Les postes de rebours, outils clés pour libérer le potentiel de biométhane en France
Article paru dans le Bioénergie International n°79 de juin 2022
Depuis deux ans, la France est devenue le pays européen qui avance le plus vite en matière de développement de l’injection de biométhane dans les réseaux de transport et de distribution de gaz naturel. Fin mars 2022, le pays dépassait ainsi les 400 sites d’injection pour une capacité globale de 7 TWh PCS par an. Cette dynamique est aujourd’hui d’autant plus pertinente que la situation géopolitique invite à sortir du gaz fossile encore plus vite que prévu par les impératifs climatiques. Ceci ne peut cependant se faire sans renforcement et adaptation des réseaux, car ces productions sont injectées par les petites extrémités des réseaux, alors même que ceux-ci ont été conçus pour fonctionner dans l’autre sens. Cette configuration initiale des réseaux pose notamment problème lorsque ces derniers ne sont plus, faute de consommation suffisante, en capacité d’absorber la totalité de la production locale, celle-ci devant alors être torchée par les producteurs en pure perte. Ceci intervient à certaines périodes de l’année, de la semaine ou de la journée, voire potentiellement tout le temps dans les zones à faible consommation. Pour y remédier, depuis 2018, le transporteur de gaz GRTgaz met en place des stations de rebours. Ces équipements permettent ponctuellement de prélever le gaz en surplus dans le réseau de distribution, voire dans son propre réseau de transport, et de le rediriger vers des territoires voisins ou vers un site de stockage souterrain pour une consommation différée.
Un poste de rebours, ça fonctionne comment ?
Lorsque l’injection de biométhane ne peut plus être absorbée par les consommations locales, la pression du gaz augmente dans le réseau de distribution. La station de rebours va alors agir comme une soupape. Elle va extraire l’excédent à partir d’une valeur de pression définie localement, par exemple 9,5 bar sur un réseau fonctionnant normalement à 7 bar, puis va le recomprimer à la pression de transport locale, à 40, 67.7 ou 80 bar, puis le rediriger en amont. Ce prélèvement sur l’aval cessera par contre juste avant retour à la pression nominale du réseau, pour éviter un fonctionnement en canard qui extrairait en aval ce qui serait compensé en amont.
Les stations de rebours, essentiellement constituées de compresseurs, d’équipements de contrôle de la qualité du gaz, et d’organes de mesure de pression et de débit, ne fonctionnent que dans un sens : de l’aval vers l’amont. Leur fonctionnement est naturellement automatique mais est contrôlé au niveau national par cinq centres de surveillance pour ce qui est du réseau GRTgaz. En cas de dysfonctionnement, pouvant entraîner une saturation du réseau et un risque de torchage chez les producteurs, des équipes de techniciens sont d’astreinte 24 h/24 et 7 j/7 pour intervenir dans les plus brefs délais.
Des installations indispensables pour absorber une production décentralisée
Dans les régions où la production de biométhane se densifie, ou dans les régions à faible densité de consommateurs, sans poste de rebours, peu de projets pourraient voir le jour de manière viable, le réseau bridant leur capacité d’injection et donc leur chiffre d’affaires. La mise en place du rebours apporte donc une visibilité aux porteurs de projets, ce qui favorise la concrétisation des nouvelles unités de méthanisation. Cette évolution technique de l’infrastructure gazière française apporte ainsi la flexibilité qui permettra de disposer en bien plus grande quantité d’une énergie renouvelable totalement stockable et pilotable, et indispensable à la stabilité du système énergétique national.
Une plus grande facilité réglementaire depuis 2020
Début 2020, la mise en œuvre d’une évolution réglementaire majeure a permis d’accélérer la mise en place de nombreuses centrales de biométhane, et a accru, par voie de conséquence, le besoin en postes de rebours. Il s’agit du droit à l’injection, instauré par la loi EGalim du 8 novembre 2018. Il attribue la charge des travaux de renforcements nécessaires à l’injection de biométhane aux gestionnaires de réseaux, et non plus aux producteurs, sous réserve du respect d’un principe d’efficacité économique. Ainsi, actuellement, les travaux sont à la charge des gestionnaires de réseaux jusqu’à un montant maximal de 4 700 € par Nm³/h, et si surcoût il y a, il est à la charge des porteurs de projets. Initialement, les coûts de renforcement étaient entièrement à la charge des producteurs.
Parallèlement depuis 2019, pour planifier intelligemment les travaux d’adaptation des réseaux, à des coûts raisonnables pour la collectivité, des zones de raccordement économiquement possible sont étudiées par les opérateurs, des zones sur lesquelles les porteurs de projets peuvent inscrire leurs capacités d’injection. Elles sont soumises à la Commission de Régulation de l’Énergie qui les valide ou pas. Ces zones sont définies viables en fonction des possibilités de débouché local du gaz, ce qui demande parfois la réalisation d’interconnexions et de renforcement de sections sur le réseau de distribution, ou de poste de rebours sur le réseau de transport. Ce zonage, qui est évolutif, permet d’avoir une vision précise et prospective du développement du biométhane à l’échelle nationale et locale.
Les premiers zonages ont été soumis à la validation de la CRE au printemps 2020. Depuis, la CRE a délibéré à plusieurs reprises, permettant de valider 302 zones à fin avril 2022. Dans 64 de ces zones est prévue la mise en place d’une station de rebours. Ces zones, qui sont établies selon un découpage cantonal, couvrent aujourd’hui 75 % du territoire national et concentrent 70 % du potentiel de biométhane établi par l’étude Solagro 2050.
