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Des granulés de bois pour verdir le réseau de chaleur de Paris

Article paru dans le Bioénergie International n°63 d’octobre 2019

La chaufferie de Saint-Ouen-sur-Seine, photo Frédéric Douard

En 2016, la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain (CPCU) montait à plus de 50 % la part des énergies renouvelables et de récupération (EnR&R) dans le mix énergétique du plus grand réseau de chaleur de France. Avec notamment l’utilisation de granulés de bois sur son site de Saint-Ouen-sur-Seine, l’opérateur répondait ainsi aux objectifs du Plan Climat Énergie Territorial de la Ville de Paris et de celui de la Région Île-de-France. Cette diversification avait pour but de réduire de 25 % des émissions de CO2 dans la Capitale et d’alimenter en chaleur majoritairement renouvelable l’équivalent de 500 000 logements le long de ses 510 km de réseau.

L’entrée progressive de la biomasse dans le réseau CPCU

À la chaufferie de Saint-Ouen, au nord de Paris, depuis 2016, après trois ans d’études et deux ans de travaux, des granulés de bois sont utilisés en co-combustion avec du charbon, en vue de la réduction du recours à ce dernier.

L’ensemble de la chaufferie CPCU de Saint-Ouen, photo Engie

Parallèlement, le fioul lourd, également largement utilisé avant cette date sur le réseau, était totalement remplacé. Pour cela, la CPCU a converti ses chaufferies de Grenelle, d’Ivry-sur-Seine, du Kremlin Bicêtre, de Vaugirard et de Bercy au gaz naturel. Deux de ces chaufferies, Grenelle et Bercy, ont également été partiellement équipées pour consommer du biocombustible liquide, un ester de type biodiesel obtenu à partir d’huiles végétales.

La cheminée de 130 mètres de la chaufferie de Saint-Ouen et l’un de ses filtres à manches, photo Engie

Les efforts de développement des énergies renouvelables produits dans la période 2010 à 2016 ont ainsi permis au réseau de chaleur de franchir durablement le cap des 50 % d’EnR&R, faisant en passant profiter ses clients de la TVA à taux réduit.

Les résultats environnementaux de ces adaptations sont considérables et ont d’ores et déjà permis de réduire les émissions atmosphériques de 25 % pour le CO2, de 90 % pour les poussières, de 98 % pour le SO2 et de 85 % pour les NOx.

Le mix énergétique de la CPCU était en 2018 composé de 51 % d’EnR&R : 44,5 % de chaleur issue des trois UVE parisiennes du SYCTOM, 5,55 % de granulés de bois, 0,4 % de biocombustibles liquides, 0,05 % de biogaz, 0,5 % de géothermie, 35 % de gaz fossile et 14 % de charbon. Rappelons que la CPCU distribue 5,2 TWh de chaleur en moyenne chaque année (5,2 millions de MWh), soit un tiers du chauffage collectif de Paris.

La salle de commande de la chaufferie de Saint-Ouen, photo Frédéric Douard

Les prochains objectifs du calendrier et fixés par la Ville sont de 60 % d’EnR&R à l’horizon 2020, de 75 % en 2030 et de 100 % en 2050. Pour aller plus loin donc, depuis deux ans à Saint-Ouen, CPCU conduit des essais pour tester l’adaptabilité de l’outil de production à un usage plus massif des granulés de bois en remplacement du charbon.

Parallèlement, le marché des énergies offre aujourd’hui de nouvelles opportunités d’utilisation de biomasses gazeuses ou liquides, utilisables très facilement et immédiatement dans les chaudières des centrales parisiennes, et en particulier le biométhane sur certificats d’origine.

Pour optimiser la trajectoire demandée par le Plan Climat Énergie Territorial, les essais de co-combustion vont se poursuivre entre 2019 et 2022 sur le site de Saint-Ouen afin d’augmenter la part de bois, de tester la chaîne logistique externe et de consolider la filière d’approvisionnement. Ces travaux devraient conduire à une augmentation de la consommation de granulé qui devrait atteindre les 140 000 tonnes en 2020.

