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Quels changements dans la politique électrique verte française ?

Article rédigé par le cabinet de conseil SIA PARTNERS et publié sur le blog énergie et environnement du cabinet.
Réseau électrique français, photo Frédéric Douard

Réseau électrique français, photo Frédéric Douard

Avec un réseau hydroélectrique exploité à 70% de son potentiel national1, la France doit se tourner vers d’autres sources pour augmenter sa capacité de production d’électricité renouvelable. Par rapport à certains de nos voisins européens, le développement de l’électricité d’origine éolienne, solaire et biomasse a été peu promu sur notre territoire2.

La France s’est pourtant fixé pour objectif de produire 23% de son énergie à partir de sources renouvelables en 2020 et de réduire la part du nucléaire de 75% à 50% dans son mix électrique à l’horizon 2025. De ce fait, le gouvernement a initié fin 2012 un débat sur la transition énergétique dont les conclusions seront données à l’automne 2013. Après une décennie de croissance modérée de la production d’électricité verte en France, un changement de la stratégie gouvernementale en la matière est-il à prévoir ?

Des stratégies divergentes pour le développement de l’électricité verte : l’exemple de la France et l’Allemagne

L’augmentation du prix des matières premières fossiles et la mise en place des dispositifs d’aide au développement de l’électricité verte3 sont deux des principaux facteurs qui ont contribué à l’augmentation du prix de l’électricité en Europe depuis 20014. A titre comparatif, en 2013, avec une puissance électrique verte installée (hors hydraulique) presque six fois supérieure à celle de la France5, les Allemands paieront une cotisation de 5,27 c€ sur chaque kWh consommé pour supporter un tel parc sur leur territoire6. Les Français eux, ne paieront qu’une cotisation d’à peine 1 c€/kWh7. Un tel écart est la conséquence d’une stratégie politique bien différente entre la France et l’Allemagne.

Coût TTC de l’électricité facturé aux industriels et aux ménages,  Eurostat - Cliquez pour agrandir.

Coût TTC de l’électricité facturé aux industriels et aux ménages, Eurostat – Cliquez pour agrandir.

La production d’électricité en Allemagne repose fortement sur les matières premières fossiles (58% de la production totale8), et son objectif de sortie du nucléaire est prévu pour 2022. De plus, la politique de développement économique germanique est fondée sur l’exportation de son industrie. En choisissant de développer massivement la production d’électricité verte sur son territoire, elle espère que les efforts financiers consentis par les Allemands permettront de faire émerger des leaders industriels. Ces derniers exporteront alors leur savoir-faire lorsque les coûts de production auront été réduits et l’intermittence de la production renouvelable mieux appréhendée, notamment grâce aux Smart Grids (lire aussi : « La France donne le signal de départ du Smart Grid électrique »), à l’effacement et au développement du stockage.
La production d’électricité en France repose quant à elle fortement sur le nucléaire (75% de la production totale9) et est donc peu corrélée à l’augmentation du prix des matières premières fossiles. Dans un contexte économique difficile, elle a décidé de ne pas impacter davantage le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de son industrie, au prix d’une véritable politique favorable aux ENR10. Malgré une augmentation de 10,25 % du coût de l’électricité prévue d’ici août 2014, le prix de 15,67 c€/kWh TTC facturé en France restera toujours bien en dessous des 26 c€/KWh facturés actuellement en Allemagne11. L’attentisme de la France sur le développement de l’électricité verte fait cependant débat. Elle accumule en effet un retard industriel important surtout sur l’amont des filières éoliennes, biomasse et solaire.
Alors que la filière solaire est en crise, que la croissance de la filière éolienne est fortement ralentie, le débat sur la transition énergétique sera l’occasion d’évaluer le potentiel de chaque filière, et peut être de redéfinir l’incitation législative indispensable à leur développement.

Les évolutions législatives à prévoir dans les filières de l’électricité verte

La multiplicité des textes de lois mis en œuvre pour définir le cadre de développement de la filière photovoltaïque depuis 200612 illustre les difficultés que le gouvernement rencontre pour trouver la bonne solution. Une incitation trop généreuse a provoqué la création d’une bulle spéculative en 2010, et la filière a connu un essor incontrôlable jusqu’au brutal moratoire de Décembre 201013. Les mesures correctives de mars 2011 ont atrophié le marché national14 qui est passé de 32500 emplois à 1850015 entre 2010 et 2012. Malgré les efforts financiers que les français vont devoir consentir pour supporter les coûts du parc photovoltaïque via la CSPE16, la demande exponentielle en matériel en 2009-2011 n’aura pas profité aux industriels français puisque la majorité des installations a été réalisée avec du matériel importé. En conjuguant un retard conséquent de savoir-faire sur nos voisins allemands et une forte compétitivité du matériel fabriqués par l’industrie asiatique, les industriels français auront du mal à pénétrer le marché international – à l’exception de certaines niches comme le solaire haute performance ou le solaire à concentration. Peu d’évolutions législatives sont donc à prévoir sur cette filière. Il semble probable que le gouvernement cherche uniquement à maintenir l’emploi en aval (installation-maintenance), en imposant des quotas d’installation maximum relativement bas par rapport à ses voisins17.

