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Comment la biomasse permettrait à la France de se rapprocher de ses objectifs d’énergie renouvelable ?

Article rédigé par Jules Napoly du cabinet de conseil SIA PARTNERS et publié sur le blog énergie et environnement du cabinet.

La centrale Biowatts à La Roseraie à Angers, photo Frédéric Douard

La biomasse représente aujourd’hui à elle seule plus de la moitié de la production d’énergie renouvelable française. Malgré cette part importante, la filière est encore loin d’être exploitée au maximum de ses capacités. En effet, la valorisation de la totalité des ressources françaises disponibles pourrait permettre d’augmenter de plus de 50% la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique français. Mais où en est la filière biomasse aujourd’hui ? Comment les déchets biomasse sont-ils valorisés ? Quels sont les freins et les perspectives d’évolutions de la filière de valorisation des déchets organiques ?

La première source d’énergie renouvelable en France.

Pour les énergéticiens, le terme biomasse désigne une source d’énergie issue de la matière organique. Elle peut être valorisée de différentes manières :

  • Par combustion : brûlée dans des poêles à bois, dans des chaufferies collectives pour produire de la chaleur ou dans des unités de cogénération pour produire de l’électricité tout en récupérant la chaleur utile du moteur ou de la turbine. C’est le cas de la biomasse solide : le bois brut et ses sous-produits, certains coproduits agricoles de matière sèche ou encore la fraction biodégradable des ordures ménagères résiduelles.
  • Par transformation en biogaz qui sera ensuite valorisé sur place ou injecté dans le réseau. On distingue la méthanisation qui traite les déchets fermentescibles (humides), la pyrogazeification qui valorise les déchets solides secs ou à faible taux d’humidité et la gazeification hydrothermale qui valorise enfin les déchets à fort taux d’humidité.
  • Par utilisation, après transformation, dans des moteurs thermiques : c’est le cas des biocarburants qui composent parfois jusqu’à 10% des carburants distribués en station essence.

L’énergie issue de la biomasse est considérée comme renouvelable car le CO2 rejeté dans l‘atmosphère lors de la combustion a préalablement été capté par l’organisme (plantes, bactéries, algues…) durant sa croissance. Il ne s’agit donc pas d’une émission de carbone fossile.

En 2016, sur les 28,6 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole) d’énergie renouvelable consommée en France, près de la moitié (14,2 Mtep) provenaient de la biomasse toutes sources confondues (Bois énergie 11,5 Mtep, Déchets biomasse 1,7 Mtep, Biogaz 0,8 Mtep, …) [1]. Cette part importante s’explique, en plus de l’abondance de la ressource, par le caractère non intermittent de ces modes de productions, contrairement aux autres énergies renouvelables (solaire, éolienne, …) dont la production dépend des conditions climatiques.

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Sur ces 14,2 Mtep, une grande part (11,2 Mtep) a été utilisée pour produire de la chaleur brute (chaufferie biomasse, poêle individuel…), tandis que le reste (3 Mtep) a été utilisé en cogénération :  0,8 Mtep ont été convertis en électricité : 7 tWh électriques produits en 2016. Le reste (2,2 Mtep) a été récupéré sous forme de chaleur.[2]

La collecte des déchets biomasse et ses axes d’évolutions

Sur les 50% d’énergie primaire renouvelable d’origine biogénique, 10% proviennent de la valorisation des déchets biomasse. Lorsqu’ils sont mélangés avec les autres ordures ménagères résiduelles (OMR), composées à 60% de biomasse environ, le mode de valorisation principal aujourd’hui est l’incinération avec récupération d’énergie. L’énergie ainsi produite est considérée renouvelable à 50% depuis 2001 [3]. Pour les biodéchets collectés séparément, la méthanisation (production de biogaz à partir de matière organique) est le mode de valorisation privilégié.

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Aujourd’hui, la collecte des déchets organique en est à ses débuts. Ainsi, les déchets ménagers organiques (déchets verts, déchets alimentaires) font l’objet d’une collecte séparée des autres ordures ménagères dans 125 collectivités en France, soit plus de 3 millions de citoyens.

