Lien de bannissement

7 Md£ d’investissements dans les énergies renouvelables en 2011 au Royaume-Uni

Centrale biomasse de Lockerbie, 44 MWé

Le 22 mai 2012, Edward Davey, Ministre de l’énergie et du changement climatique (DECC, Department of Energy and Climate Change) a révélé les grandes lignes de sa proposition de loi sur l’Energie (Draft Energy Bill). Celle-ci doit mettre en musique les mesures annoncées dans le Livre Blanc sur la réforme du marché de l’électricité, ainsi que dans le Plan Carbone, qui soulignaient la volonté du gouvernement de transformer le système électrique britannique afin d’assurer la sécurité et la décarbonisation de la production future d’électricité, tout en s’assurant qu’elle reste bon marché. Le projet de loi est désormais entre les mains des parlementaires du Energy and Climate Change Select Committee (Commission pour l’énergie et le changement climatique) qui va procéder à des auditions avant de rendre un avis.

1. Contenu de la proposition de loi
Le gros morceau de la proposition de loi détaille les mesures qui engageront la réforme du marché de l’électricité. Celle-ci est, de l’avis unanime plus que nécessaire. En effet, au cours des dix prochaines années, la capacité britannique de production d’électricité sera diminuée d’un quart (fermeture des anciennes centrales nucléaires et au charbon), ce qui signifie que des investissements importants, estimés par le gouvernement à 110 Md£ et par certains producteurs d’électricité à 200 Md£ d’ici 2020, seront nécessaires pour construire l’équivalent d’une vingtaine d’unités électriques de grande taille, ainsi que pour moderniser profondément le réseau. Sur le long terme, à l’horizon 2050, le gouvernement prévoit également un doublement de la demande en électricité comme une conséquence de l’électrification des transports et du chauffage domestique. Or ces investissements importants doivent également se faire en tenant compte de l’objectif ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80% d’ici 2050 par rapport à 1990 associé au déploiement de jusqu’à 30% d’énergies renouvelables dans la production électrique du pays d’ici 2020.

Les principales mesures cherchent donc à soutenir les investissements dans les énergies décarbonées de telle sorte qu’elles puissent sur le long terme être en concurrence équitable avec les sources plus polluantes (charbon et gaz) grâce à un prix du carbone stable. Comme le souligne le DECC, il s’agit d’une vision de long terme (10-15 ans) étant donné que les technologies vertes sont encore à différents stades de développement. Au coeur de la proposition de loi, on retrouve la mise en place d’un système de rachat d’électricité à prix déterminé s’appuyant sur des contrats de long terme (FiT-CfD, Feed-in-Tariffs with Contract for Difference) afin de favoriser le développement de sources d’électricité à basse émission de carbone. Il s’agit d’une évolution du mécanisme des Feed-in-Tariffs, mis en place en janvier 2010, qui a rencontré un succès indéniable. Une mesure spéciale (Final Investment Decisions (FID) Enabling) soutiendra les investissements en attendant la mise en place complète des CfD.

Les quatre étapes de la réforme du marché de l'électricité, source Electricity Market Reform, Policy Overview

La loi prévoit la création d’un nouveau marché de rémunération des capacités, destiné à encourager les investissements dans des moyens de production d’électricité utilisés lors des pics de consommation. Des mesures (Conflicts of Interest and Contingency Arrangements) sont destinées à s’assurer que l’opérateur qui sera en charge de ce marché est adéquat. Le Renewable Obligation Scheme sera prolongé transitoirement pour garantir la stabilité des investissements en cours, tandis que l’Emissions Performance Standard (EPS) limitera les émissions de CO2 autorisées pour les centrales à combustible fossile (charbon en particulier). Le prix plancher du carbone (Carbon Price Floor) a déjà fait l’objet d’une législation (à travers le Finance Act, en 2011). Il sera introduit à partir de 2013 à environ 15,70 £/tCO2, puis devrait grimper régulièrement pour atteindre 30 £/tCO2 en 2020 et 70 £/tCO2 en 2030 (prix constant, base 2009).

