La biomasse handicapée par la chaleur
La filière de production d’énergie à partir de biomasse souffre de nombreux handicaps, qui compromettent son développement, estime le cabinet Sia Conseil dans une étude. Les unités de forte puissance peinent à se concrétiser. Dans cette interview réalisée par Environnement Magazine Hebdo, Sia Conseil a été interrogé sur les conclusions de son étude.
Avez-vous réalisé cette étude pour le compte de la filière ?
Non. Ce travail a été réalisé pour nos besoins de formation interne. Il a ensuite été approfondi à la suite de demandes de nos clients. Ils s’interrogeaient sur l’appel d’offres de la CRE pour des unités de production d’énergie à partir de biomasse, alors en préparation au ministère de l’Écologie, et qui a été publié récemment.
Quel constat dressez-vous ?
Il est paradoxal. La biomasse est la filière sur laquelle la France mise le plus pour atteindre 23 % d’ENR en 2020, avec 17 Mtep par an soit 50 % de l’objectif, sans déployer les moyens nécessaires. L’enjeu est d’attirer les développeurs de projets, mais les tarifs de rachat de l’électricité produite, qui ont certes été revalorisés fin décembre 2009, offrent une rentabilité souvent inférieure à 5 %, contre 7 à 12 % pour le photovoltaïque. Or, la filière est exposée à plusieurs risques qu’il est difficile, sinon impossible, de couvrir avec ces niveaux de rémunération.
Quels sont-ils ?
L’approvisionnement en combustible est un défi majeur, malgré le potentiel des forêts françaises. La ressource, largement inexploitée, demeure peu accessible, alors qu’elle conditionne la réussite d’un projet. C’est pourquoi il ne faut pas s’interdire de l’importer. La deuxième contrainte à laquelle sont confrontés les opérateurs qui postulent à l’appel d’offres de la CRE est l’obligation de produire de la chaleur : or, il est difficile de trouver des débouchés sur les périodes longues nécessaires pour amortir l’investissement, notamment dans l’industrie. Un papetier ou un chimiste pourront difficilement s’engager à acheter cette chaleur sur vingt ans. Soulignons que seulement 6 projets sur les 36 sélectionnés par la CRE depuis 2004 ont vu le jour.
Que préconisez-vous ?
D’une part, que l’État revalorise les tarifs d’achat de la CRE : ils ne sont pas modulés en fonction des fluctuations du coût de la ressource. Globalement, les aides ne doivent pas se limiter aux unités de production, mais aller à la structuration de la filière amont : des aides à la création d’emploi dans les métiers de l’entretien des forêts, la collecte, à la création de plateformes d’approvisionnement : nous avons chiffré à 30 000 le nombre d’emplois pérennes susceptibles d’être créés d’ici à 2020, majoritairement dans l’amont.
Nous proposons aussi de revenir sur l’obligation, dans le cadre des appels d’offres de la CRE, de produire de la chaleur : des projets tout électrogènes peuvent être rentables. Même si l’efficacité
énergétique est moindre, le bilan environnemental sera plus intéressant qu’une centrale à charbon.
Vous proposez pourtant de développer la cocombustion fossile-biomasse…
Le charbon, même s’il est devenu marginal en France, est de loin une énergie d’avenir par l’ampleur de ses réserves mondiales. Tout moyen de produire plus propre, comme la cocombustion charbon-biomasse, est le bienvenu.
Le cahier des charges du dernier appel d’offres a-t-il évolué selon vos attentes ?
On note une évolution intéressante : dans les régions « pauvres » en électricité (Bretagne et Paca), le seuil d’efficacité énergétique pourra être inférieur aux 60 % requis, ce qui laisse la possibilité d’une production électrique pure. Mais il sera difficile à atteindre avec un prix d’achat de 115 euros par MWh, le tarif de base1 : il ne couvre pratiquement pas les frais d’approvisionnement en combustible. JPB
1. le tarif de base est modulé en fonction de l’efficacité.
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L’interview est parue dans Environnement Magazine Hebdo le 23 août 2010.
www.environnement-magazine.fr