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Transition énergétique en France, des objectifs proches… qui semblent de moins en moins réalisables

Des objectif proches qui semblent de moins en moins réalisables, photo Frédéric Douard

Cinq ans après le Grenelle de l’environnement, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a défini les contours d’une nouvelle « feuille de route » écologique française lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012. Les mesures de soutien à la filière renouvelable française seront bien au cœur des débats futurs sur la « transition énergétique ».

Dans le cadre de ses objectifs 3×20 européens, la France s’est engagée, à l’horizon 2020, à ce que la part des énergies renouvelables atteigne 23% de la consommation totale du pays. Cet objectif de 36 Mtep de renouvelable, nécessiterait une progression de +21 Mtep par rapport au niveau de 2007, se décomposant entre chaleur (+10 Mtep), biocarburants (+3 Mtep) et électricité renouvelable (+7 Mtep). Cependant, depuis 2005, la production annuelle d’électricité d’origine renouvelable n’a augmenté que de +1,1 Mtep, un rythme de progression bien trop faible pour espérer remplir le contrat, d’autant plus que les développements rapides initialement observés dans l’éolien et le photovoltaïque se sont essoufflés récemment. Si les chiffres semblent décevants, le Grenelle a eu néanmoins le mérite de fixer un cap clair et ambitieux en matière de développement des énergies renouvelables, dont les fondamentaux ne sont pas remis en cause aujourd’hui.

Source, Plan d’action, SOeS (Cliquer pour agrandir)

Des efforts conséquents mis en place pour soutenir les filières…

Le précédent gouvernement a pourtant élaboré un véritable arsenal de mesures de soutien. La principale demeure les obligations d’achat de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables. En parallèle, des appels d’offre ont également contribué à la croissance de la puissance installée. Les régions ont été sollicitées pour définir leurs objectifs en matière de renouvelables, à travers un SRCAE1 et ont parfois mis en place des fonds d’aide spécifiques. Le Fonds Chaleur – 1 milliard d’Euros jusqu’à 2014 – cofinance des projets de chaleur renouvelable. Les particuliers bénéficient également de réductions fiscales pour l’achat d’équipements de production renouvelable.
Par ailleurs, l’Etat a promu activement la R&D pour les filières émergentes, sur lesquelles la France pouvait potentiellement se positionner comme leader industriel. Le fonds démonstrateur de recherche de l’Ademe, les Investissements d’Avenir, les fonds de garantie ainsi que les structures comme les ANR2 et pôles de compétitivités ont vu le jour pour permettre le financement de projets de démonstrateurs et contribuer à la mise au point de technologies novatrices. Résultat de ces efforts : ~20 Mds€ de CA et ~100 000 emplois en France dans le domaine des énergies renouvelables en 2010. Une dynamique aujourd’hui relayée par le nouveau gouvernement avec notamment l’annonce lors de la conférence d’une initiative lancée par l’Ademe début 2013 visant la construction de démonstrateurs d’énergie hydrolienne dans le cadre du développement des énergies marines.

…mais un bilan décevant au regard des efforts engagés

En finançant l’achat des installations via les obligations d’achat, la politique menée a essentiellement permis de créer des emplois en aval de la chaîne de valeur – installation locale des équipements – au détriment de la filière amont – R&D et fabrication des équipements potentiellement exportables- naturellement plus pérennes en terme d’emplois.
En effet, l’Etat a souhaité développer l’ensemble des filières renouvelables sans tenir compte de la compétitivité des industries françaises. Or, d’autres pays se sont lancés avant la France dans le développement de ces filières via des efforts considérables de R&D et disposent aujourd’hui d’industries bien plus compétitives. Ainsi, concernant le photovoltaïque près de 90% des panneaux installés ont été importés – créant un déficit commercial d’un milliard d’euros – tandis que les producteurs de panneaux nationaux tels que Photowatt sont à la peine économiquement. De même, malgré un soutien fort à la filière éolienne terrestre, la France ne fait pas partie des 15 premiers acteurs mondiaux.
La CSPE3, financée par les consommateurs, a représenté en 2011 un total de 3,5 Mds€ dont 38,2%4 destinés à couvrir les seuls tarifs de rachats PV et éoliens. C’est donc 1 Mds€ que les consommateurs français ont dû payer pour couvrir une partie du coût des tarifs de rachat du photovoltaïque5. A l’horizon 2020, la CRE estime que la CSPE liée aux tarifs de rachats devrait quasiment quadrupler pour atteindre les objectifs fixés.