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Afin de renforcer la filière, la loi sur la Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015 prévoit pour 2025 une diminution de 50% des déchets non dangereux mis en décharge par rapport à 2010. Une des pistes prévues par la loi pour atteindre cet objectif est l’augmentation de la quantité de déchets valorisés, notamment les déchets organiques, ceux-ci représentant un tiers des déchets ménagers.

Pour bénéficier d’économies d’échelles, les modes de valorisation de la biomasse nécessitent d’être centralisés, ce qui implique de transporter la biomasse sur de longues distances après sa collecte. Cependant, d’après les auteurs de la Stratégie Nationale de Mobilisation de la Biomasse (SNMB) [4], la trajectoire à adopter durant les prochaines années est de privilégier la valorisation en circuit court : autovalorisation des déchets verts, méthanisation à la ferme, etc. La SNMB de 2018 prévoit ainsi la création de Comités Régionaux Biomasse afin d’organiser la collecte et la valorisation de la biomasse en privilégiant l’économie circulaire.

Les émissions polluantes liées à la combustion des déchets biomasse ne sont pas négligeables

Les déchets biomasse tendent à être collectés séparément car les émissions issues de leur combustion, lorsqu’ils sont mélangés aux autres ordures ménagères résiduelles (OMR), sont nocives. Les centrales d’incinération émettent notamment de la dioxine, un polluant pouvant causer, entre autres, des maladies de peau. L’incinération des déchets est, en France, la source principale d’émission de dioxine dans l’air ambiant, représentant environ 30% à 40% des émissions totales du territoire. La combustion des déchets est aussi responsable de l’émission d’autres polluants atmosphériques comme les gaz acidifiants (dioxyde de soufre, fluorure d’hydrogène, …) ou encore des métaux lourds (mercure, cadmium, …)  [5].

De plus, si le CO2 rejeté par la combustion de biomasse a été préalablement capté par la plante lors de sa croissance, ce n’est pas le cas du CO2 émis lors la collecte, le conditionnement ainsi que l’acheminement des déchets biomasse jusqu’à leur lieu de valorisation. Ces activités se font le plus souvent à l’aide de machines thermiques (camions, appareils d’exploitations…), émettrices de carbone fossile dans l’atmosphère. Au global, les émissions de COissues de l’incinération des déchets ménagers (composés à 50% de biomasse) s’élèvent, après déduction du CO2  d’origine biogénique, à 150g par kWh produit [6]. Ce qui place tout de même la combustion des déchets ménagers comme mode de valorisation intéressant, puisqu’à titre de comparaison on compte environ 300g par kWh au fioul et 343g par kWh au charbon.

Biomasse : une filière en plein essor

Malgré ces difficultés, la nécessité d’avoir une énergie décarbonée, une quantité de ressources croissante ainsi que des aides économiques de plus en plus importantes expliquent l’essor que connait la filière biomasse depuis quelques années.

La valorisation des biodéchets est aujourd’hui en croissance avec l’essor de la filière biogaz. La puissance totale du parc français de production de biogaz ne cesse en effet d’augmenter. En 2018 elle était de 1206 GWh/an soit +76% par rapport à 2017 [7] et plus de 600 projets d’usine de méthanisation sont actuellement à l’étude pour une capacité totale de 14 TWh/an. Forts de cette dynamique, de plus en plus de fournisseurs d’énergie développent une offre de biogaz : pour chaque kWh de gaz consommé par le client, il est garanti que la même quantité de biogaz est injectée dans le réseau.

Cet essor va de pair avec des politiques de rachat intéressantes. Pour l’électricité produite à partir de déchets ménager, le tarif de rachat se situe entre 4,5 à 5 c€/kWh plus une prime allant jusqu’à 3 c€/kWh. Pour les centrales de productions de biogaz, les tarifs de rachats vont de 4.5 à 12.5 c€/kWh en fonction de la capacité de production de la centrale.