La seconde série de mesures concerne l’Office of gas and electricity markets (Ofgem, le régulateur du marché de l’électricité) ainsi que l’Office for Nuclear Regulation (ONR, le bureau pour la régulation nucléaire). La loi prévoit d’assurer un dialogue entre le gouvernement et l’Ofgem à travers un Strategy and Policy Statement qui contribuera à aligner les stratégies de long terme et donc à réduire les incertitudes sur la réglementation. L’ONR verra son statut évoluer afin d’être pleinement capable d’assurer son rôle de réglementation en matière de sécurité et de sûreté, alors que de nouvelles centrales nucléaires devraient être construites au cours de la décennie. Enfin, la loi autorisera la vente du Government Pipeline and Storage System (GPSS, Système gouvernemental de canalisations), un réseau de 2 500 km de canalisations et des réservoirs qui stockent et transfèrent les réserves stratégiques de pétrole. Il fournit actuellement 40% du kérosène aux principaux aéroports.
L’ensemble des détails de la proposition de loi sont disponibles ici.

2. Critiques sur l’inconsistance de la politique gouvernementale
Alors que le gouvernement assure que ces mesures contribueront à renforcer le soutien aux énergies décarbonées, de nombreuses voix se sont élevées pour déplorer le manque d’une vision claire sur le long terme ainsi que la versatilité des mesures.

Des analystes remarquent ainsi que le gouvernement semble avoir soigneusement évité tout engagement ferme à bannir le charbon comme source d’électricité d’ici 2030. Or, selon le Climate Change Committee (CCC, Comité sur le changement climatique [voir ci-contre]), la seule façon d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 (les Budgets carbone) est de décarboniser quasiment toute l’électricité avant 2030, avec une électricité produite à moins de 50 gCO2/kW, ce qui n’est clairement pas réalisable avec des centrales à charbon, sauf si elles sont équipées de systèmes de capture et stockage du carbone (CSC), technologies qui sont encore bien loin d’être commercialement viables. Le projet de loi établi par le DECC pourrait résulter en une production électrique bien moins verte que cet objectif, même si le ministre s’en défend, en rappelant que la cible des 50 gCO2/kW « n’a pas été écartée ». En fait, il semble que le gouvernement, confronté à la crise économique qui continue de toucher le pays, ne souhaite pas pénaliser trop fortement la compétitivité des entreprises ni imposer aux consommateurs le coût de la décarbonisation de l’économie (voir partie 4). C’est pourquoi les mesures avancées dans le projet de loi se refusent à prendre tout engagement ferme sur la date de sortie des centrales au charbon, afin de garder de la « souplesse », selon le terme choisi par le ministre.

Mais vouloir garder cette souplesse, en dépit d’annonces antérieures plus ambitieuses, revient à « souffler le chaud et le froid sur leur engagement » comme le souligne le think tank IPPR. Selon David Kennedy, le Directeur Général du CCC, « cela ne nous aide pas du tout. Le gouvernement veut retenir de la flexibilité, mais en faisant cela il ne fait que créer plus d’incertitudes. Le gouvernement doit dire quel est l’objectif de sa politique. Les investisseurs ne savent pas s’il y aura une course vers le gaz (« dash for gaz ») suivie d’un développement des énergies décarbonée, ou si nous passerons directement aux énergies propres. C’est cela justement qui va dissuader les investissements que le gouvernement appelle de ses voeux ». Joss Garman, de Greenpeace ajoute : « en ne donnant pas d’objectif clair pour l’électricité décarbonnée d’ici 2030, les ministres ouvrent la porte d’une nouvelle et dangereuse course vers le gaz, qui entraînera à la hausse à la fois la facture énergétique des familles et les émissions de GES, et qui augmentera notre dépendance aux importations de combustibles fossiles ». Car face à des incertitudes sur la constance des mécanismes de soutien aux investissements dans les énergies décarbonées, les investisseurs se tourneront naturellement vers des formes d’énergie moins risquées, comme les centrales au gaz, une technologie qui est prouvée, et qui présente des rendements élevés associés à des temps et des coûts de construction maîtrisés.

Le Committee on Climate Change (Comité sur le Changement Climatique) est un organisme indépendant établi par la Loi sur le Changement Climatique de 2008 et qui conseille le gouvernement et les administrations concernées sur les questions liées au changement climatique. En particulier il contribue à l’établissement des budgets carbones et évalue annuellement les progrès effectués en matière de réduction des émissions de GES par rapport à ces budgets. Son président actuel est Lord Adair Turner.

