Le COVID-19, opportunité ou menace pour la transition énergétique mondiale
Des perturbations sans précédent causées par la COVID-19 menacent la transition vers une énergie propre. Le Forum Économique Mondial publie aujourd’hui une étude mesurant la préparation à la transition vers une énergie propre dans 115 économies : 94 d’entre elles ont fait des progrès depuis 2015, mais la durabilité environnementale reste à la traîne. La crise actuelle offre la possibilité de repenser la façon dont l’énergie est produite, fournie et consommée, et une plus grande collaboration est nécessaire pour s’assurer que les récents gains ne soient pas annulés.
La pandémie de coronavirus risque d’annuler les progrès récents dans la transition vers une énergie propre, avec des baisses sans précédent de la demande, de la volatilité des prix et de la pression exercée pour atténuer rapidement les coûts socio-économiques, ce qui vient compromettre la trajectoire à court-terme de la transition.
Les politiques, les feuilles de route et les cadres de gouvernance pour la transition énergétique aux niveaux national, régional et mondial doivent être plus robustes et résistants face aux chocs extérieurs, selon la dernière édition du rapport Fostering Effective Energy Transition 2020 du Forum Économique Mondial publié aujourd’hui.
La COVID-19 a forcé les entreprises de tous les secteurs à s’adapter aux perturbations opérationnelles, aux changements de la demande et aux nouvelles méthodes de travail, et les gouvernements ont introduit des plans de relance économique pour aider à atténuer ces effets. S’ils sont mis en œuvre en gardant à l’esprit les stratégies à long terme, ils pourraient également accélérer la transition vers une énergie propre, en aidant les pays à intensifier leurs efforts vers des systèmes énergétiques durables et inclusifs.
« La pandémie de coronavirus offre l’occasion d’envisager une intervention peu orthodoxe sur les marchés de l’énergie et une collaboration mondiale pour soutenir une reprise qui accélérera la transition énergétique une fois cette crise atténuée » a déclaré Roberto Bocca, responsable du département Énergies et matériaux au Forum Économique Mondial. « Cette réinitialisation géante est pour nous l’occasion de mettre en œuvre des stratégies agressives, avant-gardistes et à long terme, qui mèneront à un système énergétique diversifié, sûr et fiable soutenant à terme la croissance future de l’économie mondiale de manière durable et équitable. »
Le rapport s’appuie sur les informations tirées de l’Indice de transition énergétique (ETI) 2020, qui compare 115 économies en fonction des performances actuelles de leurs systèmes énergétiques – à travers le développement économique et la croissance, la durabilité environnementale et les indicateurs de sécurité et d’accès énergétiques – et leur préparation à la transition vers des systèmes énergétiques sûrs, durables, abordables et inclusifs.
Les résultats pour 2020 montrent que 75 % des pays ont une meilleure durabilité environnementale, même si le score moyen mondial dans cette catégorie reste le plus bas des trois catégories évaluées. Ces avancées sont le résultat d’approches multidimensionnelles et progressives, y compris la tarification du carbone, le retrait des centrales au charbon avant la date prévue et la refonte des marchés de l’électricité pour intégrer les sources d’énergie renouvelables.
Cependant, ces progrès durement accomplis mettent en évidence les limites de la dépendance à l’égard des seuls gains progressifs des politiques et technologies existantes pour achever la transition vers une énergie propre. C’est dans les économies émergentes que l’on observe les améliorations générales les plus importantes, le score ETI moyen des pays dans le top 10 restant constant depuis 2015. C’est signe d’un besoin urgent de solutions révolutionnaires, besoin menacé par la COVID-19.
L’indice de transition énergétique mondiale 2020
La Suède (1) est en tête de l’ETI pour la troisième année consécutive, suivie de la Suisse (2) et de la Finlande (3). La France (8) et le Royaume-Uni (7) sont les seuls pays du G20 dans le top 10. Cependant, ils partagent des attributs communs, tels que la limitation des subventions énergétiques, la réduction de la dépendance aux importations (améliorant ainsi les besoins de sécurité émergents), la réalisation de gains en matière d’intensité énergétique du PIB et l’augmentation des engagements politiques à poursuivre des objectifs ambitieux de transition énergétique et de changement climatique.