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L’engouement des citoyens et les politiques publiques incitatives présagent une poursuite de la croissance de la demande en biomasse dans les prochaines années. Mais comment trouver les ressources pour satisfaire cette demande tout en évitant au maximum le transport sur de trop longues distances ?

Déchets organiques : un fort potentiel de mobilisation

Le secteur des déchets représente un grand potentiel en termes de biomasse mobilisable à des coûts plus ou moins élevés. Ce potentiel est estimé dans la SNMB [4], avec l’aide des recherches de l’ADEME.

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La quantité de déchets mobilisables pour une valorisation énergétique (combustion, méthanisation…) est estimée à environ 13,4 Mtep. Cette estimation tient compte de la quantité produite et de la valorisation déjà existante. Elle ne représente que les quantités produites et non encore valorisées et donc actuellement traitées comme des déchets (enfouissement, incinération sans récupération…). Pour les déchets verts, il a été considéré que l’intégralité de la ressource était valorisée à des fins énergétiques et non compostée.

Le principal frein à la mobilisation de ces ressources est le coût de la collecte qui peut parfois être très élevé, d’autant que la filière reste à déployer dans la majorité des communes. Cela s’explique par le caractère disparate de la ressource ainsi que des erreurs de tri, notamment pour les déchets alimentaires.

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L’estimation des coûts est optimiste mais prend en compte l’importance de la proximité entre lieux de production et lieu de valorisation. Une aubaine pour la méthanisation des résidus agricoles et des boues de stations d’épuration des eaux usées (STEP) dont l’utilisation en circuit court est aisée : la totalité du biogaz peut être produit et valorisé sur place respectivement par méthanisation et cogénération. La taille des infrastructures produisant ces déchets permet effectivement de bénéficier d’économies d’échelle nécessaires à la rentabilité de ce type de projets.

C’est dans cette optique que le FEADER (Fond Européen Agricole pour le Développement Rural) propose des aides aux agriculteurs désireux de réaliser des projets de « méthanisation à la ferme » : le lisier des animaux est utilisé pour produire du biogaz, qui sera brûlé pour produire de l’électricité injectée dans le réseau et de la chaleur servant à chauffer les bâtiments.

Ainsi, première source renouvelable en France, la production d’énergie à partir de biomasse, et plus particulièrement la valorisation des déchets biomasse, pourrait fortement augmenter au vu du potentiel des ressources mobilisables. Cela permettra ainsi à l’hexagone de diminuer sa dépendance aux énergies fossiles importées tout en traitant des déchets de manière éco-responsable. Toutefois, certains points comme le contrôle des émissions de polluants issus de la combustion et du transport restent à surveiller.

De plus, le développement de la filière Biomasse, permettrait la création de nombreux emplois liés directement ou indirectement à la collecte, l’exploitation et la valorisation de la ressource.

Plus d’informations sur la filière biométhane française et européenne : Observatoire du Biométhane 2019

Une analyse de Jules Napoly. Sia Partners

Sources

  1. www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-10/datalab-35-cc-des-energies-renouvelables-edition-2018-mai2018-c.pdf
  2. www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/la-biomasse-en-chiffres
  3. www.enr.fr/valorisation-energetique-des-dechets
  4. www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Stratégie Nationale de Mobilisation de la Biomasse.pdf
  5. www.mce-info.org/Pdf/dioxines.pdf
  6. www.cciag.fr/sites/default/files/files/le-livre-blanc-SVDU-2012_VF.pdf
  7. www.grtgaz.com/fileadmin/plaquettes/fr/2019/Panorama-du-gaz-renouvelable-2018.pdf
  8. www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/etude-technico-economique-cs-biodechets-201801-rapport.pdf
  9. www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/88252_gisements-substrats-methanisation.pdf
  10. www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Méthodologie spécifique projets de méthanisation.pdf
Fondé en 1999, avec 300 consultants, le cabinet de conseil en management Sia Partners (initialement SIA-Conseil) est présent en France, Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc et à Dubai. Il a développé un magazine internet « Energies et environnement« .