3. Une certaine fébrilité autour du nucléaire
Le nucléaire constitue une composante clef de la politique énergétique du gouvernement britannique en permettant de combler le déficit de production électrique à craindre avec la fermeture annoncée des centrales nucléaires actuelles et des anciennes centrales à charbon, tout en limitant les émissions de GES. Huit réacteurs étaient originellement prévus, mais après la décision d’E.On et RWE de se retirer de la course (suite à la décision allemande de sortir du nucléaire), seul un consortium emmené par EDF Energy reste en lice pour construire deux EPR à Hinkley Point. Il est, selon les analystes, peu probable de voir huit nouveaux réacteurs sortir de terre lors de la prochaine décennie, comme annoncé en 2009. Du fait de cette incertitude, les environnementalistes craignent que les centrales au gaz ne remplacent certaines des centrales nucléaires initialement prévues. De plus, EDF Energy a récemment mis en attente la poursuite du développement du projet de construction d’une nouvelle centrale à Hinkely Point, même si le consortium qui se chargera de travaux de génie civil (pour un montant de 2 Md£) vient d’être sélectionné. EDF Energy se dit confiant dans la poursuite du projet, avec une décision fin 2012.

Les contrats de long terme à prix négocié (long term price contracts) seront au cœur du dispositif de soutien au développement du nucléaire, mais aussi des éoliennes offshores, deux secteurs qui nécessitent d’importants investissements en capital avant de produire de l’électricité à un coût modéré. Ces contrats de long terme sont en fait une façon contournée de subventionner le secteur électronucléaire. Ces contrats seront sans doute initialement négociés au cas par cas entre les producteurs d’électricité et National Grid, l’opérateur du réseau, puis, dans un second temps, alloués par enchères. Le coût supplémentaire, concédé par le contrat, serait répercuté sur la facture d’électricité des consommateurs. Avec le dérapage du coût de construction des centrales EPR en Finlande et en France, certains craignent que le programme nucléaire soit coûteux pour le consommateur et / ou le contribuable britannique.

Le ministre, Ed Davey, a encore une fois tenté de rassurer, en confirmant qu’il n’y aura pas de soutien spécifique au secteur nucléaire, les investissements privés devant se faire sur une base purement commerciale. Il précise ainsi sur la BBC qu’à « moins que le nucléaire ne soit compétitif, comme le prétend l’industrie, ces projets nucléaires ne seront pas poursuivis ». Une menace que les analystes perçoivent plutôt comme un moyen d’accroître la pression afin de négocier à la baisse le coût de construction des centrales nucléaires que comme la volonté ferme d’afficher un prix que le programme nucléaire ne doit pas dépasser.

7 Md£ d’investissements dans les énergies renouvelables annoncés en 2011.
Selon les derniers chiffres du ministère de l’énergie et du changement climatique, le montant des investissements annoncés par le secteur privé dans les énergies renouvelables au Royaume-Uni a totalisé 7 Md£ en 2011, potentiellement créateurs de 20.000 emplois. Le Yorkshire et l’Écosse sont les destinations les plus attractives pour ces investissements. Le DECC a également publié une carte virtuelle détaillant les investissements par région.

4. La grande question du coût
En filigrane de ces débats se retrouve sans cesse la question cruciale du coût de la décarbonisation du secteur énergétique britannique. Car étant données la conjoncture économique actuelle et la politique du gouvernement de réduire la dette publique, et au vu du montant des investissements requis (au moins 110 Md£, possiblement plus), on peut se demander si les moyens nécessaires seront là, si le secteur privé sera au rendez-vous et surtout si cette réforme et la mutation du système de production électrique britannique ne se feront pas aux dépens du consommateur. Quand on considère qu’un investissement requis de 200 Md£ d’ici 2020 (un chiffre mis en avant par le secteur industriel), représenterait 8.000 £ par foyer, la crainte d’une hausse importante du coût de l’énergie est légitime.

Des organismes tels que l’Ofgem avaient prévenu il y a quelques mois qu’au cours des prochaines années, une hausse de 500 £ de la facture énergétique moyenne annuelle des consommateurs n’est pas à exclure. Le gouvernement lui-même reconnaît que la facture énergétique des consommateurs pourrait augmenter de 200 £ d’ici 2030, si rien n’est fait, et que cette réforme devrait maintenir cette hausse à 160 £. Toutefois, le ministère des finances souligne que si une partie de la facture se répercutera sur les foyers, cette hausse sera plafonnée par le gouvernement. De plus la décarbonisation du secteur énergétique devrait permettre aux foyers d’économiser 4% de leur facture en réduisant leur dépendance aux prix volatiles des combustibles fossiles, une projection qui est cependant contestée. Cette question est cruciale alors que 8,5 millions de britanniques pourraient tomber dans la précarité énergétique d’ici 2016. Les industriels ont, de leur côté, souligné le risque que des mesures comme le prix plancher du carbone pourraient leur coûter annuellement jusqu’à 1,2 Md£ en 2020, mettant en question leur compétitivité.