Côté éolien, la croissance de la filière est ralentie depuis 201018. Bien que l’Hexagone possède le deuxième potentiel de vent en Europe, les énergéticiens hésitent à investir dans de grands projets sur le territoire du fait d’un contexte législatif complexe et surtout d’un manque de visibilité sur les tarifs d’achat19. Les industriels français, bien positionnés dans l’aéronautique, la fabrication de turbines, le naval ce qui pourraient les rendre compétitifs aussi bien sur l’amont que sur l’aval de la filière énergétique. Cependant, sans visibilité sur un volume de projets suffisant ils ne peuvent investir dans la construction d’usines. Le coût de production de l’électricité éolienne terrestre est pourtant relativement bas20. Même s’il reste compliqué de gérer cette production intermittente, de nombreux investissements dans les Smart Grids permettront d’y remédier21. Ainsi, le débat sur la transition énergétique devrait mettre en évidence un réel potentiel éolien en France. Le système d’appel d’offres pour de grands projets offshore semble être une solution22 pour que la France développe enfin une réponse industrielle au défi des ENR. Une évolution favorable du cadre législatif notamment avec une stabilisation du tarif d’achat et une sanctuarisation des conditions d’implantations vers les régions en déficit de production seront absolument nécessaires pour que la filière exprime tout son potentiel.

La législation devrait aussi permettre la montée en puissance de sources de production pour l’instant peu significatives dans le mix énergétique français comme le biogaz. Cette filière présente un cadre législatif spécifique dans chacune de ses sous-filières (ISDND23, méthanisation des déchets ménagers, agricoles, industriels et des boues des stations d’épuration). La production d’électricité à partir de biogaz a été très peu favorisée entre 2001 et 2011 en France, alors qu’elle présente un double intérêt énergétique et environnemental de traitement des déchets. Le débat sur la transition énergétique ne fera que confirmer le fort potentiel de développement de cette filière. La valorisation du biogaz en électricité a été revue à la hausse pour la méthanisation des déchets agricoles24 et il est fort probable que cette incitation soit progressivement étendue à d’autres familles de déchets organiques. Une valorisation plus incitative du biogaz permettrait ainsi de le transformer plus systématiquement en électricité et chaleur25.
A travers le débat sur la transition énergétique qu’il a lancé, le gouvernement cherche la meilleure stratégie à mettre en œuvre pour augmenter la capacité de production de l’électricité verte sur son territoire et atteindre ses objectifs. Il est peu probable que l’on observe des bouleversements législatifs dans la filière solaire qui conservera sans doute sa croissance limitée par le système des quotas. Il faudra en revanche suivre de près le positionnement du gouvernement dans l’éolien car une stabilisation des tarifs d’achat permettrait aux investisseurs et aux industriels de disposer de la visibilité nécessaire pour que la France retrouve sa croissance des années 2010-2011. Enfin, l’incitation législative mise en place sur la valorisation des déchets agricoles, sera sans doute étendue à d’autres familles de déchets organiques.

Sia Partners

Cet article s’inscrit parmi les nombreux dossiers rédigés par Sia Partners sur la gestion et le développement des énergies renouvelables en France. Parallèlement, SiaPartners a développé une offre sur ces thématiques. Pour tous renseignements, contactez Sia Partners.

Fondé en 1999, avec 300 consultants, le cabinet de conseil en management Sia Partners (initialement SIA-Conseil) est présent en France, Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc et à Dubai. Il a développé un magazine internet « Energies et environnement« .

