Vers la fin des biocarburants ?
L’industrialisation des biocarburants est en marche ! Impossible de passer à côté des vastes domaines agricoles qui y sont consacrés au Brésil et aux États-Unis. L’Europe n’est pas en reste : leur développement y est encouragé par différentes directives. Pourtant, quelques études récentes reconsidèrent leur intérêt en raison de leur impact écologique et social.
Accusés d’être à l’origine d’une hausse des prix des matières premières et de la dégradation de la biodiversité, les biocarburants sont souvent l’objet de débats contradictoires sur la réduction de nos émissions de CO2 et le respect de l’environnement. Nous proposons ici de faire le point sur les biocarburants de 1ère génération et leurs perspectives.
Retour aux sources…
Les biocarburants, ou agrocarburants, sont produits à partir de matières premières agricoles. Ils sont mélangés aux carburants ou utilisés comme additifs de formulation ou lubrifiants. Ces dernières années, cette nouvelle énergie a été encouragée pour remplacer les énergies fossiles dans les transports afin de lutter contre le réchauffement climatique. Un juste retour aux sources car les biocarburants étaient déjà utilisés lors des inventions du moteur à explosion, alimenté par l’éthanol, puis du moteur à combustion, qui fonctionnait grâce à l’huile d’arachide.
Il existe aujourd’hui deux types de biocarburants dits de 1ère génération : le bioéthanol et le biodiesel. Le premier, produit à partir d’alcool de sucre de betterave, de canne à sucre, de maïs et de blé, est développé au Brésil et aux États-Unis. Ces deux pays représentent 2/3 du marché mondial des biocarburants. Le biodiesel, élaboré à partir d’huile de colza, de tournesol ou de soja, est la filière privilégiée par les pays de l’Union Européenne.
Une fausse bonne idée ?
Depuis 2003, les directives européennes ont généré une ruée vers le « carburant vert ». Un engouement confirmé et encouragé en par l’UE qui, en 2007, a fixé l’objectif de porter à 10% la part des biocarburants d’ici 2020 dans le cadre de la nouvelle politique énergétique européenne. Les biocarburants de 1ère génération semblaient alors incarner une piste sérieuse pour remplacer ou en tout cas prolonger la durée de vie de l’or noir.
Pourtant, leurs bienfaits ont récemment été remis en cause. Le développement des biocarburants pose la question du changement d’affectation du sol. Quelle attitude adopter vis-à-vis d’une forêt remplacée par un champ dédié aux biocarburants ou d’une culture alimentaire substituée par une culture énergétique ? Au Brésil, la déforestation des forêts tropicales, où le rendement de production des sols est plus intéressant, provoque d’importantes émissions de gaz à effet de serre1. De plus, l’utilisation de pesticides et la monoculture agricole réduisent la diversité des plantes, appauvrissent la biodiversité et facilitent l’érosion des sols. Notons également que certaines plantes cultivées pour les biocarburants sont très consommatrices d’eau, autre denrée qui se raréfie. Selon une étude américaine parue dans la revue « Environnemental Science and Technology », il faut entre 5 et 2 138 litres d’eau pour produire 1 litre de bioéthanol selon les pratiques d’irrigation et le choix de la plante.
Aujourd’hui, 1,5% des surfaces cultivées sur la planète sont destinées aux biocarburants. D’après l’OCDE, cette superficie pourrait au moins tripler d’ici 20302. La mobilisation de l’ensemble des terres en jachère de l’UE, soit environ 6 millions d’hectares, représente un potentiel de 7 à 14 Mt par an de biocarburants soit de 2,5 à 5% de la consommation de carburants en Europe. Cette augmentation de la demande de biocarburants, par simple conséquence de la loi de l’offre et de la demande, a eu pour effet l’augmentation des prix des denrées alimentaires, provoquant de nombreuses famines dans le monde. Selon la Banque Mondiale, les biocarburants seraient responsables de 75% de la hausse des prix des denrées alimentaires3 qui est une des causes de la récente crise alimentaire de 2007-2008. Cette hausse des prix a engendré un appauvrissement des populations, essentiellement des pays du sud, dont l’alimentation occupe une part importante du budget des ménages.