De manière concrète, la répartition territoriale des capacités actuelles et prévisionnelles est établie sur la base du registre des capacités de biométhane. Ce fichier, piloté par les gestionnaires des réseaux de transport GRTgaz et Teréga, permet de gérer les réservations, de suivre l’avancement des projets et permet d’établir des projections. Les inscriptions se font lors de la commande de l’étude de faisabilité, étude durant laquelle les gestionnaires de réseaux informent les porteurs de projet sur son potentiel exutoire en fonction du profil de consommation de la zone à laquelle ils envisagent de se raccorder.
Résultat de ces aménagements : 2021 a été une année record pour le nombre de nouvelles centrales de biométhane en France et 151 des unités de méthanisation mises en service cette année-là ont opté pour l’injection de biométhane, alors qu’il n’y en avait eu que 214 durant les dix années qui ont précédé !
Perspectives et besoins à 2030 et 2050
Fin 2021, le registre des capacités faisait apparaître plus de 1100 projets représentant 25 TWh supplémentaires par an, un volume correspondant à la consommation annuelle moyenne de 4 millions de nouveaux logements chauffés au gaz. À côté de cela, l’objectif de production de biométhane fixé par la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie à l’horizon 2028 n’est que de 14 à 22 TWh, des chiffres qui devront être largement revus à la hausse lors de la prochaine mise à jour de la PPE, a priori en 2023, et ce pour répondre, en plus des objectifs climatiques, aux nouveaux impératifs d’indépendance énergétique. Cet objectif pourrait être plus proche des 50 TWh à 2030, selon l’ambition des acteurs de la filière biométhane et pour y parvenir, c’est 6 TWh qu’il faudrait mettre en service par an entre 2025 et 2030.
Le montant prévisionnel des investissements pour accueillir le biométhane dans les réseaux de transport et de distribution dans les prochaines années en France s’élevait fin 2021 à un total de 1000 M€ (répartis à 50/50 entre investissements de raccordement et de renforcement). Ces travaux vont permettre de multiplier par six la capacité d’accueil du réseau, soit au moins 35 TWh de biométhane par an. Ainsi, conformément à l’objectif de la loi instituant le droit à l’injection, les réseaux ne devraient plus constituer un point de blocage au développement de la filière.
Pour situer les chiffres cités précédemment, ENGIE a estimé le potentiel de biomasse européenne disponible en 2050 comme pouvant permettre de produire plus de 1 700 TWh PCS de biométhane par an (155 milliards de Nm³), soit l’équivalent de la totalité du gaz russe jusqu’ici importée annuellement au sein des États membres de l’Union européenne ! Pour la France, qui serait le principal contributeur dans ce schéma, le chiffre serait de 320 TWh/an, ce qui correspond pour le pays, à 64 % des 500 TWh importés par la France en 2019, une année hors Covid.
Les actifs dédiés au biométhane de GRTgaz
Fin avril 2022, le transporteur GRTgaz exploitait sept installations de rebours à Noyal-Pontivy (Morbihan), Pouzauges (Vendée), Marmagne (Cher), Mareuil-lès-Meaux et Marchémoret (Seine-et-Marne), à Soissons (Aisne) et à Argentan (Orne). La toute première installation de rebours française était celle de Noyal-Pontivy qui a été mise en service le 8 novembre 2018.
Plus globalement, GRTgaz affiche aujourd’hui un portefeuille de 37 projets de postes de rebours en France, dont les 7 en service, plus 12 qui sont en construction et 18 à l’étude, pour un volume global d’investissements de près de 120 millions d’euros. Le coût d’un poste de rebours se situe en effet entre 2,5 et 3,5 M€ selon les contraintes de site et la capacité qui varie entre 1000 et 3 000 Nm³/h. La plupart de ces projets devraient se concrétiser entre 2022 et 2024.
Les projets actuellement sur le registre des capacités pourraient générer une production supplémentaire de 18 TWh d’ici à 2030 sur le réseau GRTgaz. Un assouplissement des délais administratifs qui impactent actuellement de nombreux projets serait de nature à favoriser l’aboutissement concret d’une part importante de ces projets et permettrait d’envisager 20 TWh de capacités installées à l’horizon 2025. Avec le nouveau dispositif des certificats de production et les appels d’offre récemment lancés par le gouvernement, des volumes supplémentaires pourraient alors être concrétisés et contribuer à l’objectif de 50 TWh en 2030. En tenant compte de ce qui est déjà en service, l’ensemble des projets pourrait donc produire 20 TWh d’ici à 2024.
Après 2030 et jusqu’à 2050, avec objectif à 320 TWh, GRTgaz estime le nombre de postes de rebours à installer en plus à 120 sur son réseau pour un investissement additionnel de 350 M€. L’investissement total pour le transporteur serait alors proche de 500 M€, pour ces 160 postes de rebours, une somme que l’on pourrait qualifier de raisonnable au regard du service immense qui sera rendu en termes d’autonomie, de décarbonation, de traitement des déchets et de soutien à l’agriculture.
Notons enfin que parallèlement aux postes de rebours, GRTgaz raccorde aussi lui-même un certain nombre de producteurs sur son réseau. Il en compte déjà 50, vise la centaine d’ici à 2024 et 330 à 2030.
Merci à Jean-Marc Le Gall, directeur du Projet Biométhane chez GRTgaz, pour sa contribution à cette information.
Frédéric Douard
Voir également cette vidéo sur le poste de rebours de Marchemoret en Seine-et-Marne :
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