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Marché du CO₂, la Commission Européenne envisage de réformer le système

Le gel partiel des allocations de quotas d’émission de CO2 – le backloading – a été adopté le 3 juillet 2013 par le Parlement Européen1. En réduisant le nombre de quotas mis aux enchères sur le marché, cette mesure vise à contrecarrer la chute du prix des quotas résultant, notamment, de la baisse de l’activité économique depuis 2008. Celle-ci ne s’attaque cependant pas aux faiblesses structurelles du système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) et se révèle être avant tout une mesure palliative de court-terme. Afin de soutenir l’objectif de décarbonation à moindre coût de l’économie européenne à l’horizon 2050, des réformes plus profondes doivent être engagées.

L’efficacité du SCEQE se heurte à ses faiblesses structurelles

Principal outil supportant la politique climatique européenne, le SCEQE souffre depuis sa création de plusieurs faiblesses structurelles qui entravent son efficacité. Tout d’abord, en déterminant à l’avance le niveau de l’offre sur une période relativement longue, le SCEQE s’impose un cap qui ne peut être modifié en fonction des aléas conjoncturels de l’économie. Malgré la baisse de la demande entraînée par la crise économique, les volumes de permis d’émission introduits sur le marché ont ainsi été maintenus ce qui a fortement contribué à la chute du cours des quotas. Bien que cette baisse des prix ait un effet contra-cyclique2 appréciable en temps de crise, l’accumulation excessive de surplus entre 2008 et 2012 « déstabilise sérieusement le bon fonctionnement du marché du carbone au travers des fluctuations excessives des prix engendrées par ces surplus additionnels »3.

Le SCEQE souffre également d’une mauvaise coordination de celui-ci avec les autres politiques énergies-climat. Ce manque de cohérence pénalise le bon fonctionnement du marché du CO2 comme le montre l’exemple du « paquet climat énergie ». Alors que l’objectif officiel de réduction des émissions par le biais du SCEQE est de 5.000 Mt sur la période 2008-2020, le développement des énergies renouvelables, les mesures en faveur de l’efficacité énergétique et l’utilisation des quotas MDP et MOC4conduisent à des réductions de 2.000Mt, 500 Mt et 1.650Mt5. L’objectif effectivement assigné au SCEQE se retrouve ainsi divisé par 10! Associé aux difficultés à modifier les plafonds d’émission en fonction de l’évolution macroéconomique, le manque de coordination entre les politiques énergies-climat conduit à vider de sens les objectifs du SCEQE et à affaiblir « la crédibilité du marché »6.

Enfin, le SCEQE n’apporte pas la visibilité à long-terme nécessaire aux opérateurs du marché. En limitant ses objectifs explicites à 20207, le système ne permet pas aux industriels d’établir correctement leurs anticipations ce qui freine leurs capacités à investir dans des solutions décarbonées. De plus, l’adoption récente du backloading fait renaître la crainte que le SCEQE devienne un instrument soumis aux aléas politiques. Les industriels craignent notamment que les mesures exceptionnelles de ce type relèvent uniquement de l’appréciation de la Commission Européenne (CE)8 et ils réclament une plus grande visibilité tant au niveau des réformes à venir que des objectifs à long-terme9.

Les mesures à court-terme de la CE ne satisfont pas les opérateurs du marché…

Afin de pallier ces faiblesses structurelles, la CE a présenté plusieurs options visant à soutenir le fonctionnement du SCEQE10. En réduisant l’offre de quotas en début de période, le backloading permet tout d’abord de remédier rapidement aux risques que font courir les surplus accumulés en Phase II et de corriger à court-terme les déséquilibres entre offre et demande (voir l’article « Marché du CO2 : le backloading ne sauvera pas le SCEQE » du Blog Energies & Environnement de Sia Partners). Si ce gel s’accompagnait finalement d’un retrait des quotas du marché, cette solution serait un premier pas dans l’adaptation du SCEQE aux évolutions macroéconomiques. Celle-ci ne modifierait cependant pas les objectifs post-2020 et n’apporterait aucune réponse au manque de coordination des politiques énergies-climat.

Deux autres propositions visent quant à elles à modifier les objectifs de réduction des émissions de CO2 à court-terme en augmentant l’effort demandé à l’horizon 2020 de -21% à -30%. Cette évolution pourrait se faire soit par le retrait de 1,4 milliards de quotas (option B), soit par l’augmentation du facteur de réduction linéaire à 3,4%/an (contre 1,74%, option C). Cette seconde option présente l’avantage d’envoyer un signal à plus long-terme au marché car le facteur de réduction linéaire devrait s’appliquer après 2020. De plus, cette révision pourrait permettre d’aligner par la suite les plafonds du SCEQE avec les ambitions de l’UE à l’horizon 205011 – réduire de 80-95% ses émissions de CO2 par rapport à 1990 – en augmentant le facteur jusqu’à 7,3%/an. L’option consistant à accroître le facteur de réduction linéaire à 3,4% a reçu un bon accueil de la part des opérateurs mais ceux-ci s’inquiètent qu’une révision « politique » du facteur soit prévue avant 202512. Ils regrettent ainsi que ces différentes propositions ne s’inscrivent pas dans un horizon temporel plus long et ne soient pas mieux coordonnées avec les autres politiques énergies-climat.

