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Un hôpital du Burkina Faso, alimenté en électricité par des résidus de récoltes gazéifiés

Henri Koubizara, le maire de Pô, photo © Tiphaine Réto

On la juge avec condescendance comme le continent de l’aide humanitaire. L’Afrique n’en demeure pas moins une force économique émergente, moteur avec l’Asie de la croissance mondiale de ces dernières années. En 2010, quand les économies développées se remettaient péniblement de la crise, le PIB africain progressait de 4,3%. PIB qui flirtait même avec les 6% entre 2002 et 2008 alors que dans le même intervalle la zone euro végétait à moins de 2%. Et si cette croissance africaine n’en était qu’à son commencement ? En effet, à l’heure où les pays riches doivent déconstruire leur modèle économique pour l’adapter à la future pénurie énergétique et aux défis climatiques, le continent a la chance de pouvoir bâtir son propre modèle de développement fondé, entre autres, sur les énergies renouvelables, la gestion durable des ressources, l’éco-construction, le recyclage…

Dans le cadre de l’expérience Terrafrica, nous avons voulu savoir comment un projet de compensation volontaire d’émissions de CO2 conclu entre une grande puissance économique – en l’occurrence l’Allemagne –  et une petite ville burkinabè change concrètement la vie locale. Pour cela, nous nous sommes rendus à Pô, commune de 53 000 habitants située au sud du Burkina, qui depuis fin 2009 tente de réduire sa dépendance au diesel pour faire fonctionner son hôpital les jours de délestage. Depuis un an sur place, une machine pilote d’une capacité de 22 kW remplace l’électricité produite à partir de groupes électrogènes par une énergie à base de biomasse respectueuse de l’environnement et source de revenus complémentaires pour les cultivateurs. Point d’étape.

Les résidus de cultures sont séchés au soleil plusieurs jours avant d’être utilisés comme combustible, photos © Tiphaine Réto

Alimentée en électricité jusqu’en 2008 à 100% par des groupes électrogènes diesel polluants et coûteux, la ville de Pô a ensuite été reliée au réseau public (Sonabel). On aurait pu croire qu’à partir de là, les choses allaient s’arranger et les finances de la municipalité s’alléger d’un lourd poste de dépenses. C’était sans compter les délestages fréquents auxquels la commune et ses environs étaient et sont toujours confrontés.

« Parfois, la Sonabel nous coupe l’électricité pendant 72 heures, explique Henri Koubizara, le maire. C’est très handicapant pour l’économie locale et les services de santé. C’est aussi très coûteux car il faut systématiquement acheter une quantité importante de diesel. » C’est dans ce contexte que le projet de production d’électricité par biomasse a vu le jour. « Il permet à la fois d’assainir nos finances, de préserver notre environnement et de valoriser les résidus de récoltes qui jusqu’à présent étaient inutilisés par les agriculteurs » se réjouit Henri Koubizara.

A un jet de pierre de la mairie, un site de 5000 m2 environ est dédié à la production d’électricité par biomasse. Treize techniciens y travaillent, formés par l’ONG allemande Atmosf’air, partenaire du projet. Les résidus de cultures (tiges de coton, de mil, de sorgho, coques d’arachides) apportés par la population locale sont examinés, puis pesés avant d’être achetés au tarif de 10 francs CFA le kg (10 000 francs la tonne, soit environ 15 euros.)

« Ils sont ensuite séchés au soleil plusieurs jours avant d’être utilisés comme combustible. Il arrive néanmoins que la biomasse soit de mauvaise qualité, pleine de feuilles, de cailloux ou de sable. Dans ce cas, nous refusons le chargement » explique Alira Abouqté, l’un des agents de la plateforme. Après la période de récolte, jusqu’à 600 kg de résidus de cultures sont réceptionnés par jour. Gouabou Danlema : « Avant je brûlais mes tiges de coton et de sorgho. Aujourd’hui, comme je peux en retirer un revenu, je les conserve pour les proposer à la mairie. Pendant l’hivernage (octobre à mai), je revends jusqu’à huit charretées de tiges, à raison de 250 kg en moyenne par chargement. Cette activité prolonge ma période de travail et me donne la possibilité d’acheter des céréales quand il devient difficile de se nourrir. » Véronique Abem : « Grâce à l’argent supplémentaire gagné par les familles, plus d’enfants peuvent aller à l’école. »

L’unité pilote utilisée actuellement à Pô produit de l’électricité en gazéifiant les résidus de récolte inutilisés par la population locale. Par heure, 30 à 40 kg de biomasse sont nécessaires et, en bout de chaîne, le gaz libéré qui se substitut au diesel alimente un moteur. « La machine d’une puissance de 22 kW fait fonctionner les services d’urgence de l’hôpital lors des délestages », affirme avec fierté Ali Zou, l’un des techniciens.Encore en phase de rodage, l’équipe d’Ali teste fréquemment l’optimisation du rendement en modifiant la composition de la biomasse enfournée dans la machine : 60% d’arachides, 30% de coton, 10% de sorgho, briquettes, tiges broyées, etc. « Rien n’est perdu car même les résidus de combustibles sont ensuite utilisés comme engrais ou charbon de cuisine par les familles ce qui réduit la déforestation » ajoute Grégoire Sama, ingénieur agricole burkinabè et coordinateur du projet.

Véronique Abem et Gouabou Danlema, cultivateurs à Pô, photos © Tiphaine Réto

Au centre hospitalier, situé à quelques dizaines de mètres de là, on nuance un peu l’enthousiasme général. « Le rendement n’est pas suffisant pour faire tourner tous les appareils en même temps, explique un médecin. Par exemple, si c’est le bloc opératoire qui est alimenté, l’équipement de radiographie reste bien souvent inutilisable. Nous devons donc prioriser les services en fonction des besoins. De plus, lors de la saison chaude, l’utilisation massive des climatiseurs pose également quelques soucis. »

D’ici à six mois normalement, au terme de cette phase de test, une machine d’une puissance de 250 kW prendra le relais du matériel actuel. Ainsi le centre hospitalier, la mairie, et bien d’autres structures de la ville seront en mesure de fonctionner à l’énergie propre. Une deuxième machine du même type doit également équiper la commune de Garango, toute proche.

Dans la cour de l’hôpital en tout cas, il en est un qui se réjouit déjà du système actuel. C’est Richard Kaboré, le directeur financier. Car le recours à la biomasse permet, selon lui, « d’économiser 30 à 40% de la facture mensuelle d’électricité, soit entre 400 et 500 000 francs CFA (de 610 à 765 euros). » Un bol d’air qui améliore le quotidien. « Désormais, nous sommes en mesure d’acheter des matelas supplémentaires pendant la phase épidémique de paludisme et d’améliorer notre service de restauration. » A Pô, ce sont les cultivateurs qui mettent du beurre dans les épinards des patients.

Article publié avec l’aimable autorisation de ses auteurs : © Sébastien Tranchant et Tiphaine Réto

Titre d’origine (Blog Terrafrica Burkina Faso) : A l’hôpital de Pô, on opère à l’énergie verte grâce aux agriculteurs