Lien de bannissement

Interview sur la filière bioéthanol chez Unigrains

Sia Conseil est allé à la rencontre de M. Franck LAMY, analyste chez Unigrains, société financière spécialisée dans l’agroalimentaire. Cette rencontre a été l’occasion de revenir sur la filière éthanol qui a fait couler beaucoup d’encre, à travers le regard d’un investisseur spécialiste du secteur.

Sia Conseil : Pouvez-vous nous présenter Unigrains ?

Franck Lamy : Unigrains est une société d’investissement indépendante, partenaire des entreprises agroalimentaires et agro-industrielles, qui a été créée dans les années 60 par les céréaliers français. Cette identité très forte fait de nous le fonds français expert du secteur, capable de couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur agroalimentaire, depuis la génétique pour les semences jusqu’à la restauration. Nous souhaitons aussi faciliter l’émergence d’entreprises innovantes dans les secteurs des bioénergies, de la chimie du végétal et des biomatériaux. Nous accompagnons nos partenaires dans leurs projets de développement et privilégions un horizon de sortie typiquement de 5 à 7 ans. Unigrains gère un fond de près de 600 millions d’euros et son enveloppe annuelle d’investissements est de l’ordre de 80 M€. Par ailleurs, CEREA Gestion, filiale d’UNIGRAINS, lève et gère des fonds dédiés aux opérations de transmission ou de financement mezzanine dans l’agroalimentaire et ses secteurs connexes.

Sia Conseil : Que représentent les biocarburants pour une société comme Unigrains ?

F. Lamy : Précisons qu’Unigrains est présent dans la filière éthanol (issu du maïs, du blé,…) et non dans celle du biodiesel (issu du colza, du tournesol,…). C’est un dossier historique pour Unigrains car l’entreprise a participé au financement de la première usine de production d’éthanol de blé en France dans les années 80. Plus récemment, Unigrains a accompagné l’ensemble des nouveaux projets industriels comme BENP LILLEBONNE (TEREOS) et CRISTANOL (CRISTAL UNION) par exemples. Le bioéthanol s’est révélé être une opportunité à la convergence des objectifs européens de production d’énergies renouvelables et de la diversification des débouchés agricoles.
La filière bioéthanol en France, et plus généralement celle des biocarburants, est une des rares industries, sinon la seule, qui ait émergé ces dernières années dans notre pays profondément marqué par la désindustrialisation. Ce qui est exceptionnel, c’est la rapidité avec laquelle tout a été réalisé. Bien entendu, l’Etat a joué un rôle important dans cette dynamique, non pas en subventionnant la filière, mais en créant un contexte propice à son émergence. Cela était capital car des investissements de plusieurs centaines de millions d’euros ne peuvent être envisagés sans visibilité pour les industriels et les financeurs qui les accompagnent. L’Etat a donc décidé des objectifs d’incorporation de biocarburants dans les carburants fossiles (7 % en 2010). Cela a été accompagné d’agréments de production octroyés aux industriels engagés alors à mettre sur le marché les volumes de biocarburants nécessaires. D’autre part, deux outils fiscaux ont été mis en place : une exonération partielle et dégressive de la Taxe Intérieure sur la Consommation [NDLR : TIC anciennement TIPP] pour les biocarburants, et une Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), à laquelle sont soumis les distributeurs (pétroliers, grandes & moyennes surfaces…) ne respectant pas l’objectif d’incorporation. Globalement, le rôle de l’Etat a donc été d’ouvrir le marché des biocarburants, charge aux acteurs privés de structurer la filière et d’assurer leur équilibre économique.

Sia Conseil : Pensez-vous que la filière bioéthanol ait les moyens de faire face à la compétition internationale, notamment brésilienne ?

F. Lamy : Cette question dépasse très largement le cadre de la filière bioéthanol et des biocarburants. Elle concerne l’ensemble des productions agricoles et finalement tous les secteurs d’activité qui rencontrent la concurrence des pays émergents. Dans une logique purement économique, il est clair que nous ne jouons pas dans la même catégorie. La dimension des exploitations agricoles et le climat propice à la culture intensive de la canne à sucre sont des atouts indéniables pour le Brésil. Il n’est pas nécessaire de réaliser une analyse très fine pour comprendre que ces deux éléments au moins nous désavantagent sur le plan de la compétitivité économique.
En effet, le prix de la matière première pèse lourd dans le coût de production de l’éthanol. Vous avez alors les éléments de réponse à votre interrogation. La question sous-jacente est plus de savoir ce que nous souhaitons pour l’avenir : dépendre de pays tiers pour notre approvisionnement en produits agricoles et donc pour notre alimentation, ou bien alors défendre un potentiel de production local qui nous assure une certaine indépendance alimentaire, voir dans une certaine mesure, énergétique dans le cas des biocarburants ? Rappelons-nous que c’est la mise en place de la Politique Agricole Commune qui nous a permis de construire le modèle agricole que nous connaissons aujourd’hui et que sans lui nous ne serions pas en mesure de répondre à notre demande alimentaire. La réponse à votre question relève donc plus de choix politiques et stratégiques que de la sphère économique.

