Lien de bannissement

Quand la Chine s’éveillera… à la biomasse

Article paru dans le Bioénergie International n°53 de janvier-février 2018

Photo Université Jiao Tong de Shanghai

Le SPEIT, pour Shanghai ParisTech Elite Institute of Technology, est une école d’ingénieurs franco-chinoise née du partenariat de l’université Jiao Tong de Shanghai et de quatre écoles françaises : ENSTA ParisTech, Télécom ParisTech, École Polytechnique et MINES ParisTech. Elle a accueilli ses premiers élèves ingénieurs le 13 septembre 2012. Pour valider leurs diplômes, les étudiants chinois doivent réaliser une période d’études ou de stage en France et de leur côté, les étudiants des écoles fondatrices, ainsi que d’autres écoles de l’institut Mines – Télécom, ont la possibilité de suivre une partie de leur cursus à Shanghai.

Le SPEIT à Shanghai, photo Université Jiao Tong

Les étudiants du SPEIT suivent un cursus de six ans et demi, basé sur un enseignement trilingue (français, chinois et anglais) et peuvent s’orienter vers trois spécialités : le génie mécanique, les technologies de l’information et de la communication et enfin l’ingénierie de puissance et de l’énergie. Dans le cadre de l’option Énergie, les étudiants reçoivent des cours magistraux d’au moins 16 heures dans chacun des domaines suivants : solaire, éolien, management de l’énergie, efficacité énergétique et biomasse.

Jean Jacques Rousseau et Joaquim Nassar en présence de quelques étudiants chinois en cours de biomasse, photo JJR

Cette année le thème du projet énergie (32 h de travaux) avait pour objectif de proposer une piscine neutre en carbone et les étudiants ont proposé la biomasse en solution alternative au charbon. Il faut savoir que ce cursus a été décidé en accord et à la demande de l’université de Shanghai et que si un tel engouement pour la biomasse s’est manifesté, c’est qu’une demande sous-jacente de compétences existe.

Appréhender la Chine

Echoppe traditionnelle à Shanghai fonctionnant au charbon, photo JJR

Si la population chinoise commence à prendre conscience des dangers et des risques de la pollution et du gaspillage énergétique, les Chinois ont du mal à s’adapter. Ainsi, témoin d’une évolution à marche forcée, on peut voir à Shanghai se côtoyer des bâtiments impressionnants du 21ᵉ siècle et des pratiques millénaires quant au mode de vie, en témoignent un peu partout dans l’ancien Shanghai, les canards pendus par la tête sur le rebord des échoppes.

Autre chose fondamentale pour comprendre : l’État, ou peut être plutôt les organes centraux du Parti, décide de tout. Par exemple en septembre 2017, l’État décide que les constructeurs automobiles devront vendre à minima 20 % de voitures électriques dés 2018 sous peine d’amendes significatives.

Un autre aspect des choses tient à la masse de population. Les grandes villes sont à l’échelle d’un pays entier et Shanghai par exemple ne compte pas moins de 26 millions d’habitants. Alors y construire un nouveau quartier, c’est tout de suite construire plusieurs milliers de logements, bien sûr collectifs sur quelques milliers de m².

Vue sur Shanghai en bordure du Huangpu, photo JJR

La Chine est par ailleurs devenue le premier marché mondial des énergies renouvelables avec une forte croissance attendue dans les années à venir. Rappelons sur ce point que le pays est depuis fort longtemps le principal producteur de panneaux solaires dans le monde et que le ralentissement de la demande des pays développés a entraîné un fort marasme chez les constructeurs chinois. Dès lors, le gouvernement a décidé de mettre en œuvre des parcs solaires à l’échelle du pays.

Urbanisation de Shanghai, photo JJR

Sur la filière éolienne, les Chinois n’étaient pas au départ des sachants. Ils ont découvert la technologie via des co-entreprises et sont devenus des acteurs dominants du marché.

Habitat collectif à Shanghai, photo JJR

Depuis peu, la Chine a mis en place des quotas pour l’électricité renouvelable : les gestionnaires de réseau électrique de chaque province ont désormais pour obligation d’intégrer à l’électricité distribuée une part d’électricité renouvelable allant de 5 % à 13 % de l’électricité totale. Les producteurs d’électricité devront, eux, produire au minimum 9 % d’électricité renouvelable dès 2020 ou acheter les certificats correspondants à des tiers. Mais attention néanmoins à ce chiffre puisqu’il n’est pas rare qu’en Chine on intègre le nucléaire dans les énergies renouvelables.

D’un point de vue politique, conformément au 13e Plan Quinquennal (2016-2021), la Chine devrait mettre en œuvre 1 300 GW d’énergies renouvelables (solaire, éolien et biomasse) d’ici 2021. Si ces énergies se développent pour la production d’électricité, elles augmentent aussi significativement dans la production de chaleur. Actuellement essentiellement produite en cogénération charbon, ce mode de production de la chaleur freine la production d’électricité renouvelable pendant ces périodes de froid intense. L’adoption de nouvelles mesures sera donc nécessaire pour tenir l’objectif.