Les performances sont mitigées parmi le reste du G20. Les centres de demande émergents tels que l’Inde (74) et la Chine (78) ont déployé des efforts constants pour rendre leur environnement plus propice à la transition énergétique, en travaillant sur les engagements politiques, l’engagement et l’investissement des consommateurs, l’innovation et les infrastructures, entre autres.
Dans le cas de la Chine, les problèmes de pollution de l’air ont entraîné des politiques de contrôle des émissions, d’électrification des véhicules et de développement de la plus grande capacité au monde de panneaux solaires photovoltaïques et de centrales éoliennes terrestres. Pour l’Inde, les gains proviennent d’un programme d’expansion des énergies renouvelables mandaté par le gouvernement, désormais étendu à 275 GW d’ici 2027. L’Inde a également fait des progrès importants en matière d’efficacité énergétique grâce à un approvisionnement conséquent en ampoules LED, en compteurs intelligents et en programmes d’étiquetage des appareils. Des mesures similaires sont expérimentées pour réduire les coûts des véhicules électriques.
Parallèlement, la tendance a été modérément positive en Allemagne (20), au Japon (22), en Corée du Sud (48) et en Russie (80). L’Allemagne a fait preuve d’un engagement ferme dans l’élimination du charbon et la décarbonisation de l’industrie grâce à l’hydrogène propre, mais rendre les services énergétiques abordables a représenté un réel défi. Le Japon et la Corée sont confrontés à des désavantages naturels en tant qu’importateurs nets d’énergie. Cependant, l’environnement commercial innovant, le développement des infrastructures et l’engagement politique restent des catalyseurs clés dans ces deux pays. En Russie, le secteur de l’énergie demeure un pilier solide de l’économie et continue de dominer la sécurité énergétique à l’échelle mondiale, bien que les progrès en matière de durabilité environnementale aient été modérés.
En revanche, les scores ETI des États-Unis (32), du Canada (28), du Brésil (47) et de l’Australie (36) étaient soit stagnants, soit en baisse. Leurs défis confirment la complexité des compromis inhérents à la transition énergétique. Aux États-Unis, les vents contraires sont principalement liés à l’environnement politique, tandis qu’au Canada et en Australie, les défis résident dans l’équilibre entre la transition énergétique et la croissance économique, compte tenu du rôle du secteur de l’énergie dans leur économie.
Le fait que seuls 11 pays sur 115 ont régulièrement amélioré leurs scores ETI depuis 2015 montre la complexité de la transition énergétique. L’Argentine (56), la Chine (78), l’Inde (74) et l’Italie (26) font partie des principaux pays améliorant progressivement leur score chaque année. D’autres, comme le Bangladesh (87), la Bulgarie (61), la République tchèque (42), la Hongrie (31), le Kenya (79) et Oman (73) ont également réalisé des gains importants au fil du temps.
En revanche, les scores pour le Canada, le Chili (29), le Liban (114), la Malaisie (38), le Nigeria (113) et la Turquie (67) ont diminué depuis 2015. Les États-Unis se classent en dehors du top 25% pour la première fois, principalement en raison des perspectives réglementaires incertaines en faveur de la transition énergétique.
Plus de 80 % des pays ont amélioré leurs performances en matière d’accès et de sécurité énergétiques depuis 2015, mais les progrès dans les pays en développement d’Asie et d’Afrique restent difficiles à mettre en place. Les programmes d’accès à l’énergie dans ces régions doivent donner la priorité aux services communautaires, tels que l’éclairage public, les systèmes de chauffage et de climatisation urbains, les entrepôts frigorifiques pour la conservation des aliments et des produits pharmaceutiques, l’assainissement urbain et la gestion du trafic.
Dans les économies avancées, « l’accès » est défini par le caractère abordable. Les factures de services publics représentent une part croissante des dépenses des ménages, un défi qui pourrait être exacerbé par les incertitudes économiques créées par la COVID-19. En outre, la sécurité énergétique est de plus en plus vulnérable aux événements météorologiques extrêmes, tels que les ouragans, les inondations et les incendies de forêt – dont la fréquence et l’intensité ont augmenté – et aux cyberattaques.
Alors que les écarts entre les besoins, les engagements et ce qui est susceptible d’être accompli restent importants, les perturbations aggravées dues à la COVID-19 ont déstabilisé le système énergétique mondial avec des revers potentiels à court terme. En fin de compte, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour garantir que la dynamique récente ne soit pas seulement préservée, mais accélérée, afin d’atteindre les objectifs ambitieux requis.
Frédéric Douard