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Le CVO de Lille, le pionnier de l’injection de biométhane en France

Article paru dans le Bioénergie International n°54 de mars-avril 2018

Le CVO de Sequedin, photo MEL

La première injection de biométhane dans un réseau de gaz naturel français a eu lieu le 17 juin 2011 à Sequedin dans le réseau GrDF depuis le Centre de Valorisation Organique de Lille (CVO). Ce centre traite les biodéchets produits par les 1 134 000 habitants de la Métropole Européenne de Lille (MEL). Ces déchets sont collectés chez les particuliers, dans les déchetteries, les espaces verts, les marchés municipaux et la restauration collective.

Plus de dix ans déjà

Dès la mise en place de la collecte sélective en 1994, la MEL a fait le choix d’une collecte séparative des biodéchets. Achevé en 2007, le CVO a été mis en service progressivement à partir de septembre de la même année. Le site, qui a représenté un investissement de 55 millions €, dispose d’une capacité de traitement de 108 000 tonnes de déchets fermentescibles par an.

Le port fluvial du CVO de Sequedin pour recevoir les biodéchets et expédier le compost en conteneurs sur des péniches, photo Frédéric Douard

La production gazière du CVO devait initialement alimenter directement les bus du réseau urbain de l’agglomération (Transpole), mais la revente sur le réseau s’est avérée plus intéressante en raison du prix de rachat mais aussi parce que la production de biogaz est continue alors que la consommation des bus est discontinue, entraînant des besoins de stockage importants. C’est donc aujourd’hui au travers du réseau GrDF que Transpole fait rouler une partie de ses bus au biométhane.

Trois processus de chacun trois semaines

Les biodéchets, pré-triés par les habitants, sont collectés à part et arrivent à Sequedin par camions ou péniches. Là ils sont mélangés et broyés aux déchets verts en provenance des déchetteries. Ce broyât est criblé en deux fractions : une fine de moins de 55 mm qui va en digestion, et tout ce qui est plus gros qui servira, après tri manuel, de structurant au compost. La fraction à digérer est d’abord gardée deux jours en pré-fermentation aérobie pour lui permettre de monter en température avant de rejoindre les digesteurs. Cette préparation s’effectue en boxes fermés avec ventilation forcée.

Le Centre de Valorisation Organique de Sequedin, photo MEL

Les biodéchets liquides provenant de la restauration sont mélangés aux solides avec pour objectif un taux de matière sèche (MS) de 25 à 30 % dans les digesteurs. La matière séjourne trois semaines à une température de 57°C dans l’un de trois digesteurs horizontaux de type piston (Strabag) de 1 900 m³. Le chauffage y est assuré par l’autoconsommation de 10 à 20 % du biogaz produit, selon le volume traité.

En sortie de digesteurs, le digestat est pressé pour en retirer des jus qui sont renvoyés en tête de digesteurs pour ensemencement et correction du taux de MS. Ce digestat est ensuite mélangé avec les grosses fractions sorties en début de processus, ainsi qu’avec la grosse fraction d’affinage du compost. Le compostage est réalisé dans 22 tunnels indépendants et automatisés permettant de maintenir pendant trois semaines les conditions optimales d’une dégradation aérobie : apport d’oxygène par aération forcée, arrosage et une température qui sera maintenue au-delà des 60°C au moins pendant quatre jours afin d’hygiéniser le produit.

Le compost du CVO de Sequedin, photo Frédéric Douard

Une dernière étape de maturation en andains, également de trois semaines, est réalisée dans une halle fermée. Elle permet d’obtenir un compost normé NFU 44-051. Les andains sont aérés automatiquement par un retourneur. Le compost est ensuite affiné et déferraillé afin d’obtenir un produit correspondant à la demande des agriculteurs. Il est enfin stocké une halle en attendant son enlèvement.

Notons que les procédés de compostage et de maturation du compost nécessitent beaucoup d’eau, jusque 360 tonnes par jour en été. Pour y subvenir sans puiser dans le réseau d’eau potable l’ensemble des toitures de l’usine récupère l’eau de pluie tout au long de l’année, une eau stockée dans de grandes citernes enterrées.

Des objectifs environnementaux difficiles à atteindre

Afin d’éviter les nuisances olfactives aux abords de l’usine, à l’exception du stockage du compost fini, l’ensemble des installations a été mis en dépression. L’air vicié intérieur est aspiré vers des tours de lavage acide puis vers un biofiltre. Chaque heure, 75 000 m³ d’air sont ainsi dépoussiérés, neutralisés et désodorisés avant d’être rejetés dans l’atmosphère. Le biofiltre est constitué de 5 000 m³ d’écorces de pin contenant naturellement des bactéries qui éliminent les composés organiques volatiles porteurs des mauvaises odeurs.

