Le bois-énergie, promesse d’emplois et pilier des objectifs du gouvernement français
Mardi 3 juillet 2012 s’est tenu le Colloque National Biomasse organisé par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER). Cette seconde édition, encore entièrement dédiée au bois-énergie, visait cette année les opportunités de la filière pour l’économie française.
En ces temps de crise économique, le bois profite ainsi d’une attention accrue, que n’a pas manquée de souligner la nouvelle Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie. Venue ouvrir la séance, Delphine Batho a en effet salué « une filière stratégique pour la France » et a profité de l’occasion pour annoncer son objectif de faire du bois « une énergie majeure du mix énergétique français ». Dans ce contexte, Sia Conseil propose de dresser l’état des lieux à date de cette filière qui fait parler d’elle.
Le bois, première source d’énergie renouvelable en France…
La biomasse, terme générique regroupant en réalité 3 sources d’énergie, le bois, le biogaz (issu de la méthanisation de déchets ménagers, industriels, agricoles ou encore de boues de STEP) et les déchets incinérés, est la grande championne des EnR françaises. En effet, avec plus de 11 Mtep1d’énergie finale consommée en 2010, elle représente légèrement plus de la moitié de l’énergie renouvelable consommée en France (22 Mtep sur les 158 Mtep d’énergie finale consommée, toutes sources confondues).
Le bois énergie contribue quant à lui à hauteur de 85% de la production d’énergie primaire issue de la biomasse hors biocarburants2 Cette filière du bois, relativement méconnue, est donc pourtant aujourd’hui le principal levier de la production d’énergie renouvelable française.
Ce poids de la biomasse, et en particulier du bois, dans le mix énergétique se traduit dans les prévisions de production de la PPI3 pour l’atteinte des objectifs d’EnR fixés par l’Europe à la France dans le cadre du paquet Energie et Climat.
En ce qui concerne l’électricité, ces objectifs ont été fixés par la PPI pour la biomasse dans sa globalité (1,48 Mtep), sans distinction de sous-filières. Le Plan d’Action national en faveur des énergies renouvelables prévoit quant à lui que la biomasse solide (c’est-à-dire le groupe formé par le bois et les déchets) augmente sa puissance installée de 623 MW en 2005 à 2 382 MW en 20204.
Cependant, il est peu probable que le parc d’incinérateurs de déchets, dont la puissance installée vaut aujourd’hui 800 MW, se développe significativement d’ici 20205. La filière ne pourra donc pas produire les volumes nécessaires à l’atteinte des objectifs biomasse et le bois devra assumer la majeure partie de la production supplémentaire à fournir. Ainsi, le bois énergie devrait être capable d’afficher une puissance installée de plus de 1 500 MW d’ici 8 ans alors qu’elle n’était encore fin 2011 qu’à à peine 200 MW…
Concernant la production de chaleur, le bois énergie jouera également un rôle central puisque la filière s’est vue attribuer un objectif de 15 Mtep pour 2020, soit plus des trois quarts de l’objectif total de chaleur renouvelable (19,7 Mtep).
… et un sérieux atout pour l’économie française
Le principal atout de la filière est son importante ressource. En effet, la forêt française, qui couvre près de 30% du territoire national, occupe le troisième rang européen en termes de volume. Cependant, seul 65% de l’accroissement naturel6 est exploité, laissant plus d’un tiers de la ressource en bois disponible non récoltée. Avec plusieurs millions de m3 de bois forestier mobilisable dans les forêts publiques7, le potentiel de développement du bois énergie en France est donc considérable, et il le serait d’autant plus si le frein que représente le morcellement de la forêt française8 était en partie levé.
De plus, la filière est un vecteur d’emplois locaux et non délocalisables puisque liés à la ressource. Sa montée en puissance pourrait voir augmenter le nombre d’emplois de plusieurs milliers, alors qu’il est aujourd’hui estimé par le Ministère9à 60 000 pour l’ensemble du secteur, des filières amont (conception, construction des centrales, fabrication, commercialisation et installation de matériel) et approvisionnement (sylviculture, transformation du combustible, transport, distribution etc.), aux filières aval (gestion des centrales, services de distribution).
Le secteur du bois énergie connait toutefois des freins persistants, notamment aux niveaux de la filière d’approvisionnement, qui manque de structuration, et des débouchés, trop peu nombreux. Plus globalement, la rencontre entre la ressource et les débouchés est une problématique majeure du secteur puisque les ressources se trouvent principalement dans des régions isolées, tandis que les débouchés sont le plus souvent dans les zones urbaines. Or la chaleur ne peut pas être transportée sur des distances élevées à cause des pertes trop importantes que cela entrainerait, et les débouchés doivent donc être suffisamment proches de l’installation. De même, si la ressource est trop éloignée de l’installation, les coûts et émissions dus aux transports rendent l’opération non rentable.
