Le bois-énergie en France, une énergie renouvelable qui a besoin de soutien
Le bois-énergie, principale ressource biomasse en France, n’arrive toujours pas à émerger malgré les appels d’offres et les tarifs de rachat. Le modèle de soutien centralisé ne semble pas adapté à cette filière particulière au cœur des politiques de développement locales.
Une filière à développer, en oubliant les réflexes industriels traditionnels
En 1977, le rapport Jouvenel concluait sur l’opportunité de développer les industries du bois, dans la mesure où la France disposait d’une grande ressource forestière qu’elle n’optimisait pas assez. Au fil des années et des rapports – Méo-Bételaud en 1978, Duroure en 1982, Bianco en 1998, Roy en 2006, Puech en 2009 et indirectement Gaymard en 2010 – bien que des progrès aient été réalisés, ce constat n’a guère évolué : le potentiel de la forêt française est immense et demeure globalement sous-exploité. Aujourd’hui, il s’amplifie encore. Si la meilleure valorisation de la forêt est longtemps restée un enjeu industriel, – les sous-produits du bois étant traditionnellement un des principaux postes de déficit commercial de la France –, depuis 2008, la construction d’une politique forestière ambitieuse est aussi devenue centrale pour l’ambition énergétique française. Car le Grenelle de l’Environnement a pris acte du potentiel considérable du bois comme source d’énergie renouvelable. Avec un bilan carbone nul – pourvu que l’on replante ce qu’on l’a coupé – la biomasse et en particulier le bois devront contribuer à hauteur de la moitié de la production d’énergie renouvelable d’ici à 2020. Cependant, l’atteinte de ces objectifs nécessite d’oublier les réflexes industriels traditionnels pour valoriser intelligemment cette ressource : se méfier des visions trop éloignées du terrain, penser différemment le soutien à la filière et la piloter à une maille territoriale très fine.
Prendre en compte la diversité des forêts françaises
Le potentiel énergétique du bois français est indéniable. 16,1 millions d’hectares de forêt sur le continent et en Corse, recouvrant en moyenne 29% des surfaces de ces territoires : le couvert forestier français est le 4ème plus étendu d’Europe et le 3ème en volume. Par ailleurs, en 2006, l’Inventaire Forestier National estimait que près de 30% du bois produit chaque année par nos forêts n’était jamais récolté. De quoi considérer la forêt française comme un vaste terrain vierge à conquérir. Pour autant, cette vision macroscopique reste trop éloignée du terrain pour gouverner la mobilisation de biomasse supplémentaire pour l’énergie. La forêt française est très loin d’être homogène !
Tout d’abord, en termes de propriété, elle est majoritairement détenue par des propriétaires privés – 74% –, parfois sur des parcelles très petites. Mais d’une région sur l’autre, les régimes de propriété de la forêt varient fortement : au Sud et à l’Ouest, la forêt privée prédomine très largement ; à l’inverse, à l’Est, la forêt est majoritairement détenue et gérée par des acteurs publics. Ensuite, sur le plan écologique, les forêts françaises comptent assez peu de forêts monospécifiques particulièrement productives. Au contraire, une part significative de nos forêts compte plusieurs espèces dominantes et cellesci diffèrent géographiquement. Enfin, le relief crée de fortes disparités en termes d’exploitabilité : les forêts de montagne sont moins accessibles pour les engins de transport du bois et les distances de débardage fluctuent localement.A ces spécificités naturelles, s’ajoute encore un dynamisme régional de la filière bois très contrasté. L’industrie du bois est essentiellement active dans quelques bassins forestiers tels que l’Aquitaine, l’Alsace ou les Vosges où se concentrent les industries du papier et des panneaux de bois. Dès lors, il apparaît délicat de promouvoir une politique forestière uniforme, transposant les mêmes formules sur des territoires très divers en termes d’essence, de facilité d’exploitation, de compétition locale sur la ressource bois, de régime de propriété… La mobilisation du boisénergie appelle donc des mécanismes de soutien innovants.