La biomasse en Chine

Rappelons que la Chine est, avec une capacité de 3,5 à 4 millions de tonnes par an, déjà le troisième producteur mondial de biocarburants. Elle est sur cette question en pointe dans l’utilisation de ces carburants dans l’aéronautique avec de nombreux essais réalisés. Ces biocarburants sont essentiellement produits à base de céréales non alimentaires et d’huiles usagées.

En ce qui concerne la biomasse solide et le biogaz, le plan prévoit les objectifs suivants en 2020 :

  • Pour les déchets agricoles, forestiers et cultures énergétiques : 24 GW (en partant de 4 GW en 2010), ce qui représente la mobilisation de 58 millions de tonnes de biomasse par an dès 2020.
  • Pour le biogaz agricole : 3 GW en 2020, soit 12,6 Mtep (en partant de 1 GW en 2010, soit 3,6 Mtep.

La Chine produit actuellement environ 1000 millions de tonnes de biomasse par an (460 millions de tonnes équivalent charbon) mais en l’absence de technologies l’essentiel de ce potentiel n’est pas valorisé.

Photo Jean-Jacques Rousseau

Pour y remédier le gouvernement met en place des politiques visant à soutenir et encourager la construction de centrales de cogénération. Ceci devra permettre le démantèlement de centrales à charbon.

Outre la réduction des émissions de CO2, de dioxyde de soufre et de poussières, cela permettra de valoriser les ressources naturelles tels que les résidus forestiers et de récoltes qui sont actuellement laissés ou brûlés sur place, générant des pollutions atmosphériques colossales.

Enfin, notons que le 19e Congrès national du Parti communiste chinois a élaboré un plan pour promouvoir l’industrie sylvicole et accroître ses ressources forestières jusqu’au niveau de la moyenne mondiale d’ici 2050. Ceci passe par la plantation de milliards d’arbres, dont 66 milliards ont déjà été plantés depuis 1978 rien que sur la grande muraille verte qui doit stopper et même reboiser le désert de Gobi.

La grande muraille de chine envahie par la forêt, photo JJR

 

M. Zhang, Directeur du Bureau National des Forêts, a indiqué qu’à l’horizon 2050, le stock forestier du pays devrait s’élever à 26,5 milliards de mètres cubes, et que les progrès technologiques devraient contribuer à hauteur de 72 % à la croissance de l’industrie sylvicole.

« Les ressources sylvicoles inadéquates étaient une cause importante de l’écologie fragile de la Chine et de la pénurie de produits écologiques », a indiqué M. Zhang.

Afin d’améliorer cette situation, le bureau politique a fixé des objectifs en plusieurs phases pour réaliser la modernisation sylvicole du pays.

En conclusion, avec un accroissement annuel de près de 1 000 millions de tonnes de biomasse (10 fois l’accroissement de la France métropolitaine en bois et résidus agricoles confondus), la ressource est là et ne fera que s’accroître dans le nouveau contexte politique, sauf que pour l’instant les technologies ne sont pas massivement au rendez-vous…

Le point commercial

Pour en revenir aux études de cas des étudiants du SPEIT, pour qui j’ai eu le privilège de donner les cours d’énergétique appliquée à la biomasse, les conclusions pour des piscines neutres en carbone, donc pour de petites puissances, ont été de brûler du granulé de bois, disponible à bon prix en Chine, et pour l’instant provenant des États-Unis !

Cours de biomasse à Shanghai par Jean Jacques Rousseau, photo JJR

Concernant les opérations commerciales françaises, notons deux contrats récents pour la réalisation de centrales à biomasse :

  • Véolia a remporté un contrat de 341 M€ sur 25 ans en mai 2017 pour la construction, l’exploitation et l’entretien d’une centrale biomasse qui produira de l’électricité et de la vapeur pour trois clients de l’industrie chimique et de la construction,
  • EDF, à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron en janvier 2018, a signé un contrat de 30 ans avec la ville Lingbao pour construire et exploiter une centrale de cogénération de 35 MW qui fournira de l’électricité et du chauffage à environ 25 000 foyers de la ville avec une mise en service prévue début 2019. Cette centrale sera alimentée par des résidus des cultures arboricoles.

Les perspectives

Alors qu’en France et en Europe les perspectives commerciales pour les entrepreneurs, tant en amont qu’en aval de la filière biomasse, sont difficiles, il semble qu’une importante perspective puisse voir le jour en Chine où la ressource est présente mais où la technologie, en particulier en agro-biomasse, est largement insuffisante.

Montagne en Chine, photo Jean-Jacques Rousseau

Pourquoi dès lors ne pas essaimer les savoir-faire via notre école franco-chinoise, via les institutions françaises en place (Ambassade et Consulats), via nos jeunes ingénieurs formés aux techniques de la biomasse, via les industriels français et européens ?

« Quand la Chine s’éveillera », écrivait Alain Peyrefitte en 1973, nous pourrons alors proposer nos techniques pour des installations quelquefois plus modestes que celles citées en références et faire « tourner » les savoirs dans l’Empire du Milieu.

Contacts :

  • Jean Jacques Rousseau, Président SAS BREE : +33 619 99 41 50 – bree83370@gmail.com
  • Joaquim Nassar, directeur du SPEIT : joaquim.nassar@sjtu.edu.cn
  • Site de l’Ecole : speit.sjtu.edu.cn

Jean Jacques Rousseau, enseignant vacataire au SPEIT