Livraison de biodéchets liquides au CVO de Sequedin, photo Frédéric Douard

Malgré tous ces efforts de conception, de nombreux dysfonctionnements ont été observés à maintes reprises depuis la mise en service du site et plusieurs arrêts techniques ont dû être programmés sur plusieurs années. Notons parmi ces travaux en 2011 la modification de la ligne d’affinage du compost et l’amélioration du système de traitement de l’air de l’usine, en 2012 l’optimisation de la zone de préparation des déchets et en 2013 l’implantation de nez électroniques et des travaux en zone de maturation du compost pour d’optimiser le degré de maturité de ce dernier et d’améliorer la ventilation de la zone de maturation ainsi que dans l’usine.

L’injection de biométhane

Poste de compression du gaz Transpole, photo Frédéric Douard

Au niveau technique, l’enrichissement du biogaz en biométhane est réalisé selon le procédé Flotech qui consiste en un lavage à l’eau permettant de dissoudre le dioxyde de carbone et le sulfure d’hydrogène afin d’obtenir un taux de méthane élevé. En sortie des tours de lavage, le biométhane est séché par un tamis moléculaire, avant d’être odorisé, compressé à 20 bar et stocké dans une cuve tampon de 5 000 m³.

Au niveau de la valorisation, la MEL n’a obtenu l’autorisation administrative d’exploiter la canalisation reliant le CVO au dépôt de bus voisin qu’en octobre 2010, soit trois ans après le début de la production… trois années de biogaz perdu. Les premiers essais de remplissage des bus avec du biométhane ont été réalisés avec succès fin 2010. En parallèle, la MEL a poursuivi son travail de contractualisation avec GrDF et GDF Suez à l’époque pour vendre le biométhane sur le réseau de gaz naturel.

La livraison sur le réseau GrDF a eu lieu pour la première fois en juillet 2011, ce qui fut une première en France. Depuis 2012, la Métropole commercialise son biométhane dans le cadre du tarif de rachat bonifié pour une durée de 15 ans.

Station d’avitaillement des bus Transpole à Lille-Sequedin, photo Frédéric Douard

Concernant la valorisation dans la flotte de bus, depuis 2012, la régie de transport achète directement son biométhane sur le réseau GrDF qui lui sert de site de stockage. Ainsi, en 2017, Transpole faisait circuler 50 de ses bus au biométhane, soit 12 % de sa flotte de 428 bus.

Un projet qui a « essuyé les plâtres »

Ravitaillement d’un bus Transpole, photo F. Douard

Là où l’histoire ne correspond pas du tout aux attentes, c’est sur la quantité de biométhane produit qui est bien loin des prévisionnels. Ceci a été lié un moment au niveau de performance du processus mais c’est aujourd’hui surtout dû au fait que la quantité de biodéchets traitée est moins importante que dans le prévisionnel de 2007. Ainsi en 2015, seulement 51 537 tonnes de biodéchets ont été valorisés dont 23 805 tonnes de fraction fermentescible des ordures ménagères, 23 383 tonnes de déchets verts et 4349 tonnes de déchets alimentaires.

Les productions correspondantes sont ainsi deux à trois fois plus faibles que dans les études préalables : 1 209 657 Nm³ de biogaz, 698 128 Nm³ de biométhane à 93 % de CH4 (Réseau gaz B ici dans le Nord) soit 6,136 GWh PCI, 19 354 tonnes de compost à 40 % de MS (37,5 % du tonnage entrant) et 137 tonnes de sulfate d’ammonium (amendement azoté liquide issu du traitement de l’air de l’usine).

C’est donc avec l’objectif d’améliorer cette situation que la MEL, a signé avec le groupement Suez et Engie Biogaz un nouveau contrat d’exploitation au 1er janvier 2018. Ce contrat d’une durée de neuf ans, et doté d’un chiffre d’affaires de 76 millions d’euros, est basé sur des engagements de performance énergétique et environnementale. Il confie au nouveau concessionnaire la mission d’améliorer significativement les performances de l’équipement à tous les niveaux, ce sur quoi Suez s’est engagé à multiplier par quatre la production de biogaz, à mieux gérer l’impact olfactif de l’activité avec la mise en place d’un double dispositif alliant interventions humaine et équipements techniques, et à porter à 30 000 tonnes par an la production de compost.

Le CVO de Sequedin, photo Frédéric Douard

Mais comme rien ne va jamais exactement comme prévu, alors que ce magazine va être imprimé, nous apprenons que le maire de Sequedin vient d’annoncer en réunion de conseil municipal, que le CVO avait de gros problèmes de fondations, « Ses tunnels s’enfoncent… », et que la MEL allait programmer six mois d’arrêt… une déconvenue de plus pour ce projet vertueux qui accumule les difficultés.

Frédéric Douard, en reportage à Sequedin

Voir aussi la vidéo de la MEL :