En outre, les appels d’offres sont intéressants pour dynamiser une filière s’ils s’inscrivent dans une logique de développement claire, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour la biomasse par exemple, les acteurs de la filière ont été désorientés par les fréquents changements de cap de la CRE.
De plus, des leviers restent à renforcer, comme par exemple le soutien à la R&D – indispensable pour les technologies émergentes – qui nécessite une meilleure coordination afin d’en améliorer l’efficacité. Les soutiens régionaux paraissent également encore timides au regard de l’ancrage local des énergies renouvelables et donc de l’importance des enjeux pour les territoires.
Enfin, un ensemble de réglementations restrictives et complexes – ZED, 5 mâts minimum, ICPE, augmentation de l’IFER pour l’éolien terrestre, règlementation environnementale pour l’éolien offshore et les énergies marines – brident les investissements et freinent le développement des filières.
Autant de critiques que le nouveau gouvernement compte adresser : le premier ministre a ainsi rappelé dans son discours de clôture l’importance de doter la stratégie EnR « d’un cadre réglementaire stable qui soit en même temps transparent et favorable aux investissements ».

Efficacité des dispositifs de soutien des filières renouvelables - Source : Analyse Sia Conseil (Cliquer pour agrandir)

Une vision à redéfinir

Si une analyse critique de la stratégie EnR est un préalable à la définition d’une feuille de route cohérente, il est également essentiel de clarifier ce que l’on attend du développement des énergies renouvelables dans notre pays à long terme. Dans cette optique, trois grands axes de réflexion devront être approfondis pour asseoir la logique de la stratégie EnR.
Un premier axe, centré autour de la décentralisation de la production, consisterait à privilégier les petites installations, certes plus onéreuses mais qui représentent un réel potentiel pour modifier les comportements de consommations notamment en favorisant l’autoconsommation.
Le second axe, dans une réflexion plus centralisée, serait de concentrer les efforts, notamment économiques, sur les énergies les plus rentables. Développer les énergies à faibles coûts et à forts potentiels – éolien6, incinération et cogénération biomasse – permettrait de limiter la hausse de la facture pour les consommateurs tout en assurant l’atteinte des objectifs.
Enfin, si l’atteinte des objectifs doit s’accompagner de la création de filières industrielles pérennes, alors les efforts doivent cibler en priorité les énergies émergentes dont les potentiels sont incertains mais pour lesquels l’absence de concurrence internationale permettrait à la France de faire valoir ses atouts.

Axes de réflexion pour redéfinir la feuille de route des énergies renouvelables - Source, Analyse Sia Conseil (Cliquer pour agrandir)

Ajoutons que soutenir les énergies renouvelables implique d’investir de manière conséquente dans des moyens de diffusion et de régulation pour permettre leur bonne intégration dans le bouquet énergétique. A ce titre, nous pouvons citer par exemple la construction de réseaux de chaleur pour valoriser l’augmentation de la chaleur renouvelable, le renforcement des capacités d’interconnexion infra- et interrégionales à travers des investissements substantiels sur le réseau ou encore la responsabilisation des producteurs d’énergies intermittentes et le développement du stockage.

Au-delà des simples mesures de secours comme celles annoncées durant les deux jours de la conférence environnementale, les groupes de travail sur la transition énergétique devront donc fournir au secteur énergétique une vision globale et cohérente sur la stratégie ENR de la France pour les décennies à venir. Ils devront notamment garder en mémoire deux constats. D’une part, un mix énergétique s’inscrit toujours dans une réalité géographique, surtout lorsque l’on considère des énergies intermittentes. Ainsi, la feuille de route française devra tenir compte des spécificités géographiques françaises et se faire en cohérence, voire même en concertation avec les collectivités locales et les pays voisins afin de développer des complémentarités pertinentes. D’autre part, l’ampleur des efforts consacrés à l’installation de capacités supplémentaires de production renouvelable renforce la pertinence des investissements en faveur de la maîtrise de la demande d’énergie. Une priorité que le gouvernement semble aujourd’hui avoir assimilé, au vu des objectifs de rénovation très audacieux réaffirmés lors de la conférence. Reste à espérer que le débat sur la transition énergétique aborde les nombreux points encore en suspens, à savoir les modalités de développement de la géothermie, du solaire thermique, de valorisation des déchets et de la filière bois.

Sia Partners le 24 septembre 2012

Notes :

  1. (1) Schéma régional climat air énergie
  2. (2) Agence nationale de la recherche
  3. (3) Contribution au service public de l’électricité : taxe prélevée sur la facture d’électricité de l’ensemble des consommateurs. Elle permet principalement de couvrir les surcoûts liés aux tarifs de rachat et à l’exploitation des systèmes électriques insulaires.
  4. (4) Cette somme ne représente que la moitié des charges réelles, le coût supplémentaire étant à 95% supporté par EDF.
  5. (5) La moitié des coûts est payée par les consommateurs, l’autre est à la charge d’EDF, l’Etat étant récalcitrant à faire porter l’ensemble de la charge aux consommateurs.
  6. (6) L’éolien permet la production de 12 TWh par an pour un montant CSPE de 450 M€ contre 2TWh pour 1 Mds€ pour le photovoltaïque (chiffres 2011).

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