Schéma des équipements logistiques pour les combustibles solides de la chaufferie de Saint-Ouen – Crédit CPCU

L’adaptation de la chaîne logistique de Saint-Ouen

L’utilisation de granulés de bois à Saint-Ouen a nécessité une refonte complète de la chaîne logistique précédemment organisée uniquement pour le charbon. Cela s’est traduit par la création d’un nouveau site de déchargement ferroviaire en face de la chaufferie, de l’autre côté de la rue, sur 1,6 hectare le long des docks.

Le bâtiment de réception et stockage des combustibles solides de la chaufferie de Saint-Ouen-sur-Seine, photo Frédéric Douard

La CPCU a ainsi aménagé une logistique commune pour le bois et le charbon, incluant des bâtiments de déchargement, des silos de stockage, des voies ferrées et sur 1,2 km de nouvelles galeries de convoyage souterraines vers la chaufferie.

Ecran de suivi et de gestion des stocks de combustibles solides à la chaufferie de Saint-Ouen-sur-Seine, photo Frédéric Douard. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Le nouveau site de stockage comprend ainsi cinq silos à granulés de 6500 m³ et un silo à charbon de 1500 m³, des locaux techniques et une salle de contrôle. Ces capacités de stockage procurent au site une autonomie en combustibles solides de 4 à 5 jours.

Les silos à granulés à Saint-Ouen-sur-Seine, photo Arnaud Février pour Engie

Opération de contrôle du convoyeur de granulés, photo Arnaud Février pour Engie

Notons aussi que dans ces investissements, des équipements conséquents de dépoussiérage des granulés et de sécurité sur les convoyeurs ont été réalisés pour éviter tous risques d’explosion. L’ensemble de ces investissements en logistique se monte à 75 millions d’euros.

L’acheminement des granulés jusque Saint-Ouen se fait actuellement par voie ferrée depuis le port de Dunkerque, où les granulés sont amenés par bateau de différentes provenances. L’utilisation des granulés s’opère d’octobre à mai, et durant cette période, ce sont jusqu’à trois trains de 1 200 tonnes qui arrivent quotidiennement à Saint-Ouen.

L’un des équipements de dépoussiérage des granulés dans la chaine logistique de la chaufferie de Saint-Ouen-sur-Seine, photo Frédéric Douard

L’adaptation des deux chaudières à charbon

La chaufferie actuelle de Saint-Ouen est entrée en service en 1989. Avec ses 1 200 MW d’installations thermiques, elle fournit en saison, au maximum 1 000 tonnes de vapeur à 20 bar et 235 °C au chauffage urbain de Paris et 130 MW d’électricité au réseau électrique national. Elle est équipée pour cela de deux chaudières à gaz de 170 tonnes/h chacune (120 MW), d’une turbine à gaz pouvant générer jusque 400 tonnes de vapeur/h, mais aussi pour ce qui nous concerne de deux chaudières à charbon Babcock Ignifluid de 340 tonnes de vapeur/h chacune (225 MW). C’est dans ces chaudières que les granulés de bois sont utilisés en co-combustion avec le charbon. En 2016 et 2017, le mélange était d’environ 50-50, représentant une consommation de 86 000 tonnes par an de granulés. Le but étant à terme de valider une utilisation en 100 % granulés, la part de granulés progresse et a atteint 110 000 tonnes en 2018. En 2020, pour respecter les engagements de 60 % d’EnR&R, la consommation devrait atteindre les 140 000 tonnes.

A côté des infrastructures de réception par trains, un quai de secours pour livraison par camions a également été prévu, photo Frédéric Douard. Cliquer sur le schéma pour l’agrandir.

Pour la suite, des essais concluants à 70 % ont d’ores été conduits, mais pour le 100 %, il est possible qu’il faille devoir changer les chaudières. Les dynamiques de combustion du bois et du charbon sont en effet légèrement différentes et l’opérateur est en train d’essayer d’aller le plus loin possible avec les équipements existants jusqu’au jour où il devra investir dans de nouvelles chaudières parfaitement adaptées à 100 % de granulé. Ces futurs investissements ne sont d’ailleurs pas uniquement liés au changement de combustible, mais aussi à l’âge des générateurs qui est déjà de 30 ans !