Notes

  • [1]Données avancées par EDF.
  • [2]19 TWh produit en 2011 sur ces trois sources de production en France, contre 56 TWh pour l’Espagne, 32 TWh pour l’Italie et 105 TWh pour l’Allemagne.
  • [3]La plupart des pays imposent une subvention obligatoire aux contribuables sur chaque kWh consommés pour inciter l’installation des sources de production d’électricité à base de renouvelable. Ce système est appelé feed-in-tarif ou tarifs de rachat subventionnés et prioritaires.
  • [4]Avec la rénovation des réseaux et des outils de production, et le démantèlement des centrales nucléaires.
  • [5]Hors hydraulique, puissance des unités de production d’électricité à partir de biomasse, éolien et solaire de 12,5 GW pour la France contre 71,4 GW pour l’Allemagne. Sources : REN21, Windpower.org, Observ’ER, Rapports AIE
  • [6]Annonce des quatre grands opérateurs du réseau allemand le 15/10/2012, pour un total de 20 Milliards d’euros.
  • [7]5,1 Md€ prévus pour financer la CSPE de 2013 par la CRE, dont 3,53 Md€ pour toutes les ENR. Cela représente presque la moitié de la CSPE 2013 : 0,92 c€ des 1,88 c€/kwh.
  • [8]57,7% selon AGEB en 2012.
  • [9]74,8% selon la CRE en 2012.
  • [10]Environ 12,5 GW de puissance installée fin 2012 en France contre environ 71,4 GW de puissance installée fin 2012 en Allemagne (éolien + solaire + électricité à base de biomasse). Sources : REN21 : « RENEWABLES 2013 GLOBAL STATUS REPORT », Observer, CRE
  • [11]Coût de l’électricité TTC. Source Eurostat 2012.
  • [12]53 textes de lois ont été édités depuis 2006. Source : Photovoltaïque.info
  • [13]Selon les dires François Fillon en Avril 2010 au discours de Vitré : « pour le photovoltaïque, on a fait n’importe quoi ». Le moratoire a éliminé presque la moitié des projets en attente d’approbation par ERDF (passage de 3,6 GWc à 1,9 GWc)
  • [14]Les tarifs réglementés ont chuté de 20% dans le résidentiel à 60% pour les centrales au sol. Des quotas et un système d’appel d’offre ont été mis en place pour contrôler la puissance raccordée.
  • [15]Source : Ademe.
  • [16]Sur les 5,1 Md’€ prévus par la CRE en 2013, 1,9 Md’€ concernent le photovoltaïque et 0,56 Md’€ concernent l’éolien. Sachant que le parc solaire était de 4 GW fin 2012 et le parc éolien de 7,5 GW d’éolien. A puissance égale, le solaire coûtera donc plus de six fois plus cher que l’éolien !!
  • [17]Le doublement des volumes cibles annoncé par Delphine Batho (passage de 500 MW annuels à 1000 MW par an) est très loin des 7400 MW installés par l’Allemagne en 2012.
  • [18]De 2008 à 2010 le parc éolien français a progressé de 75% (de 3,4 GW à 6 GW), et seulement de 21% de 2010 à 2012 (de 6 GW à 7,2 GW).
  • [19]L’incertitude sur les tarifs d’achat vient de l’action judiciaire menée par l’association « vent en colère » qui dénonce les tarifs d’achat 2008. Bien que le nouveau ministre de l’écologie Philippe Martin a assuré dans un communiqué de presse que le «Gouvernement assumera ses responsabilités et continuera de prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir la sécurité juridique et la continuité des mécanismes de soutien au développement de l’éolien », la justice européenne ne s’est pas encore prononcée, et les investisseurs attendent le jugement et la certitude que les tarifs d’achat seront conservés pour se positionner.
  • [20]8,2 c€ / kWh.
  • [21]Le déploiement du compteur linky sur le réseau national en est le meilleur exemple.
  • [22]Grâce au premier appel d’offre offshore, Alstom va construire 4 usines en France, capitaliser un savoir-faire, et continuer son développement à l’international. Avec le lancement du second ce sont au total 3 GW d’éolien offshore qui seront raccordés en 2020-2022. 3 GW supplémentaires devraient être accordés suivant ce principe pour atteindre les objectifs fixés.
  • [23]Installations de Stockage de Déchets Non Dangereux
  • [24]Avec la revalorisation à la hausse du tarif d’achat en 2011 (jusqu’à 20c€/KWh suivant le mode de traitement). L’objectif de 1000 méthaniseurs dans le secteur agricole en 2020 (contre 100 en 2012) a été annoncé par Delphine Batho et Stéphane Lefoll dans le plan « énergie méthanisation autonomie azote » en mars 2013.
  • [25]La filière ISDN qui a représenté 80% de la production d’électricité à partir de biogaz en France en 2011, n’a utilisé que 30% du biogaz récupéré (le reste étant brûlé en torchère). De même, l’entrée en vigueur début 2012 de la loi sur l’obligation de tri des gros producteurs de bio-déchets est un premier pas qui doit s’accompagner d’une incitation à leur valorisation.