… mais les réformes structurelles de long-terme seront délicates à mettre en œuvre

A côté des options visant à soutenir le marché à court-terme, la CE a également proposé des pistes de réformes plus profondes. Partant du constat que les entreprises soumises au SCEQE sont beaucoup plus sensibles aux variations macroéconomiques que celles hors du système13, l’option D étudie l’opportunité d’élargir le périmètre du dispositif à de nouveaux secteurs. Cette proposition présente l’avantage de soutenir l’ambition européenne d’un marché du CO2 couvrant l’ensemble des activités mais aussi celui de réduire la sensibilité du marché aux variations du PIB. Cette réforme ne pourra cependant être initiée qu’à partir de la fin des négociations internationales sur le climat prévue en 2015 (voir l’article « Sommet de Durban : quid du marchés des quotas de CO2 ? » du Blog Energies & Environnement de Sia Partners), et son application ne semble pas pouvoir se faire avant 2020. De la même manière, l’option E consistant à limiter l’accès aux crédits internationaux (MDP et MOC) dépendra très certainement de l’avancement des négociations internationales mais aussi du développement des autres marchés du carbone à travers le monde14.

La dernière option envisagée par la CE consiste à réformer en profondeur le fonctionnement du SCEQE en instaurant des mécanismes d’encadrement des prix. En instituant un prix de réserve minimum lors des mises aux enchères, cette mesure empêcherait le prix du CO2 de tomber à des niveaux trop faibles pour être efficaces. Les quotas mis en réserve lors des périodes de surplus pourraient ensuite être réintroduits lorsque des tensions sur les prix réapparaissent ou bien être retirés définitivement du marché. Le prix du CO2 risquerait toutefois de se retrouver soumis à des décisions politiques et administratives, ne traduisant alors plus la dynamique entre offre et demande. Afin d’éviter cet écueil, plusieurs intervenants plaident en faveur de la création d’une autorité indépendante responsable de la supervision du système15. Celle-ci serait en charge de l’adaptation de l’offre de quotas aux évolutions macroéconomiques – via une révision du calendrier des allocations – mais aussi de l’évaluation et de la mise en cohérence du SCEQE avec les autres politiques énergies-climat – via une révision des plafonds d’émission. Cette solution se heurte cependant à de nombreux obstacles institutionnels et politiques qui risquent de ralentir son adoption.

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Première étape dans la réforme du SCEQE, le backloading n’offre qu’une réponse limitée et de court-terme aux principales faiblesses du marché européen du CO2. Bien que les propositions de la CE s’attaquent à plusieurs de ses déficiences, aucune ne semble à même de soutenir une réforme structurelle du système. Ce dont le SCEQE a le plus besoin, c’est avant tout d’une volonté politique ambitieuse, crédible et explicite permettant aux opérateurs d’asseoir leurs anticipations à long terme : « une feuille de route traçant l’avenir d’une Europe compétitive et sobre en carbone d’ici 2050 »16.

R. Bonnette

Notes:
(1) Commission Européenne, Déclaration (03.07.2013) « Connie Hedegaard : « Parliament vote sends clear message that Europe needs an effective ETS » »
(2) Activité économique et prix des quotas sont étroitement liés et évoluent conjointement. En cas de baisse de l’activité, le prix des quotas d’émission baisse également ce qui améliore la compétitivité des entreprises intégrées au SCEQE et permet ainsi d’espérer une reprise plus rapide.
(3) « But with the surplus already at almost a billion allowances in 2011, there is a real risk of seriously undermining the orderly functioning of the carbon market by causing excessive price fluctuation due to the additional short-term over-supply of allowances. » (Commission Européenne, Rapport (14.11.2012) « The state of the European carbon market in 2012 », p.6)
(4) Les mécanismes de développement propre (MDP) et de mise en œuvre conjointe (MOC) sont deux instruments permettant de récompenser les projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement. Les projets relevant de ces mécanismes se voient attribués des quotas d’émissions qu’ils peuvent ensuite revendre sur le marché européen du carbone.
(5) CDC Climat, Climate Brief n°18 (09.2012) « Energy efficiency, renewable energy and CO2 allowances in Europe: a need for coordination »
(6) Union Française de l’Electricité, Note de position (12.10.2012) «Un besoin d’optimiser le mécanisme ETS pour garantir un signal prix carbone pertinent »
(7) Il est prévu que le facteur linéaire de réduction de 1,74% décidé pour la phase III soit maintenu après 2020 mais une révision obligatoire par le Parlement Européen au plus tard en 2025 ne permet pas aux opérateurs de considérer ce facteur comme une donnée de très long-terme.
(8) Union Française de l’Electricité, Note de position (12.10.2012) «Un besoin d’optimiser le mécanisme ETS pour garantir un signal prix carbone pertinent »
(9) Commission Européenne, Consultation meeting on options for structural measures (01.03.2013) « Summary of the results of the online consultation »
(10) Commission Européenne, Rapport (14.11.2012) « The state of the European carbon market in 2012 »
(11) Commission Européenne, Rapport (08.03.2011) « A Roadmap for moving to a competitive low carbon economy in 2050 »
(12) Commission Européenne, Consultation meeting on options for structural measures (01.03.2013) « Summary of the results of the online consultation »
(13) En 2011, alors que l’économie européenne connaissait un recul de 4,5% de son PIB, les secteurs soumis au SCEQE ont vu leurs émissions baisser de 11% tandis que ceux hors du système n’ont enregistré qu’une baisse de 4% (Commission Européenne, Rapport (14.11.2011) « The state of the Europen carbon market in 2012 »)
(14) CDC Climat, Point Climat n°13 (05.2012) «Y aura-t-il un prix de marché pour les CER et ERU dans deux ans ? »
(15) Chaire Economie du Climat, Les Cahiers de la Chaire Economie du Climat n°24 (04.2013) « Pourquoi et comment redresser le système européen des quotas de CO2 » ; Union Française de l’Electricité, Note de position (12.10.2012) «Un besoin d’optimiser le mécanisme ETS pour garantir un signal prix carbone pertinent »
(16) Commission Européenne, Rapport (08.03.2011) « A Roadmap for moving to a competitive low carbon economy in 2050 »