« Pour les échéances suivantes, 2030 et 2050, la consommation de granulés pourrait passer à 200 000 puis 250 000 tonnes de granulés par an », indique Bruno Vinatier, directeur de la stratégie et de l’innovation chez CPCU.

Du côté de la combustion, la conversion au bois a d’ores et déjà apporté des résultats très positifs avec en particulier une réduction très forte des émissions de polluants mais aussi de mâchefers dont la production est divisée par dix en passant du charbon au bois.

Les deux chaudières Babcock de la chaufferie de Saint-Ouen-sur-Seine, photo Frédéric Douard

Le foyer des chaudières actuelles est composé d’une grille tournante avec injection gravitaire du combustible. La combustion se réalise sur trois niveaux et est calée sur 3 % d’oxygène en sortie. Comme les chaudières consomment encore du charbon, une injection de chaux est pratiquée dans la chambre de combustion pour neutraliser les acides et fixer le soufre (VLE 200 mg). Pour la maîtrise des oxydes d’azote, les chaudières disposent d’une recirculation des gaz de combustion et d’un dispositif de traitement SNCR à l’urée avec six points d’injection par niveau de combustion (VLE 200 mg). Enfin, deux électrofiltres en sortie de chaudières abattent les émissions de poussières en deçà des 20 mg/Nm³ exigés par l’arrêté d’exploitation.

Les deux trémies à granulés de la chaufferie de Saint-Ouen-sur-Seine, photo Frédéric Douard

Les deux chaudières Babcock sont chacune alimentées par une trémie intermédiaire de 4 500 m³ de granulés. Le charbon est quant à lui injecté séparément.

Les granulés utilisés à Saint-Ouen

Train de granulés de bois à quai à la chaufferie de Saint-Ouen-sur-Seine, photo Frédéric Douard

Pour utiliser au mieux son outil de production existant, en l’occurrence ses deux chaudières à charbon, la CPCU a recherché le combustible bois qui se rapprochait le plus possible du charbon. En 2012-13, des essais ont ainsi été conduits avec du granulé de bois classique. Mais en 2016, la production a effectivement été lancée avec du granulé de bois torréfié, un granulé noir ou black pellet, plus haut en pouvoir calorifique et hydrophobe, en provenance de l’usine Zilkha aux États-Unis, ce type de production n’existant pas en Europe à cette échelle de besoin. Mais, cet approvisionnement n’a finalement pas pu être pérennisé car l’industriel américain rencontrait les plus grandes difficultés à stabiliser la qualité de sa production.

Livraison de black pellets à la chaufferie de Saint-Ouen, photo Arnaud Février pour Engie

CPCU a donc recherché des alternatives, et comme il n’existe à ce jour, en attendant la mise en service fin 2020 de l’usine FICAP de l’Européenne de Biomasse près de Reims, toujours pas d’autre producteur de granulés torréfié, la CPCU s’est orientée pour l’instant vers un granulé à haut PCI, un granulé marron composé de bois et de sous-produits de bois de l’industrie papetière.

Déversement de granulés sous les wagons à Saint-Ouen, photo Arnaud Février pour Engie

Il est bien entendu que la recherche de cette qualité de combustible à haut PCI est totalement liée aux exigences des équipements actuels. Ainsi, dès lors que la décision sera prise de remplacer ces chaudières, la palette des choix sera alors élargie, avec à ce moment-là, la possibilité de recourir à des granulés de bois blanc, bien plus faciles à trouver soit localement soit sur le marché mondial, ou alors à d’autres combustibles renouvelables ou de récupérations comme les CSR, largement sous-utilisés et donc disponibles en France.

A côté des infrastructures de réception par trains, un quai de secours pour livraison par camions a également été prévu, photo Frédéric Douard

Contact : Séverine Goujon / +33 144 686 557 – severine.goujon@cpcu.fr – www.cpcu.frwww.engie-solutions.com/fr

Frédéric Douard, en reportage à Saint-Ouen-sur-Seine

Voir également la vidéo réalisée par CPCU