L’interdiction de l’huile de palme dans les biocarburants pourrait remettre en cause l’accord UE-ASEAN
Dans le rapport de l’ECIPE intitulé Europe et Asie du Sud-Est : un exercice de patience diplomatique, Hanna Deringer et Hosuk Lee-Makiyama, ont examiné l’ensemble des points de crispations qui assombrissent les perspectives de conclusion d’un accord entre l’UE et l’ASEAN. Des sujets lourds comme le non-respect des droits de l’homme dans certains pays de la zone sont par exemple du côté de l’ASEAN de nature à compromettre fortement la sérénité des négociations bilatérales.
L’huile de palme dans les biocarburants, sujet de discorde
Point d’achoppement majeur des négociations avec l’ASEAN : la volonté exprimée au Parlement européen par une majorité de parlementaires d’interdire les importations d’huile de palme en vue de leur intégration dans les biocarburants. Pour les auteurs du rapport, cette interdiction, dans le cadre de la directive sur les énergies renouvelables RED-II, reviendrait à violer toute la jurisprudence de l’OMC en la matière. Ils ajoutent même qu’un tel différend pourrait mettre un coup d’arrêt aux négociations de l’accord UE-ASEAN, qui devrait pourtant aboutir à la plus grande zone de libre-échange du monde avec 1,2 milliards de consommateurs.
Toujours selon les auteurs de ce rapport, sous couvert de lutte contre la déforestation et de défense de l’environnement, Bruxelles défendrait surtout les exploitants agricoles européens contre ces importations, ce qui constituerait un forme de protectionnisme qui pourrait affaiblir l’UE à l’égard de l’ASEAN (Indonésie et Malaisie en tête) dans le cadre des négociations. Hosuk Lee-Makiyama, directeur de l’ECIPE ajoute : « L’interdiction proposée des importations d’huile de palme est clairement une ligne rouge à ne pas franchir pour certains pays de l’ASEAN et pourrait être considérée comme un obstacle insurmontable à la réussite des négociations avec la Malaisie, l’Indonésie et la Thaïlande ».
Ce que les rédacteurs du rapport et promoteurs du libre-échange négligent ou omettent dans leurs réflexions, et ce qui motive les parlementaires européens, est surtout les incohérences d’une directive sur les énergies renouvelables qui favorise aujourd’hui des importations d’huile du bout du monde, produites et acheminées en Europe au prix d’une dégradation importante de leur intérêt recherché dans la lutte contre les émissions de CO2, et au prix d’une déforestation certes créatrice d’emplois dans les pays concernés, mais catastrophique en terme de perte de biodiversité.
Parallèlement, il faut aussi constater aujourd’hui que ces importations, envisagées par exemple de manière massive par le pétrolier Total à la raffinerie de la Mède, ne sont pas motivées par un manque de production européenne qui reste excédentaire, mais uniquement que par des considérations de prix largement favorables à l’huile de palme au regard de l’écart social entre les deux régions.
Alors les députés européens n’ont-ils pas parfaitement raison de se poser la question : dans le cadre d’une politique publique, est-il bien judicieux avec de continuer à financer le dumping social en Asie aux dépens de l’environnement que l’on souhaite justement préserver en voulant favoriser les énergies renouvelables ? Et ceci est-il aussi bien judicieux alors que les agriculteurs européens, qui sont justement en difficulté à cause du libre-échange qui leur est aujourd’hui imposé, sont par obligation en quête de nouveaux débouchés et d’autosuffisance en terme de tourteaux oléagineux aujourd’hui encore largement importés d’une autre région du monde en cours de déforestation, le bassin de l’Amazonie ?
Pour en savoir plus de la position libre-échangiste de l’ECIPE : ecipe.org/publications/europe-and-south-east-asia-an-exercise-in-diplomatic-patience (en anglais).
Frédéric Douard