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Andreas Keel invite les Suisses à penser plus global et à mieux valoriser le bois sans débouché en énergie

Andreas Keel est ingénieur forestier et directeur de l’association Energie Bois Suisse, photo Christoph Rutschmann

Andreas Keel est ingénieur forestier et directeur d’Energie-Bois Suisse. Depuis trente ans, il s’investit corps et âme en faveur de la deuxième plus importante source d’énergie en Suisse, aux côtés de l’hydro-électricité. Il a apporté une contribution déterminante à l’essor de l’énergie-bois qui chauffe aujourd’hui près d’un huitième des bâtiments suisses à l’aide de ce combustible renouvelable, indigène et respectueux du climat.

Le peuple suisse a dit non à la loi sur le CO2 en ce mois de juin 2021. Les pessimistes n’y voient qu’un champ de ruines dans la politique énergétique et climatique suisse et que des phrases creuses en nos obligations contractées dans le cadre de l’Accord de Paris pour réduire les GES. Mais le monde continue de tourner et l’impératif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle n’a rien perdu de son actualité et de son urgence.

Le directeur d’Energie-bois Suisse, Andreas Keel s’était fortement engagé en faveur de la loi sur le CO2. Que ressent-il après cette défaite très serrée ? Christoph Rutschmann lui a posé la question.

Monsieur Keel, que pensez-vous du non du peuple à la loi sur le CO2 ?

Andreas Keel : « Nous avons dû nous préparer à ce résultat de bonne heure, car le fait que la loi sur le CO2 soit votée le même week-end que les initiatives agricoles a beaucoup entravé ses chances. Un bon nombre de gens ont probablement trouvé que la votation était trop «verte» dans l’ensemble. Mais interpréter ce non comme un verdict contre les énergies locales et renouvelables serait une grave erreur. C’est notamment dans les régions rurales que l’énergie du bois, par exemple, jouit d’une grande importance. Les gens savent très bien que l’exploitation durable des forêts nous permet de remplacer de grandes quantités d’énergies fossiles et ainsi de créer des emplois dans divers secteurs, qui sont bien ancrés dans la région. »

D’où vous vient cette certitude ?

« C’est très simple : les projets à l’énergie-bois qui sont nés au cours des dernières années sont très nombreux, notamment dans les zones rurales. Il s’agit par exemple de centrales de chauffage qui fonctionnent au bois déchiqueté provenant directement des forêts locales et régionales et qui chauffent des quartiers ou villages entiers à travers les réseaux de chaleur. Ces installations sont éprouvées, robustes et fiables. Les projets de ce type résultent le plus souvent des décisions populaires dans les municipalités. Comme ils sont pour ainsi dire légitimisés par une base démocratique, ils bénéficient de l’acceptation de la population. Les gens sont disposés à utiliser les énergies renouvelables si elles fonctionnent aussi bien que le bois. »

Andreas Keel a raison, comme le prouve la statistique officielle de l’énergie du bois publiée par l’Office fédéral de l’énergie : le nombre de chauffages à plaquettes a plus que triplé, passant d’environ 3200 en 1990 à près de 11 300 installations aujourd’hui. En parallèle, le volume de bois-énergie a été multiplié par cinq, soit d’environ 400 000 à plus de 2,3 millions de mètres cubes pleins. De plus, les systèmes à pellets ont commencé il y a quelques années à développer de nouveaux segments de marché et consomment aujourd’hui nettement plus d’un demi-million de mètres cubes de bois.

Déchiquetage de bois-énergie en forêt, photo Christoph Rutschmann

M. Keel, ne devons-nous pas craindre que nos forêts vont bientôt manquer de bois ?

« Que les gens se soucient de l’existence de nos forêts me paraît réjouissant. Pourtant, la préoccupation ne devrait pas porter sur la question de leur surexploitation, car les volumes de bois qui se régénèrent dans la forêt suisse sont bien plus élevés que ceux que nous exploitons. Des conditions cadres légales très rigoureuses interdisent la surexploitation du bois en Suisse. Par contre, nous devrions davantage nous préoccuper de l’impact du changement climatique sur nos forêts, par exemple du fait que les essences principales sur le Plateau suisse – le hêtre, l’épicéa et le sapin blanc – vont succomber aux périodes de canicule et de sécheresse au cours des prochaines décennies et devront être remplacées par des essences qui résistent mieux au climat. Cette «restructuration» de nos forêts constitue un défi gigantesque qui va nettement augmenter les volumes de bois récoltés. Plus le pourcentage de feuillus sera élevé, plus la part de bois-énergie augmentera. Mais nous veillerons toujours à exploiter le bois en conformité avec les cycles naturels, contrairement à l’exploitation abusive que l’on pratique pour l’extraction des énergies fossiles ou de l’uranium.»

Pouvez-vous chiffrer plus concrètement le potentiel de bois-énergie inexploité, ou autrement dit : jusqu’où les arbres finiront-ils par pousser ?

