Situation de crise pour les producteurs canadiens de granulés
Un dossier de Nicolas MESLY du Coopérateur agricole québécois de septembre 2010
Si, de l’autre côté de l’Atlantique, la granule de bois est un moyen de réduire les GES, le Canada, le plus grand exportateur de produits forestiers de la planète, ne voit pas la forêt cachée derrière l’arbre. « Nous sommes l’enfant négligé des énergies renouvelables », explique Gordon Murray, directeur général de l’Association des producteurs de granules de bois du Canada (WPAC). Quand Ottawa parle d’énergies renouvelables, il mise sur la biomasse forestière et agricole seulement pour la production d’éthanol destiné aux automobiles. Et il compte surtout sur le développement des énergies éolienne et solaire.
Pourtant, de grandes centrales énergétiques européennes – Essent (Pays-Bas), Dong Energy (Danemark), Electrabel (Belgique) – substituent au charbon des granules de bois canadien pour produire de l’électricité. La biomasse forestière est considérée comme neutre en carbone, puisque le CO2 émis lors de la combustion est capturé par photosynthèse durant la croissance des plantes. De plus, une partie des Finlandais, des Suédois et des Danois chauffent leurs villages et leurs chaumières avec des granules de bois canadien. Pour un Scandinave, il est tout aussi facile d’actionner le thermostat d’une chaudière alimentée aux granules de bois que, pour un Québécois, de le faire pour son chauffage électrique.
Production mondiale de granules 2000-2010 (en millions de tonnes), source : Association canadienne des granulés
Crise du granulé au Canada
Plus de 90 % de la production de granules de bois canadien, principalement de Colombie-Britannique, est exportée, surtout vers le marché industriel européen. Le Québec, quant à lui, exporte 75 % de sa production vers le marché résidentiel des États du Nord-Est américain. Mais tant à l’ouest qu’à l’est du pays, le torchon brûle.
« J’ai dû fermer l’usine quatre mois l’hiver dernier, licencier une vingtaine de travailleurs, et j’estime mes pertes financières à 22 millions $ », explique John Arsenault, vice-président des opérations au Québec de Granules combustibles Energex.
La demande a fondu pour la plus grande usine québécoise de granules de bois, située à Lac-Mégantic, à cause en partie d’un hiver doux et de la force du dollar canadien.
Mais il y a plus. Les producteurs de granules de bois des États-Unis, profitant d’une subvention de 45 $ US la tonne (Biomass Assistance Program) accordée par le Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) en 2009 et reconduite en 2010, exportent maintenant des granules de bois dans l’est du Canada. L’aide de 235 millions $ US allouée jusqu’ici par le président Obama vise à favoriser la production de biocarburants et de bioénergie aux États-Unis. Grâce à l’effet combiné de cette subvention et d’un taux de change avantageux du dollar américain par rapport à l’euro, les usines américaines de granules de bois reluquent également le boom du marché européen, un fief jusqu’ici canadien. Alimentée par des politiques vertes, la demande européenne de granules de bois, selon la WPAC, va passer de 8 millions de tonnes en 2010 à quelque 80 millions de tonnes d’ici 2020, soit 10 fois le volume actuel.
Développer le marché canadien
« Nos usines tournent à 40 % de leur capacité dans l’ouest du pays et à 50 % dans l’est. Nous demandons à Ottawa de développer un marché intérieur de granules de bois comme il l’a fait pour l’éthanol », indique Gordon Murray, dont les revendications dans la capitale nationale en mars dernier sont restées lettre morte. Sans le développement d’un marché de biomasse canadien, inspiré de celui de l’Europe, le directeur général de la WPAC (qui regroupe 85 % des producteurs canadiens de granules) voit mal comment ses membres vont survivre.
Le Canada consomme annuellement quelque 60 millions de tonnes de charbon et il produit 18 % de son électricité avec cette énergie fossile. Inspiré par Washington, Ottawa sonne le glas pour les 51 usines parmi les plus polluantes au pays, mais privilégie leur conversion du charbon au gaz naturel, une autre énergie fossile. Tous les regards sont tournés vers l’Ontario Power Generation (OPG), qui pourrait créer le premier vrai marché de biomasse au pays. Élu en 2003 avec la promesse d’éliminer le charbon des centrales électriques, le premier ministre libéral Dalton McGuinty l’a repoussée jusqu’en 2014. « La centrale d’Atitokan, dans le nord de l’Ontario, sera la première à fonctionner avec des granules de bois », indique Ted Grutzner, porte-parole de l’OPG. Cette centrale carburera avec 90 000 tonnes de granules de bois. M. Grutzner n’a pas voulu confirmer le volume de deux à trois millions de tonnes de biomasse avancé pour verdir le réseau de l’OPG. Mais il a confirmé que cette biomasse devra « être produite en Ontario ». Manque de vision à Québec également Québec inscrit très timidement la biomasse dans sa lutte contre les changements climatiques. Un premier appel d’offres d’Hydro-Québec a été lancé en 2009 pour produire 125 MW à partir de biomasse, une goutte dans l’océan. Et l’entreprise d’État envisage plutôt de convertir la plus grande centrale autonome de son réseau, celle des Îles-de-la-Madeleine, avec un couplage éolien-diesel plutôt que biomasse-diesel. Cette centrale brûle 38 millions de litres de diesel par année. « On a exclu la biomasse pour des raisons techniques, explique Louis-Olivier Batty, porte-parole d’Hydro-Québec. La première est liée aux coûts de conversion de la centrale pour brûler la biomasse. La seconde relève de l’entreposage. Les granules de bois nécessitent 5 fois plus de place que le mazout, les copeaux, 30 fois. » Selon Michel Lachance, économiste et directeur des bioproduits industriels et technologies vertes au Conseil québécois de la valorisation de la biomasse (CQVB), la Belle Province pourrait facilement doubler – de 10 à 20 % – la part actuelle de la biomasse dans sa consommation énergétique. L’expert souligne que, pour atteindre cet objectif, l’avenir de la biomasse agricole et celui de la biomasse forestière sont liés. Différents utilisateurs, comme les fabricants de panneaux en particules ou encore les bioraffineries émergentes, se disputent la biomasse forestière. « On doit pouvoir compter sur la biomasse agricole. Mais les agriculteurs ne se lanceront pas dans cette aventure sans mesures incitatives visant à encourager l’approvisionnement à long terme », dit-il. Pour que la biomasse cesse d’être l’enfant négligée des énergies renouvelables, tant Ottawa que Québec doivent refaire leurs devoirs.