Lien de bannissement

Le carbone ne doit pas devenir le critère d’évaluation exclusif des pratiques forestières

« L’arbre qui cache la forêt, biomasse renouvelable, cycle du carbone incontournable », Serge Defaye, photo Frédéric Douard

Le cycle du carbone, c’est le passage permanent d’un état gazeux (CO2) à une forme solide (hydrates de carbone), via la photosynthèse. De forme solide, il repassera invariablement à l’état gazeux par oxydation thermochimique ou biologique, après un laps de temps plus ou moins long, qui diffère selon les terroirs, les essences, les types de peuplement, les usages (matériaux, fibres, énergie, litière…) : de quelques dizaines d’années pour une cagette de peuplier à plusieurs centaines d’années pour les charpentes de Notre-Dame !

La biomasse n’est pas un matériau inerte que l’on pourrait mettre sous cloche

Le cycle a vocation à se reproduire, provoqué par différentes causes naturelles ou humaines : incendie, décomposition, exploitation forestière …

La forêt française a été mise en danger à plusieurs reprises par les grands défrichements du Moyen Âge ou par les révolutions industrielles du 17/18ème siècle. Par contre elle s’accroît depuis la fin du XIXe siècle, en surface comme en volume sur pied.

Actuellement, les usages du bois connaissent des évolutions contrastées :

  • bois d’œuvre, en stagnation ou en légère augmentation ;
  • bois d’Industrie, en régression (papier et panneaux) ;
  • chauffage domestique (granulés exceptés) et bois de feu traditionnel, en diminution ;
  • usages énergétiques, collectif industriel, en croissance.

Nonobstant les évolutions contrastées de ces différents usages, on constate que la totalité des prélèvements est très inférieure à l’accroissement biologique annuel : le rapport prélèvement /accroissement se situe entre 50 à 60% (source IFN), variant d’une année à l’autre, selon les marchés et les conditions climatiques d’accès aux parcelles.

L’institut Forestier National estime que la forêt, au cours des trente dernières années, a stocké un milliard de mètres cubes supplémentaires. Du fait de la biomasse foliaire résultante, c’est autant de C02 capté en plus : le stock de carbone, dans la seule biomasse aérienne, s’accroît de 1,5 % chaque année.

La forêt française est en croissance depuis deux siècles, photo Frédéric Douard

Contrairement aux idées reçues, la forêt hexagonale ne décapitalise pas sur pied et ne dégrade pas son taux de carbone dans le sol, lequel est peu ou prou corrélé à la nécro-masse issue d’un stock en augmentation.

La forêt française n’est donc pas surexploitée pour satisfaire de nouveaux besoins énergétiques ! Elle ne le sera pas non plus à l’avenir, même en considérant l’hypothèse très ambitieuse de la Programmation Pluri-annelle de l’énergie (PPE) à l’horizon 2030 (8 millions de m3 supplémentaires à mobiliser).

On peut même dire à l’inverse que beaucoup de forêts sont sous-exploitées.

En effet, celles qui stockent, année après année, le plus de carbone sont les peuplements vigoureux et en bonne santé, récoltés à maturité. Contrairement aux forêts très anciennes, au stade « du climax » ! Les forêts vieillies, en mauvais état et/ou malades, avec beaucoup de bois mort sur pied et à terre ont un mauvais rendement photosynthétique : la lumière atteint mal les feuilles/capteurs, car les arbres, branches ou cépées morts sont un obstacle à sa pénétration; elles sont  plus  victimes des fortes tempêtes  et plus sujettes aux risques d’incendies et aux maladies  parasitaires et ne sont  pas nécessairement favorables à la biodiversité, car les animaux se nourrissent de plantes vivantes et des fruits qui en sont issus !

La question majeure qui se pose au sujet de l’effet de serre n’est donc pas, contrairement à une opinion en cours, celle du « plus ou moins grand stockage/déstockage, à la marge, du carbone dans les forêts tempérées septentrionales », dans la biomasse aérienne comme dans le sol.

Les émissions de gaz à effet de serre posent deux questions essentielles

Premièrement, les consommations massives d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) pour des usages énergétiques et non énergétiques en remplacement de matériaux et d’énergies renouvelables qui perturbent de façon considérable le cycle biogéochimique du carbone.

En second lieu, la déforestation des forêts équatoriales et tropicales humides, en Amazonie (élevage intensif et soja), en Asie (surexploitation des bois précieux et plantations de palmiers à huiles) et en Afrique (déforestation et surconsommation de bois de feu sans efficacité). Cette déforestation conduit à un effondrement rapide du stock de bois sur pied, dans ces écosystèmes fragiles, qui ne se reconstitueront pas à l’identique rapidement, à l’horizon du pas de temps centenaire qui doit nous occuper. À quoi s’ajoutent les incendies non maîtrisés dus à des sécheresses fortes et prolongées, dans la zone méditerranéenne, en Californie, en Australie… Avec non seulement destruction de carbone, mais grave atteinte à la biodiversité, accompagnée d’émissions particulaires et gazeuses particulièrement polluantes et importantes.

Les questions posées par d’honorables chercheurs, qui modélisent à tout-va et obtiennent des résultats variables selon les hypothèses prises en compte, ne doivent pas être balayées d’un revers de main. Cependant, il convient de revenir aux questions fondamentales et ne pas se focaliser sur l’accessoire, même quand il a de l’intérêt.

On peut, sans prendre de grand risque, souhaiter la poursuite d’une sylviculture/exploitation forestière raisonnable et raisonnée, comme on la pratique en Europe : garantissant une bonne adéquation entre ressources et usages, assurant toutes les fonctionnalités attendues des écosystèmes concernés, évidemment variables selon leurs spécificités, avec ici ou là des dominantes productives, écologiques au sens large, paysagères ou récréatives.

L’arbre ne doit pas cacher la forêt. Autrement dit, le carbone ne doit pas devenir un critère d’évaluation des pratiques forestières, exclusif et dominateur, prenant le pas sur les autres atouts des espaces boisés et leurs multiples usages.

Serge DEFAYE, président d’Honneur du Comité Interprofessionnel du Bois Energie (CIBE)