L’agriculture écologiquement intensive, une utopie ?
Comment construire une agriculture capable de nourrir neuf milliards d’êtres humains à l’horizon 2050, leur fournir énergie et biomatériaux tout en préservant l’environnement ? La question est aujourd’hui inéluctable. Pour y apporter des éléments de réponse, le Cirad a organisé, le 2 mars 2010 à l’occasion du Salon international de l’agriculture de Paris, une journée de tables rondes réunissant experts, politiques et agriculteurs.
Le reportage balaye les deux tables-rondes qui ont rythmé la journée du 2 mars, organisée par le Cirad lors de l’édition 2010 du Salon international de l’agriculture de Paris. La première a concerné les solutions existantes et déjà utilisées par certains agriculteurs : semis direct sous couverture végétale, agroforesterie, lutte biologique en sont quelques exemples. La seconde s’est concentrée sur les politiques d’accompagnement à mettre en œuvre pour réformer l’agriculture. Un représentant laotien a témoigné du succès de l’expérience menée dans le pays. Au Costa Rica, la loi permet le paiement de services écologiques. Cette loi pourrait notamment constituer un levier de diffusion de l’agriculture écologiquement intensive dans le pays.
La parole a été également donnée, durant la journée, aux agriculteurs. Le reportage s’en fait l’écho tout comme du message de Michel Griffon, directeur général adjoint de l’Agence national de la recherche et auteur de nombreux ouvrages dont Nourrir la planète (Odile Jacob, 2006).
Morceaux choisis au travers d’un reportage en quatre pages.
La nature fait bien les choses. Cet adage, bien qu’un peu éculé, pourrait résumer en substance l’approche de l’agriculture écologiquement intensive (AEI). Plutôt que d’artificialiser un milieu, l’AEI met à profit son fonctionnement naturel. Or, comme le souligne Michel Griffon, directeur l’occasion de définir général adjoint de l’Agence nationale de la recherche, « si on décide d’épouser les multiples facettes un écosystème avec ses contraintes et ses fonctionnalités, on part forcément de la diversité écologique » Autrement dit, l’agriculture de demain sera multiple ou d’une agriculture ne sera pas. Mais arrêtons là pour la théorie car selon Michel Griffon, « l’AEI se veut résolument pragmatique et non idéologique. Il existe déjà une gamme de écologiquement techniques très nombreuses, j’en ai recensé près de 1 500 à utiliser selon les conditions locales ». Rien de tel qu’un tour d’horizon de quelques solutions pour saisir ce concept.
>> Ressusciter la terre
L’une d’entre elles mène à une véritable révolution dans le monde de l’agronomie : la fin du labour. Cette technique ancestrale est aujourd’hui remise en cause au profit du semis direct sous couverture végétale ou SCV. De plus en plus répandue dans le monde, cette méthode met en œuvre trois grands principes : pas de travail du sol, un couvert végétal permanent (résidus de la culture précédente ou de plantes de couverture) et une succession culturale judicieuse. Les avantages sont nombreux : la litière nourrit les organismes qui font vivre le sol et améliorent sa fertilité, l’érosion est limitée, des économies sont réalisées en matière d’eau et decarburant et les rendements sont stabilisés voire augmentés, même sur des terres réputées incultes. Revers de la médaille, la mise en œuvre n’est pas toujours simple comme en témoigne M. Rakotondramanana, directeur du Groupement semis direct de Madagascar (GSDM). « Le choix d’espèce de couverture, par exemple, est très délicat en altitude. Si le paysan n’est pas bien formé il peut avoir du mal à maintenir son champ couvert, les mauvaises herbes se développent et
il aura tendance à bêcher la terre pour les éliminer, anéantissant ainsi tous les bénéfices de cette technique culturale. »
>> Bonnes herbes contre mauvaises herbes
En matière de lutte contre les mauvaises herbes, l’AEI propose d’exploiter les propriétés dites allélopathiques de certaines plantes. Des espèces comme le sorgho ou le sarrasin sécrètent des molécules qui se comportent comme des herbicides naturels. « Nous en sommes encore balbutiements des connaissances pour tirer parti de ces phénomènes allélopathiques, précise Jean-Claude Quillet, agriculteur en Indre-et-Loire. Un vaste champ de recherche reste à explorer pour réduire l’utilisation d’herbicides et de fongicides, mais l’esprit de l’AEI est bien là, s’inspirer de la nature en introduisant des espèces utiles.