Les succès contrastés des mécanismes de soutien à la production d’énergie à partir de bois
En France, le bois est considéré comme une source d’énergie pour la chaleur, dans la mesure où l’efficacité énergétique pour produire de la chaleur est bien plus élevée que pour produire de l’électricité. Dans le mix EnR prévu pour 2020, les objectifs de production de chaleur sont pratiquement 10 fois plus élevés que pour la production d’électricité.
L’Etat a retenu des mécanismes de soutien différents régis par deux organes distincts, au risque d’ailleurs d’une certaine incohérence, pour la chaleur seule – chaufferies pour processus industriel ou réseau urbain – et la cogénération – production de chaleur et d’électricité.
Cette dernière est traitée comme les autres EnR produisant de l’électricité. Les petites unités de cogénération – inférieures à 12 MWe – peuvent bénéficier des obligations d’achat. Les plus grosses unités sont régies par des appels d’offres menés par la CRE, dont l’échec est aujourd’hui patent. Sur les trois appels d’offre dont les résultats sont connus, seule une poignée de projets a effectivement vu le jour, pratiquement tous associés à des industriels du bois, avec des conditions d’approvisionnement extrêmement facilitées. Ces projets, pourtant nécessaires pour parvenir à l’objectif de production d’électricité, sont trop gros. Ils imposent de trouver un débouché pour des quantités de chaleur considérables, débouchés qui se font rares à proximité de nos principaux bassins forestiers. De plus, les industriels doivent obtenir des garanties sur un approvisionnement en quantités de bois jamais mobilisées jusqu’alors et à un prix stable sur 20 ans. Pour les plus petites unités de production, le seuil de puissance pour être éligible au tarif vient d’être abaissé par un amendement de la loi NOME, ce qui devrait simplifier leur développement – de 5 à 1 MWe pour les scieries –.
En revanche, la production de chaleur est encouragée avec plus de succès par le fonds chaleur renouvelable. Piloté par l’ADEME, il intervient pour des projets de chaufferies bois, de développement de réseaux de chaleur ou de plateformes de transformation du bois en plaquettes forestières sous la forme d’aides à l’investissement attribuées par des guichets régionaux pour les projets de petite taille et dans le cadre d’appels d’offres pour les plus grandes unités. Depuis son instauration, il a toujours dépassé ses objectifs. Il intervient sur des projets plus petits pour en débloquer la rentabilité et non comme principale source de revenu.
Pour un pilotage décentralisé de la filière bois-énergie
L’exemple du fonds chaleur est remarquable : c’est précisément en se plaçant à la bonne taille de projets et en intervenant comme déclencheur qu’il est parvenu à ses objectifs. Sans que toutes les dispositions de ce fonds soient parfaites, il pourrait inspirer un pilotage plus large de la filière bois-énergie, notamment au niveau local.
En effet, le bois-énergie est un combustible adapté à une filière énergétique en circuit court, peu propice aux économies d’échelles. Il convient donc de mettre en place des structures locales de gouvernance de la filière bois, au départ pour stimuler la coopération et, sur le long terme, pour garantir la cohérence des plans d’approvisionnement des différents acteurs sur un même territoire et veiller à la durabilité de la gestion de la forêt.
A ce titre, le développement des plans climats et des schémas régionaux EnR pourrait fournir des outils de pilotage de la filière. Les régions sont suffisamment proches du terrain pour connaître les projets de développement et couvrent des territoires suffisants pour initier des coopérations forestières intéressantes. Les communes pourraient également jouer un rôle d’initiateurs de projets particulièrement actifs : les chaufferies biomasse leur permettraient par exemple de réduire leur facture de chauffage tout en générant directement de l’emploi local pérenne.
En définitive, si les forêts françaises ont le potentiel pour s’approcher au plus près des objectifs du Grenelle de l’Environnement, elles nécessitent d’être valorisées et suivies à une maille territoriale resserrée, proche du terrain et des acteurs locaux, avec des ambitions raisonnables. Dans ce cadre, il apparaît cependant que la réalisation du Grenelle pour la production d’électricité à partir de biomasse sera beaucoup plus ardue, car elle se fonde aujourd’hui sur de gros projets difficiles à insérer dans le territoire. Si l’on souhaite maintenir ces projets très centralisés, peut-être faudra-t-il réfléchir à des options encore tabou, comme l’importation de bois.
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