Biocarburants, ne jetons le bébé avec l’eau du bain
Éditorial de Bioénergie International n°19 de mai 2012
Alors que la Commission européenne a été invitée à faire rapidement des propositions de loi pour revoir le niveau des critères de durabilité des biocarburants, il convient en même temps de prendre conscience des différences territoriales et des échelles de production. Examinons pour cela les deux problématiques principales : le bilan carbone et les effets sociaux.
Concernant le carbone, l’analyse de cycle de vie des biocarburants de 1ère génération réalisée en 2009 pour l’Ademe indique que les biodiesels et les bioéthanols produits en France à partir de biomasses locales affichent toujours des bilans énergétiques largement positifs par rapport aux carburants fossiles. Les filières oléagineuses présentent les bilans énergétiques les plus intéressants avec des réductions de consommation d’énergie non renouvelable, allant de 65% à 85% par rapport à un gazole fossile. L’étude de l’IFHVP présentée dans ce magazine montre également des bilans forts flatteurs pour les huiles végétale en circuits courts et en agriculture raisonnée, et qui substituent jusque 85% de carbone par rapport au diesel. Les éthanols quant à eux, en raison de leur mode de production plus énergivore, affichent des niveaux de réduction allant de 49% (éthanol de blé) à 85% (éthanol de canne à sucre). Les gains énergétiques sont par contre beaucoup plus faibles pour les ETBE, allant de 18% (ETBE de blé) à 54% (ETBE de canne à sucre).
Les scénarios prospectifs à 5 ans montrent des potentiels d’amélioration de 10% pour les biodiesels et de 15% pour l’éthanol mais il est certain que le minimum actuel européen de 35% d’économie minimale par rapport aux carburants fossiles est peu stimulant pour l’efficacité et qu’il convient de la rehausser sensiblement, vers les 65%.
Toujours sur la question du carbone, les possibles changements d’affectation des sols dégradent aussi potentiellement l’efficacité des biocarburants. Si dans les pays industrialisés, la déforestation est consommée depuis longtemps, l’extension des surfaces cultivées dans les secteurs encore vierges a des impacts moins favorables. Dans cette configuration, en tout cas à court terme, un certain nombre d’années est nécessaire avant d’amortir un déstockage de carbone forestier par la substitution réalisée par la culture de remplacement, sauf si le bois extrait sert lui-même à substituer du carbone fossile, auquel cas l’opération peut être « carbonement » neutralisée dans le sens où elle ne vient pas se surajouter aux émissions en cours.
Sur les aspects sociaux, il convient de discerner également les territoires. Les pays excédentaires en production ont tout intérêt à la diversification des débouchés. La production de biocarburants a ainsi permis en France une diversification importante notamment pour les filières de production de betterave et de colza, ce qui concerne 18 000 emplois. Cette activité génère par ailleurs des co-produits utilisés en alimentation animale (tourteaux de colza, drêches de blé, pulpes de betteraves) et en chimie (glycérol), réduisant ainsi l’importation de produits similaires (notamment des tourteaux de soja pour l’alimentation animale).
Dans les pays déficitaires ou tout juste à l’équilibre alimentaire, l’effet social peut être radicalement différent : d’une part avec une compétition sur les matières premières, mais aussi et surtout une compétition sur les terres, qui conduit trop souvent à des expulsions et à un accaparement notamment des terres publiques communes au profits d’investisseurs souvent étrangers. Les critères de durabilité européens devront également se définir sur cette question.
Terminons par les critères d’échelle de production. Là où une production industrielle de biocarburants, dont les dividendes échappent aux populations locales, peut ruiner une agriculture vivrière et appauvrir des populations, de petites productions locales, maîtrisées par les petits producteurs pour leur consommation propre, peuvent tout au contraire rompre la dépendance aux énergies fossiles de plus en plus chères et rendre service aux populations.
Retenons de cela que l’on peut trouver le meilleur et le pire dans beaucoup d’activités, qu’il convient de traiter les choses au plus près des réalités locales, donc au cas par cas, et gardons nous de la tentation de jeter une solution au prétexte qu’elle n’est pas encore mature.
Frédéric Douard
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