>> Quand l’agriculture mime la forêt
Autre pratique culturale emblématique de l’AEI est l’agroforesterie. Elle est naturellement née dans les régions où l’écosystème naturel est la forêt. Ainsi, cacaoyers et caféiers sont associés à des arbres forestiers et fruitiers ou à des essences de la famille des légumineuses qui ont l’avantage fixer l’azote de l’air pour en enrichir le sol. Dans ces agroforêts, cacaoyers et caféiers ont des rendements parfois moindres qu’en culture intensive, mais ils produisent bien plus longtemps et nécessitent beaucoup moins d’intrants chimiques. Qui plus est, le café obtenu dans ces conditions de meilleure qualité et se vend plus cher ! Ces agroforêts offrent aussi d’autres ressources aux agriculteurs, comme les fruits, le bois d’œuvre, les produits médicinaux, les ressources de chasse. Elles protègent également les sols de l’érosion, empêchent même la prolifération de certains ravageurs, préservent la biodiversité et stockent le carbone.
>> L’AEI contre le réchauffement
En effet, comme le rappelle Anne Gouyon, fondatrice du cabinet de conseil en environnement BeCitizen, « le principal outil naturel de stockage du carbone atmosphérique est la photosynthèse ». Dans son ouvrage Réparer la planète, elle montre qu’il suffirait de doubler le taux de matière organique dans toutes les terres cultivées du monde pour capter l’ensemble du CO2 rejeté dans l’atmosphère depuis le début de la révolution industrielle ! Pour Jacques Wery, directeur de département à SupAgro Montpellier, il faut davantage considérer les parcelles du point de vue des flux de matière organique, d’eau, etc. « Les systèmes de culture ont une fonction de production et, de fait, sont exportateurs de biomasse contrairement aux écosystèmes naturels », précise-t-il. Une agriculture écologiquement intensive implique que les paysans ne gèrent plus de simples techniques mais des processus globaux. « C’est une nouvelle manière de penser l’agronomie, aussi bien pour les producteurs
que pour les chercheurs », ajoute Jacques Wery.
>> Pesticides sur le déclin
C’est aussi la fin du recours systématique aux méthodes radicales comme les pesticides. Selon Philippe Lucas, directeur de recherche à l’INRA, « la plupart des alternatives aux pesticides connues à ce jour ont des efficacités partielles, nous devons donc apprendre à les combiner. » C’est ce qu’on appelle la lutte intégrée. Le concept a déjà près de 40 ans, mais beaucoup de progrès restent à accomplir. Parmi les alternatives citons la lutte biologique ou « protection biologique » selon les termes employés par Philippe Lucas : « Plus qu’une histoire de sémantique, c’est surtout une autre manière de poser le problème. Il faut prévenir les dégâts pour les retarder au maximum afin de n’utiliser les pesticides qu’en dernier recours. »
>> L’éloge de la complexité
Combiner, anticiper, observer, adapter… De manière générale, les agrosystèmes écologiquement intensifs sont plus complexes car ils regroupent davantage d’espèces qu’un champ cultivé en agriculture conventionnelle. Or, c’est un fait avéré, plus il y a de biodiversité, plus le système est productif et résilient aux aléas climatiques ou aux attaques de ravageurs et maladies. Cette complexité doit être acceptée et même recherchée. Les agriculteurs vont un peu moins mouiller leur chemise et solliciter davantage leurs cellules grises !
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Source : CIRAD le 21 avril 2010