« Nous venons tout juste de recevoir les chiffres les plus récents de la statistique de l’énergie du bois 2020 de l’OFEN. Notre exploitation annuelle se situe à presque 5,6 millions de mètres cubes. Ce volume nous permet de remplacer l’équivalent de plus d’un million de tonnes de mazout et d’économiser l’émission de 3,3 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère par an. Le potentiel supplémentaire relativement facile à exploiter se situe entre 2 et 2,5 millions de mètres cubes, dont environ 1 million de m3 provient directement de nos forêts. Le reste se compose de bois issu de l’entretien paysager, des résidus de la transformation du bois et du bois de récupération. En gros, nous pourrions donc accroître notre exploitation de bois de plus de 40% sans que cela ne pose problème et abandonner environ 500 000 tonnes de mazout préjudiciable au climat pour les laisser aux magnats du pétrole et aux oligarques. Les avantages économiques qui en résulteraient me séduisent tout particulièrement : un demi-million de tonnes de mazout coûte plus de 50 millions de francs aujourd’hui. Nous ferions mieux d’investir cet argent dans les métiers locaux plutôt que de soutenir les multimilliardaires du pétrole. »

Bois bûche en séchage, photo Christoph Rutschmann

Ces chiffres parlants prouvent que la récolte de bois-énergie peut et doit se poursuivre encore des années durant. L’intérêt économique et relatif à la politique climatique et énergétique est indéniable. Dans le secteur du chauffage des bâtiments, nous pourrions porter la part d’énergie du bois à entre 16% et 18% dans notre pays, sans avoir besoin de surexploiter nos forêts ou de concurrencer des assortiments bois de qualité supérieure destinés à la construction ou à l’industrie du meuble. Jusqu’ici, aucun inconvénient… mais nous n’avons pas encore abordé la problématique de l’environnement ! Les émissions de poussières fines provoquées par les chauffages au bois font régulièrement l’objet de débats. Et Andreas Keel, qu’en dit-il ?

L’hiver dernier, on a de nouveau discuté les émissions de fines produites par les chauffages au bois. L’industrie n’a-t-elle pas fait ses devoirs ?

« Depuis 1990, le volume de bois-énergie exploité est passé de 3,25 millions à près de 5,6 millions de mètres cubes. Durant la même période, les volumes de fines émises par toutes les chaudières au bois ont diminué de deux tiers, passant de presque 7000 à 2000 tonnes par an! Davantage d’énergie-bois signifie donc moins de fines ! Par rapport à leur importance quantitative, les petites chaudières à alimentation manuelle émettent un peu plus de fines par kilowattheure d’énergie produite. Mais là aussi, comme pour toutes les catégories de chaudières, les progrès techniques ont permis de réduire les émissions de manière significative. En outre, Energie-bois Suisse exige depuis longtemps que l’on sanctionne rigoureusement les moutons noirs qui brûlent du bois humide ou contaminé, voire des déchets dans leurs cheminées. Notre ordonnance sur la protection de l’air OPair a été une nouvelle fois durcie voici deux ans. Les valeurs limites qui s’appliquent aux émissions aujourd’hui sont le résultat d’un processus politique intense impliquant tous les milieux et institutions concernés. Selon ma conception de la démocratie, nous devrions maintenant accepter et appliquer ces prescriptions plutôt que de remettre le principe en question en permanence. De mon point de vue, cela revient à reprocher constamment à un automobiliste de rouler à 120 km/h sur l’autoroute, la vitesse autorisée. Depuis deux ans, les autorités chargées de l’exécution n’ont donc pas uniquement la possibilité, mais aussi l’obligation de mesurer et de contrôler les installations au bois de petite taille. Si certains continuent d’exploiter des systèmes qui émettent trop de fines, cela signifie que l’OPair n’est pas encore systématiquement mise en œuvre. Or, il est clair que l’assainissement de vieilles chaudières au bois apporte une contribution importante à la réduction continue des émissions de fines. »

Andreas Keel en juillet 2021, photo Christoph Rutschmann

Ces énoncés forts d’Andreas Keel s’appuient notamment sur un rapport publié en avril 2021 par un groupe d’experts à l’intention de l’Office fédéral de l’environnement OFEV. En bref, on y conclut que l’exploitation complète de l’énergie renouvelable et climatiquement neutre issue de nos forêts constitue un impératif de rigueur, ce qui nous permet de passer à notre dernière question.

Quels obstacles faut-il éliminer pour que l’on puisse valoriser le potentiel de bois-énergie inexploité le plus rapidement et complètement possible ?

« Le plus gros obstacle, ce sont les œillères que nous avons dans nos têtes. Elles empêchent certains de regarder à gauche et à droite pour voir la réalité dans son ensemble. Nous fixons plutôt notre regard sur un unique aspect partiel et trouvons ainsi facilement un prétexte pour ignorer le contexte global. Les poussières fines ou le désir d’idéaliser nos forêts féériques qui stockent le carbone sont des exemples des problèmes de luxe de ce genre. »

Christoph Rutschmann, ingénieur forestier, pour le compte d’Energie-bois Suisse, association créée en 1979.

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