administration (vérifier l’adéquation entre les ressources et les usages), le consensus est unanime : la question du bouclage biomasse pour la filière bois-énergie est un faux sujet, prétexte pour favoriser d’autres intérêts. Ces interrogations font suite à une réévaluation du bouclage biomasse réalisé en 2024 en vue du vote de la nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) attendue depuis plus de deux ans, et qui mettrait en évidence une soit-disant pénurie de biomasse à l’horizon 2030, soit dans seulement 5 ans, alors même que 45 ans de développement du bois-énergie dans le pays n’ont pas fait bouger la récolte totale de bois, toutes filières confondues, une récolte qui stagne autour des 60% de l’accroissement naturel du pays, et alors même qu’une partie des déchets de bois français continue à être exportée à l’étranger !
Les participants rappellent tout d’abord que la durabilité de la ressource dans le cadre du bois-énergie est encadrée par les directives RED 2 et 3 et par les bonnes pratiques de la filière. Ils rappellent également que la filière bois-énergie reste structurellement liée aux autres filières pour lesquelles elle vient apporter une valorisation complémentaire des ressources locales.
Les organisations précisent également que les interrogations actuelles doivent plutôt porter sur l’enjeu collectif à limiter l’impact sur le climat en décarbonant la chaleur encore aux 2/3 dépendante des énergies fossiles et l’enjeu de résilience des forêts face à cet impact. Elles rappellent que la filière bois-énergie s’inscrit depuis des décennies dans cette dynamique et qu’elle est mature depuis de nombreuses années tant au niveau des équipements que de la diversité des approvisionnements.
La filière bois-énergie constitue donc un atout de souveraineté énergétique et de résilience des forêts dont l’élan pourrait bien être brisé par le manque de financements publics qui interviendrait dans le cadre d’une prochaine PPE qui se profile très orientée vers de grands projets centralisés, vers des carburants d’aviation décarbonés qui aujourd’hui n’existent pas sur le marché, mais surtout vers l’électrification nucléaire, profitant d’un courant d’opinion réactionnaire qui cherche à sortir les renouvelables du jeu, dans le pur style décomplexé du « Drill, baby, drill » (Fore chéri, fore). insufflé dans de nombreux esprits par l’Amérique de Trump, et dans le déni total de toutes les vacheries environnementales et climatiques que les énergies du vingtième siècle ont produit.
Or, « le bois-énergie est un enjeu de la décarbonation du mix énergétique de la France » Hervé Vanlaer, adjoint à la Direction Énergie Climat Ministère de la Transition Écologique, et les financements dont elle a déjà bénéficié à travers le Fonds Chaleur ont fait leurs preuves. « L’efficience carbone à l’euro investi est avérée pour les installations bois-énergie. Entre les années 90 et aujourd’hui, les avancées en termes de performance environnementale du bois-énergie sont considérables. » Patricia Blanc, directrice générale déléguée de l’Ademe.
Or, « sans clarification des objectifs, on ne pourra pas mettre en place le processus pour y arriver. Il est très important de poursuivre les travaux. Ce n’est pas le moment d’arrêter le bois-énergie, composante essentielle de la gestion des forêts et de décarbonation, même si ce n’est pas parfait. Quand on arrête, pour redémarrer c’est plus difficile. » Jean-Michel Servant, délégué Interministériel Forêt Bois et Usages.
Cependant, force est de constater que « la manière dont l’État traite la politique énergétique de la France est dans l’impasse. Et la sortie de l’impasse se fera grâce aux collectivités » indique Nicolas Garnier, délégué général de l’association Amorce. Les territoires plébiscitent la chaleur renouvelable, dont le bois-énergie, qui leur permet non seulement de tabler sur des factures énergétiques stables mais également de créer de l’emploi localement. Pourtant, les aides à la décarbonation de la chaleur, en particulier pour les réseaux de chaleur qui fleurissent aux quatre coins de la France peinent à se concrétiser : seulement 800 millions d’euros annuels dans le Fonds Chaleur ADEME, là où il faudrait au minimum 1,5 milliard pour financer les projets déjà présentés à l’ADEME. En comparaison, lors de la dernière crise énergétique, « 72 milliards ont été dépensés dans le bouclier tarifaire en une seule année, ce qui correspond à 70 ans de financement du Fonds Chaleur » Mathieu Fleury, président du CIBE.
Il est alors indispensable d’avoir une approche décentralisée et pragmatique des besoins en chaleur des territoires. Le travail mené par le Club de la Chaleur Renouvelable a estimé les potentiels de développement des énergies renouvelables et de récupération pour chaque région. « Il y a des besoins spécifiques à chaque territoire et des ressources différentes en fonction des régions. Le bois-énergie peut répondre efficacement aux besoins dans l’industrie pour atteindre des températures de chaleur élevées et dans le résidentiel en alimentant les réseaux de chaleur » Marion Lettry, déléguée générale de la FEDENE.
Concernant le renouvellement du parc domestique, il est indispensable de poursuivre les aides aux ménages les plus précaires. En effet, alors que la question de la qualité de l’air se pose à bien des égards, les équipements domestiques de chauffage aux bois ont fait des progrès considérables (réduction de 50% de particules fines entre 2000 et 2020), « aujourd’hui, 90% des émissions de particules fines liées au bois-énergie proviennent d’appareils anciens, installés avant 2005. Les remplacer permettrait de ramener la part du bois dans les émissions nationales de particules fines de 18% à moins de 3% » Cyrille Mercier, président de Propellet France.
Il est par conséquent urgent de consolider la filière bois-énergie qui, par ces différents aspects, a démontré sa maturité, sa résilience et son intérêt allant bien au-delà de l’énergie qu’elle fournit. De plus, face au risque de nouvelles crises énergétiques, l’intérêt de tous est de « conforter déjà ce qui existe au lieu d’imaginer des usages nouveaux » [pour la valorisation de la biomasse], Jules Nyssen, président du SER.
C’est pourquoi, les co-organisateurs de la Journée Bois-Énergie, demandent aux pouvoirs publics :
- de travailler spécifiquement sur la problématique de la décarbonation de la chaleur qui reste encore pour les 2/3 produite par les énergies fossiles, en déclinant au niveau régional les objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie.
- d’allouer au Fonds Chaleur de l’ADEME une enveloppe budgétaire à la hauteur des enjeux de décarbonation de la chaleur, et en définissant une trajectoire pluriannuelle de ces financements, pour donner la visibilité nécessaire à l’élaboration des projets.
- de maintenir les aides au remplacement des anciennes installations domestiques, ce qui concourt à l’amélioration de la qualité de l’air et à l’inclusivité de la transition énergétique.
Le CIBE, Amorce, la FEDENE, la FNCCR, Propellet France et le SER attendent un signal clair de la part des pouvoirs publics à travers la prochaine PPE et le projet de Loi de Finance 2026 afin que le rôle prédominant du bois-énergie soit réaffirmé et qu’ils s’engagent vis-à-vis de la filière à des soutiens pérennes à la hauteur des objectifs de décarbonation de la chaleur.
Les supports des présentations de la Journée Bois Energie 2025 sont disponibles sur cette page.
Frédéric Douard