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La promesse des bioproduits au Canada

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Schéma CanmetÉNERGIE

Des algues qui produisent de l’énergie, des voitures fabriquées avec du lin – les bioproduits d’avant-garde laissent entrevoir un avenir plus vert. Que cela signifie-t-il pour le Canada? De quelle manière les bioproduits changeront-ils notre vie, l’environnement et l’économie ? C’est ce que nous avons demandé à Roman Szumski, vice-président des Sciences de la vie au CNRC.

Penseur visionnaire dans le domaine des sciences de la vie, M. Szumski orchestre la participation du CNRC au sein du Programme national sur les bioproduits, que le CNRC poursuit en collaboration avec Ressources naturelles Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Question : On voit terme « bio » partout – sur les aliments, sur les produits de consommation, dans les médias… Quel sens lui donnez-vous ?

Réponse : Pour moi, le préfixe « bio » désigne quelque chose d’origine biologique plutôt que physique ou chimique. En ce qui concerne les bioproduits, il évoque des matériaux qui trouvent leur origine dans la biomasse, et qu’on peut transformer de diverses manières pour obtenir des composés chimiques, des matériaux de construction ou des combustibles.

Q : Les bioproduits traduisent-ils un nouveau mode de pensée ?

R : Eh bien, certaines idées sont aussi vieilles que la civilisation elle-même – brûler du bois pour en tirer du charbon de bois en est un exemple, tout comme les toits de chaume qu’on voit un peu partout en Europe. La différence est qu’aujourd’hui, on a recourt aux technologies les plus pointues en chimie, en génomique et en ingénierie afin de mieux comprendre comment la biomasse se transforme en matériaux utiles.
L’autre grand changement est que les industries qui dépendent des matériaux et des combustibles s’engagent clairement dans la voie d’un avenir plus vert. Elles ne le font pas uniquement par civisme. De solides motifs commerciaux les motivent. L’industrie aérospatiale, par exemple, est vivement préoccupée par l’arrivée des crédits carbone et par leurs répercussions, notamment leur incidence sur le prix de leurs produits et services. C’est pourquoi elle aimerait trouver des carburants de remplacement au pétrole.

Q : De quelles idées préconçues les bioproduits font-ils l’objet ?

R : Une des principales est que c’est forcément bon si c’est « bio » . La réalité est fort différente.
Fabriquer de l’éthanol avec du maïs, par exemple, laisse une empreinte écologique plus importante que brûler de l’essence. C’est pourquoi, partout dans le monde, on s’inquiète du détournement des terres agricoles vers la production de cultures non alimentaires – la polémique « manger ou rouler » en découle.

Palmiers à huile, photo Frédéric Douard

Dès qu’un pays adopte des politiques qui le rendent dépendant de l’éthanol issu du maïs, il devient beaucoup plus difficile de faire marche arrière. L’Europe a instauré des normes ambitieuses pour ajouter du biodiesel venant de l’huile de palme au carburant, avec pour résultat la déforestation de la Malaisie et de l’Indonésie. Nous n’avons assisté à rien d’équivalent au Canada, et j’espère que notre pays se montrera plus prudent dans son approche à l’usage des biocarburants.

Q : Quels sont les obstacles à l’adoption des biotechnologies ?

Les sources de la biomasse incluent les résidus agricoles et de cultures, les eaux usées, les déchets urbains solides, les résidus d’animaux, les résidus industriels ainsi que les cultures et résidus forestiers.

R : Le plus grand, et il sera intéressant d’en suivre le développement, est celui des échanges de droits d’émission de carbone, les crédits carbone. Quels pays seront les premiers à y recourir ? Les crédits carbone y alimenteront-ils la technologie, ou ces pays seront-ils incapables de soutenir la concurrence de ceux sans taxe carbone ? Il s’agit d’une question fort complexe sur les plans de la société et de la politique. Dix ou 15 années s’écouleront sans doute avant que des mouvements se dessinent clairement dans ce domaine.
Un autre grand défi est la réaction sociétale. Nous avons commis des erreurs dans le passé. Les gens demanderont donc : « ce nouveau produit est-il vraiment mieux ? »
C’est pourquoi il est capital de faire preuve de ce que j’appelle l’intégrité intellectuelle dans les décisions se rapportant aux bioproduits. Il faut analyser et comprendre le cycle de vie complet des produits que l’on fabrique pour qu’au bout du compte, on sache s’ils ont une empreinte positive sur l’environnement.

Q : Que veut dire l’analyse du cycle de vie ?

R : Elle consiste à examiner la création d’un produit du début à la fin, et à quantifier les émissions de gaz à effet de serre qui en résultent. Par exemple, on mesure les émissions résultant du transport des matériaux jusqu’à l’usine de transformation, et celles venant de toutes les étapes de la fabrication du produit, du combustible ou du composé chimique.
Il faut bien comprendre que les bioproduits ne sont pas sans incidence sur l’environnement. Comparativement aux combustibles fossiles, ils se caractérisent par un cycle durable à l’intérieur d’un très court laps de temps.
Prenons les biocarburants. Une plante absorbe le dioxyde de carbone, est elle-même transformée en combustible; lorsqu’on brûle ce combustible, du dioxyde de carbone est libéré et le cycle se répète. À un moment, on retire le dioxyde de carbone de l’atmosphère et à un autre, on le lui rend. Évidemment, le processus est imparfait, il y aura des pertes.
Cependant, ce processus devance largement celui qui consiste à extraire le pétrole du sol et à le replacer dans l’atmosphère, car celui-ci est essentiellement à sens unique.