Les biocarburants de 1ère génération constituent donc un premier élément de réponse à la réduction d’émissions de GES mais insuffisant en raison des problèmes qu’ils posent en matière de biodiversité, d’impact sur l’environnement et d’arbitrage avec les denrées alimentaires.
Une affaire de génération…
Les biocarburants de 2ème génération sont produits à partir de la plante entière, du bois, de la paille ou encore des déchets de lignine, de cellulose ou d’hémicellulose. Il existe deux voies de transformation :
- La première est la voie dite thermochimique pour produire du biodiesel ensuite mélangé au gazole : on parle surtout de technologie de gazéification ou “Biomass to Liquid” – BtL ; c’est la voie explorée par l’Union Européenne ;
- La deuxième est celle dite biochimique pour produire de l’éthanol et ensuite le mélanger à l’essence : ce sont les Etats-Unis qui disposent de la recherche la plus avancée sur le sujet
Production des biocarburants de 2ème génération (source : TPP)
L’utilisation de culture non alimentaire constitue le premier avantage de cette génération. Par exemple, le miscanthus et le « switchgrass » sont des cultures à haut rendement qui s’adaptent à des sols moins fertiles, plus secs et qui nécessitent moins d’engrais. D’après l’ADEME, les biocarburants de 2ème génération pourraient subvenir à hauteur de 25 millions de TEP (tonne équivalent pétrole) par an, soit 80% du potentiel de biomasse mobilisable en France pour l’énergie et les matières premières4 et possèdent un meilleur rendement énergétique. Ainsi, 1 hectare de surface permet de produire 4 000 litres d’hydrocarbures BtL contre 1 500 litres de biodiesel ou 2550 litres de bioéthanol.
Le procédé de production de biocarburants de 2ème génération utilise 80% de la plante alors que ceux de la 1ère génération n’en utilisent que 20%. Pour les deux voies de transformation de cette nouvelle génération, les premières unités de production industrielle de grande ampleur pourraient voir le jour entre 2012 et 2015 aux États-Unis et entre 2015 et 2020 en Union Européenne. De son côté, le Brésil prévoit de commercialiser son biodiesel de 2ème génération en Europe à partir de 2015.
Néanmoins, cette filière, notamment la voie thermochimique, nécessite de gros investissements : le coût de production de ces biocarburants est deux fois plus important que l’essence ou le gazole. En France, le projet FUTUROL s’inscrit dans la logique d’intensifier la R&D sur 8 ans afin de développer puis valider un procédé éco-efficient de production du bioéthanol à partir de la biomasse lignocellulosique.
On peut s’attendre à la création à terme de bio-raffineries à grande échelle5 intégrant les deux plateformes biochimique et thermochimique. Elles pourraient même exporter de la chaleur et de l’électricité, comme les unités de production d’éthanol au Brésil. Par ailleurs, « l’objectif de l’UE d’incorporation de 10% de biocarburants dans le pool essence-gazole à l’horizon 2020 est accessible sans menacer les besoins alimentaires en s’appuyant à la fois sur les filières existantes et sur celles de 2ème génération6 ».
Aussi, le travail des scientifiques sur les biocarburants de 3ème et 4ème générations – les algocarburants7 produits à partir d’algue – laisse penser que les biocarburants n’ont pas dit leur dernier mot.
Notes :
(1) La déforestation est responsable de 17% des émissions mondiales de GES d’après le rapport de 2007 du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC).
(2) Perspectives de l’environnement de l’OCDE à l’horizon 2030, publié en mars 2008.
(3) Rapport publié par The Guardian en juillet 2008.
(4) D’après l’information presse de février 2007.
(5) Des bio-raffineries expérimentales ont déjà été construites dans des pays comme la Suède.
(6) Jean-Pierre Burzynski, directeur Raffinage-Pétrochimie à l’IFP (Innovation, Énergie, Environnement).
(7) Lancé en décembre 2006, le projet français Shamash a pour objectif de produire un biocarburant à partir de microalgues.
Sources :
– “Produire des biocarburants” et Communiqué de presse 2006, ADEME
– “Agrocarburants, cartographie des enjeux”, Étude de la Fondation Nicolas Hulot – septembre 2008
– Ressources documentaire de l’OCDE
– Dossier de presse Projet Futurol et Interview de Jean-Pierre Burzynski, IFP