Sia Conseil : Que pensez-vous des procédés de 2ème génération de bioéthanol, produit à partir de ligno-cellulose, donc à partir de produits non-alimentaires ?

F. Lamy : Unigrains suit de près les développements de cette nouvelle technologie. Rappelons tout d’abord que deux grandes voies technologiques sont explorées aujourd’hui pour produire des biocarburants de seconde génération : la voie thermochimique pour la production d’hydrocarbures et la voie biochimique pour l’éthanol dit cellulosique.
La voie thermochimique est une évolution d’un procédé connu depuis une cinquantaine d’années pour produire des hydrocarbures à partir du charbon. Cette technologie a été notamment utilisée en Afrique du Sud pendant l’Apartheid. Elle consiste à effectuer une gazéification de la matière qui est un traitement thermique à haute température (1000 °C environ), puis à transformer le gaz ainsi obtenu en hydrocarbures par le procédé Fisher-Tropch. Aujourd’hui, il s’agit de réaliser cela à partir de biomasse et non plus de charbon. Cela n’est pas trivial sur le plan technique et n’est pas non plus sans poser quelques questions d’ordre logistique notamment. Il semble en effet, que les unités industrielles devraient avoir une capacité de production qui correspond à un approvisionnement d’au moins un million de tonnes de biomasse par an, pour faire sens sur le plan économique. En termes d’investissement « la balle » est clairement dans le camp des grands groupes énergétiques compte tenu des montants annoncés.
La voie biochimique consiste à fractionner la biomasse lignocellulosique pour pouvoir valoriser par fermentation les sucres qui la constituent. En France, c’est principalement le projet FUTUROL qui explore cette voie et qui a pour objectif de réaliser le premier pilote industriel. L’objectif est donc de lever les verrous technologiques d’une telle production et d’en valider les coûts de production. Unigrains est co-partenaire de ce projet qui associe à la fois des acteurs de l’énergie et de l’agro-industrie. Même si l’ensemble des verrous technologiques a été identifié, il est difficile à ce stade d’estimer l’horizon d’industrialisation de ce procédé. Dans le cadre d’une industrialisation, la surface agricole allouée aux biocarburants pourrait être réduite d’un facteur trois pour une même production d’énergie.

Sia Conseil : Croyez-vous que l’essor de la 2ème génération va transformer le secteur agricole avec la culture de nouvelles espèces ?

F. Lamy : la 2ème génération est guidée par la recherche de biocarburants issus de ressources non-alimentaires. A terme, il est imaginable que de nouvelles cultures soient développées spécifiquement pour produire de l’éthanol. Les recherches sont actives dans ce domaine, en particulier vers l’utilisation de taillis à courte ou très courte rotation ou vers des végétaux comme le miscanthus. Mais pour le moment, le « candidat idéal » n’a pas été découvert et nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour apprécier pleinement le potentiel agronomique et économique des nouvelles cultures. C’est le sujet de programme de recherche comme REGIX qui vient d’arriver à son terme mais qui devra être poursuivi pour délivrer des conclusions définitives.
On peut penser aujourd’hui, qu’il y aura des étapes intermédiaires dans le développement des biocarburants de nouvelle génération. En effet, il est assez probable que dans un premier temps nous apprenions à mieux valoriser la biomasse agricole que nous savons déjà cultiver. On parle par exemple d’une génération « 1.5 » où les industries continuent à produire de l’éthanol comme elles le font aujourd’hui tout en valorisant la partie lignocellulosique des céréales (paille de blé, canne de maïs,…). Cela semble faire de plus en plus consensus aujourd’hui car d’un point de vu procédé il y a une certaine complémentarité entre les unités actuelles et les procédés en cours de développement.

PARCOURS
Docteur-ingénieur chimiste de formation, M. Lamy a rejoint un cabinet de conseil en marketing stratégique après une première expérience en R&D dans l’industrie. Il a alors réalisé des missions pour les grands groupes industriels du CAC40 dans le cadre de la commercialisation de nouvelles technologies. Chez UNIGRAINS, il est en charge de l’analyse des dossiers d’investissement ayant une composante innovante et plus particulièrement dans les secteurs des bioénergies, de la chimie et des biotechnologies.

Sia Conseil, 30 août 2010