Des son côté, l’IPPR a rendu public, fin avril, un rapport qui relève l’importante hausse de la facture énergétique qu’ont subie les consommateurs britanniques au cours de ces dernières années. Celle-ci est passée en moyenne de 605 £ par an à 1 060 £, principalement du fait de la hausse du prix du gaz et malgré l’accroissement de l’ouverture à la concurrence. En fait il apparaît, pour IPPR, que cette concurrence est encore insuffisante (marché dominé par six grands fournisseurs) avec le potentiel de réduire de 70 £ par foyer la facture d’ici 2020 par une ouverture du marché plus large. Un chiffre qui pourrait, dans une certaine mesure, contribuer à amortir la hausse due aux efforts de décarbonisation du secteur.

5. L’IMechE appelle à plus d’efforts dans le soutien au stockage de l’électricité
De son côté, l’Institution of Mechanical Engineers (IMechE) profite de cette période de réflexion sur l’avenir des mécanismes de soutien au développement des énergies décarbonées pour rappeler l’importance des technologies de stockage de l’électricité et du besoin crucial de mesures claires de soutien du gouvernement pour leur développement.

En effet, alors que la proportion de sources intermittentes d’électricité (vent, soleil) devrait s’accroître, il va être de plus en plus nécessaire de disposer dans le réseau de réserves transitoires d’électricités afin de garantir un équilibre permanent entre l’offre et la demande. Or, l’IMechE relève que, jusqu’à maintenant, l’adoption des technologies de stockage de l’électricité a été très limitée du fait d’une combinaison de facteurs réglementaires, commerciaux et techniques.

Fort de ce constat, l’institution exhorte le gouvernement à adopter trois recommandations :

  • Soutenir des actions destinées à identifier le vrai bénéfice pour le système du stockage de l’électricité. Le DECC devrait ainsi réaliser au plus vite une analyse détaillée pour estimer de manière réaliste les besoins en la matière au Royaume-Uni et sa valeur pour le pays ;
  • Développer un cadre qui récompense la valeur du stockage de l’électricité dans l’écosystème énergétique britannique. La loi sur la réforme du marché de l’électricité devrait ainsi prendre en compte la spécificité du stockage et rémunérer en conséquence les investisseurs et opérateurs ;
  • Encourager et soutenir les efforts britanniques de développement des technologies avec pour ambition d’établir un avantage commercial à l’exportation. Cela doit passer par une accélération du soutien aux démonstrateurs pré-commerciaux.

Conclusion
La proposition de loi, qui doit maintenant faire l’objet de discussions au Parlement, est pour le DECC la seule à même de garantir la réforme du marché de l’électricité qui apparaît plus que jamais nécessaire pour assurer une transition vers des sources d’énergie décarbonées, garantir le remplacement des centrales nucléaires et à charbon vieillissantes, ainsi que pour maintenir au plus bas la facture des consommateurs. Mais le gouvernement doit naviguer entre les contraintes économiques, la protection de la compétitivité de ses entreprises, et son engagement à mener une lutte engagée contre les émissions de GES qui se traduit par son objectif ambitieux de réduire de 80% les émissions de GES d’ici 2050. La flexibilité qu’a insufflée le DECC dans ce projet de loi, pour ne pas heurter trop brutalement l’économie, risque de se retourner contre sa volonté de développer les énergies vertes, souvent coûteuses et qui nécessitent de la constance et une vision de long terme. Paradoxalement, le choix de ne pas annoncer clairement la sortie des centrales au charbon pour 2030 pourrait générer une nouvelle course vers le gaz, alors que les investisseurs seraient prêts à développer les énergies décarbonées.

Ce qui est clair, c’est que la réforme est « complexe et non testée » comme le souligne récemment l’Agence Internationale de l’Énergie, qui précise que « si la réforme se passe mal, elle peut conduire à des hausses des prix pour les consommateurs et une plus grande inefficacité, alors que les entreprises essaieront de tirer le plus des concessions du gouvernement et des régulateurs, sans réellement chercher à concourir pour faire baisser les coûts ». Il ne faut également pas oublier le second grand moyen d’action pour réduire les émissions de GES : l’amélioration de l’efficacité énergétique, dont le fer de lance est le Green Deal, qui doit être annoncé cet automne, malgré d’importantes critiques sur son efficacité.

Origine : BE Royaume-Uni numéro 116 (29/08/2012) – Ambassade de France au Royaume-Uni / ADIT – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/70776.htm