Q : Pourquoi les bioproduits intéressent-ils tant le Canada ?

R : La biomasse est véritable une mine d’or pour le Canada. Le pays regorge de bonnes terres arables; il a une abondance de forêts et est bordé de trois côtés par l’océan. Seule une poignée de nations ont accès à autant de biomasse que nous.
Notre chance réside dans le fait que cette biomasse prendra de la valeur à mesure que la popularité des bioproduits augmentera dans le monde. Nous devons faire en sorte que le Canada ait les technologies, les procédés et les entreprises qui transformeront cette biomasse en produits. Nous disposerons alors d’un avantage sur de nombreuses autres nations. L’échec serait cuisant si, dans 15 ans, la majeure partie de la biomasse canadienne était exportée vers la Chine, les États-Unis et l’Europe, où seraient fabriqués les produits.

Q : Sur quoi le Canada devrait-il se concentrer ?

R : Le Canada a des forces dans des créneaux bien précis, que nous développons. Nous avons procédé à de vastes consultations externes avant de mettre sur pied le Programme national sur les bioproduits. Ces consultations nous ont incités à miser sur les secteurs dans lesquels le Canada court la chance de prendre les devants. Ainsi, en ce qui concerne la création de nouveaux matériaux à partir de la masse végétale, nous nous concentrerons sur les produits chimiques fins et ceux qui entrent dans la composition des matériaux.
Dans le domaine des carburants, les résultats des consultations indiquent qu’il faudrait se concentrer sur les biocarburants tirés des algues. Bien que les recherches présentent plus de risques et soient plus longues, nous éviterons ainsi la polémique « manger ou rouler » et profiterons de l’avantage de celui qui développe le premier la technologie.
Le Programme national sur les bioproduits a un an à peine et l’industrie aérospatiale s’intéresse vivement à la fabrication d’un carburant pour avion à réaction à partir des algues. La raison est que cette industrie a de puissants motifs pour trouver un combustible de remplacement au kérosène. Alors que les automobiles s’orientent vers des véhicules électriques ou hybrides, les avions transportant des passagers et des marchandises devront encore voler avec un combustible liquide pendant une génération ou deux. Faute d’alternative, la concurrence se fera féroce dans le monde en ce qui a trait à la recherche de nouvelles sources de carburant. Je pense que les algues promettent beaucoup sur ce plan.

Q : Quel est le rôle du Programme national sur les bioproduits ?

R : L’objectif derrière ce programme était de recourir à la technologie pour créer des liens entre les producteurs et les utilisateurs de la biomasse. Ainsi, nous avons réussi à relier les producteurs de lin des Prairies aux fabricants de pièces d’automobile du sud ontarien.
Cette association est très intéressante et je suis heureux que le CNRC ait pu y jouer un rôle de premier plan. Les cultivateurs de lin n’ont pas assez de crédibilité aux yeux d’un fabricant de pièces d’automobile, et il ne leur viendrait naturellement pas à l’idée de s’adresser à lui. De leur côté, les fabricants de pièces d’automobile ne sauraient par où commencer si on leur présentait un matériau de ce genre. Avec l’aide de nos partenaires, nous faisons le pont entre les deux. Les agriculteurs tiennent nos scientifiques en haute estime.
Par ailleurs, nos ingénieurs ont une grande crédibilité dans le secteur de l’automobile. Avec notre organisation, nous pouvons rassembler les deux en leur donnant pour trait d’union un sujet de recherche. Voilà comment la biomasse se convertira en produits à valeur ajoutée pour le Canada et il y a là, je crois, une formidable occasion pour chacun de prospérer.

Q : Comment la biotechnologie pourrait-elle changer nos vies au cours des 10 à 20 prochaines années ?

R : Nous verrons de plus en plus de bioproduits, que ce soit à la maison, dans les vêtements que l’on porte, dans les automobiles et dans le carburant qui fait voler les avions. La biotechnologie touche presque tout.
Elle aura aussi un certain impact en atténuant les effets du changement climatique et contribuera à rendre les Canadiens plus prospères. Par exemple, elle nous aidera à créer et à garder des emplois et aussi à demeurer un des grands fournisseurs mondiaux de pièces pour les secteurs de l’automobile et de l’aérospatiale.

Q : Avec l’amélioration de nos connaissances sur les processus biologiques, à quels progrès scientifiques doit-on s’attendre à plus long terme ?

R : Dans un avenir plus lointain, nous réussirons à reproduire des processus naturels d’une exquise efficacité. Ceux où un photon déplace un électron, par exemple, et où il n’y a pratiquement aucune perte d’énergie. Des choses qu’on ne pourrait imaginer aujourd’hui, du point de vue de l’ingénierie.
Une fois que l’on commencera à maîtriser et à utiliser les capacités de la biologie à ce niveau, les possibilités de créer de l’énergie, de l’hydrogène et le reste deviennent remarquables. Mais il s’agit d’un rêve scientifique fort lointain.

Q : Si le rêve devenait réalité, quelles en seraient les applications ?

R : Nous pourrions fabriquer une membrane qui produirait de l’hydrogène sans chaleur quand elle est exposée à la lumière. On aurait alors une source non polluante d’hydrogène pour alimenter les piles à combustible. Nous sommes vraiment au royaume des rêves, mais imaginez que nous puissions réaliser quelque chose de semblable – cela serait remarquable.

Source : Conseil national de recherches Canada, 19 mai 2010