En plus de porter en grande partie la responsabilité des objectifs européens de réduction des émissions de GES pour 2020, et d’être un levier significatif pour l’indépendance énergétique de la France, le bois-énergie présente donc un enjeu économique certain. Cette filière doit par conséquent poursuivre son développement, et pour cela être correctement soutenue afin de lever les freins qui l’entravent.
La filière doit être soutenue par des outils adaptés et stables
Les objectifs ambitieux fixés par l’Europe ont contribué à insuffler un certain dynamisme au secteur qui a vu sa filière amont commencer à se structurer et de nouveaux acteurs, tels qu’Areva et de petites entreprises locales, entrer en jeu.
Cette dynamique a également été portée par l’introduction d’une série de mesures de soutien par le gouvernement qui a souhaité, depuis 2002, favoriser le développement de la cogénération comme moyen de valorisation du bois. Mais ces outils, introduits à tâtons à l’image des appels d’offre CRE10 et des tarifs de rachat11 dont les modalités n’ont cessé d’être modifiées, ont de plus subi ces dernières années un sévère coup de rabot : le tarif de rachat a significativement baissé en janvier 2011 en passant de 4,5 à 4,34 c€/kWh12, les objectifs du quatrième appel d’offres de la CRE (CRE4) ont été abaissés de 800 MW à 200 MW, et le budget du fonds chaleur a été largement amputé13. Un ralentissement du développement de la filière est donc à craindre, ce qui irait à l’encontre des objectifs fixés en termes d’EnR.
On ne peut alors que recommander à la Ministre de mettre en application ce qu’elle a annoncé au dernier Colloque du SER, à savoir sécuriser « les outils de soutien à la filière qui ont fait la preuve de leur efficacité, notamment le fonds chaleur ». Les enseignements tirés du fonctionnement des aides en place ces dernières années et les retours de la filière permettent d’ores et déjà d’identifier quelques mesures clefs à mettre en œuvre rapidement.
Le fonds chaleur, qui a eu des effets très positifs sur la filière en permettant le lancement de 357 projets entre 2009 et 201114, pour une production annuelle de 0,65 Mtep, ne devrait dans un premier temps pas voir son budget diminuer. Le fonds est le principal moyen de soutien aux débouchés de chaleur tels que les réseaux et est donc un levier crucial pour lever les freins du secteur (problèmes de rencontre entre ressources et débouchés), tout comme l’introduction de mesures visant à structurer la filière approvisionnement.
Ensuite, concernant les appels à projets, la diminution des temps d’instruction, actuellement de l’ordre de 1 à 2 ans, et la stabilisation des modalités permettraient de sécuriser les investisseurs et donc de voir augmenter le nombre de dossiers déposés. En effet, les acteurs du secteur manquent aujourd’hui de visibilité sur la rentabilité de leurs projets puisque différents paramètres tels que le prix de la ressource et les débouchés disponibles peuvent varier entre le dépôt des dossiers et l’obtention des subventions. De plus, ils ne peuvent se projeter sur le long terme sans connaitre les conditions à satisfaire pour les prochains appels d’offres.
Par ailleurs, il est nécessaire de redéployer les aides, y compris les tarifs de rachat, sur une gamme de puissance plus large incluant les petites installations (de puissance installée inférieure à 5 MW) car celles-ci ont un potentiel important mais ne peuvent aujourd’hui pas se développer. Par exemple, une installation de 2MW de puissance électrique représente déjà 6 MW en thermique mais ne bénéficie actuellement d’aucune aide. En outre, les centrales de faibles puissances sont les plus faciles à développer, toujours en raison de ce besoin d’adéquation entre ressources et débouchés.
Enfin, il semble qu’une gestion locale des problématiques liées au bois (et même plus généralement à la biomasse) serait la plus avantageuse. En effet, les politiques d’aides nationales mises en place ont pour l’instant très peu convaincu les acteurs de la filière et les investisseurs. De plus, une décentralisation de la gestion des projets de bois énergie au niveau régional permettrait une meilleure gestion de l’approvisionnement et des débouchés, faciliterait la mise en relation des acteurs et permettrait un traitement simplifié des projets, en accord avec le contexte local.
Le dispositif national de soutien au bois-énergie mis en place jusqu’à aujourd’hui pas adapté à ce secteur. De nombreuses mesures peuvent être prises pour favoriser le développement de cette filière prometteuse, tant pour l’indépendance énergétique et la production d’énergie renouvelables françaises, que pour l’emploi. Il faudra toutefois prendre garde à ne pas adopter une vision trop court-termiste, se focalisant sur les volumes d’énergies renouvelables imposés par les objectifs européens, car cela mènerait à la concentration des aides sur des énergies certes efficaces mais matures telles que le bois, aux dépens de filières émergentes dans lesquelles l’industrie française a une carte à jouer.
Notes :
(1) Energie finale issue de la biomasse consommée en 2010 en France, hors biocarburants
(2) La suite de cet article se concentre sur la biomasse pour la production de chaleur et d’électricité et fait donc exclusion des biocarburants.
(3) Programmation Pluriannuelle des Investissements
(4)Le Plan d’Action national en faveur des énergies renouvelables considère que le biogaz, qui ne représentait que 5% de l’énergie produite à partir de la biomasse en 2010 et 12% en 2008, va poursuivre son développement et atteindre 22% de l’électricité produite à partir de biomasse en 2020. Le nombre de projets en développement atteste en effet de ce dynamisme de la filière avec 4 sites de méthanisation des déchets industriels et 35 sites de méthanisation agricole en construction en 2011, ainsi que 2 à 3 nouvelles unités de méthanisation des déchets ménagers par an.
(5) En 2005, année de référence pour la Programmation Pluriannuelle des Investissements de 2009, l’incinération des déchets était responsable de 56% de l’électricité produite à partir de biomasse solide (bois et déchets), soit environ la moitié de l’électricité totale produite à partir de biomasse. Aujourd’hui encore, avec une puissance installée de 800 MW, la filière est cruciale pour la production d’électricité à partir de sources renouvelables.
(6) L’accroissement naturel annuel en volume sur écorce est calculé sur la période de 5 ans précédant l’année du sondage. Il correspond à l’augmentation du volume de bois sur écorce en un an et s’exprime en m3/an.
(7) D’après ONF Energie
(8) La forêt française appartient à 75% à des propriétaires privés. Seul un dixième de la surface forestière appartient à l’état (forêts domaniales) et le reste aux collectivités. Ceci explique le morcellement et donc la difficulté d’accès aux forêts françaises : on dénombrait en 2009 3 319 propriétaires pour une surface moyenne de moins de 3ha (d’après l’Institut National de l’information Géographique et forestière).
(9) D’après le discours de Delphine Batho pour l’ouverture du Colloque National Biomasse organisé par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) le 3 juillet 2012.
(1O) La CRE a piloté quatre éditions d’appels d’offres « biomasse » en 2003, 2006, 2008 et 2011. Ces appels sont lancés par le gouvernement dans le but de remplir les objectifs de la Programmation Pluriannuelle des Investissements et permettent aux projets retenus de bénéficier des tarifs de rachat préférentiels de l’électricité.
(11) Le gouvernement a plusieurs fois modifié les tarifs de rachat pour essayer de les adapter à la filière. Ainsi, en 2002, 2009 et 2011, les puissances éligibles et les niveaux des prix de base et des primes ont été revus (le prix de base passant de 4,9 c€ à 4,5 c€ puis 4,34 c€, tandis que la prime à l’efficacité énergétique augmentait de 1,2 c€ à 5 c€ puis 10,62 c€ – au maximum).
(12) Cette diminution du tarif de base est en partie compensée par l’introduction d’une prime à l’efficacité énergétique comprise entre 7,71 et 10,62 c€/kWh pour les installations présentant une efficacité entre 50 et 80%. Ce changement de tarif se traduit toutefois par une baisse moyenne de 5%.
(13) Le fonds chaleur a été lancé en 2009 avec un budget prévu de 960 M€ pour les deux premières années, puis 800 M€ par an jusqu’en 2020. Or, pour des raisons budgétaires, l’enveloppe de départ de 960 M€ a finalement été étalée sur 5 ans (2009 à 2013). Le budget post 2013 doit lui être renégocié.
(14) L’objectif du fonds chaleur est la production de 5,5 Mtep de chaleur d’origine renouvelable d’ici 2020, soit plus du quart des objectifs d’énergies renouvelables pour 2020. Ce chiffre très ambitieux explique que le fonds se concentre sur des projets de forte puissance ; l’objectif est la diffusion de masse. Le principe est de permettre, grâce à des subventions, de vendre la chaleur renouvelable 5% moins chère que celle issue du gaz. Les aides peuvent être attribuées à des entreprises, des industriels, des acteurs du tertiaire et de l’agriculture ou des collectivités, pour des projets dans le bois énergie, le biogaz, l’incinération des déchets, la géothermie, les pompes à chaleur et le solaire thermique. Elles sont attribuées selon le type de l’installation.
- www.developpement-durable.gouv
- www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
- FONDS CHALEUR – Bilan et perspectives, ADEME, octobre 2011
- Le Baromètre 2011 des énergies renouvelables en France, Observ’ER, 2011
- Le Journal des énergies renouvelables, « ADEME : Le fonds chaleur renouvelable est bien parti », Observ’ER, ADEME, Décembre 2010
- Plan d’Action national en faveur des énergies renouvelables Période 2009-2020, Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer, 2009
Auteur : C. Depigny, SIA Partners le 2 août 2012
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