Carburants alternatifs pour l’aviation, entretien avec deux responsables de l’IFPEN
Le transport aérien, avec 27 000 avions civils, doit s’adapter au nouveau contexte énergétique – pétrole plus rare et durablement cher, changement climatique – et trouver des solutions pour voler plus propre et consommer moins. Entretien avec Nicolas Jeuland, directeur du département Carburants – Lubrifiants – Emissions et Pierre Porot, directeur adjoint du centre de résultats Procédés d’IFP Energies nouvelles.
Quel est l’impact du trafic aérien sur la pollution et les émissions de gaz à effet de serre ?
N.J. : Pour le moment, le trafic aérien a un impact modéré et bien moins important que celui de l’automobile. Au niveau mondial, il représente environ 8 % de la consommation de pétrole et 2 à 3 % des émissions de CO2.
Mais avec un taux de croissance annuel moyen du trafic aérien compris entre 4 % et 5 % depuis le milieu des années 80, cet impact pourrait doubler à l’horizon 2025.
Cette augmentation du trafic aérien a également un impact sur notre environnement proche (notamment dans les zones urbaines situées à proximité des aéroports) : émissions de NOx, de particules de suies, d’hydrocarbures imbrûlés, bruit, etc. Dans ce contexte, les acteurs de l’industrie aéronautique, regroupés au sein de l’IATA (International Air Transport Agency), se sont fixés des objectifs ambitieux : réduire en 2050 les émissions de CO2 de 50 % par rapport à leur niveau de 2005.
Vers quelles solutions s’oriente le secteur aérien ?
P.P. : Pour atteindre ces objectifs ambitieux, les industriels cherchent à réduire la consommation des appareils par l’amélioration de l’efficacité des turbines et de l’aérodynamisme des appareils, l’allègement des avions et l’optimisation du trafic aérien.
Autre solution complémentaire également envisagée : remplacer une partie du kérosène d’origine pétrolière, qui assure aujourd’hui l’essentiel de l’avitaillement des avions, par des carburants alternatifs ayant un bilan environnemental plus avantageux. Des vols d’essai avec des carburants issus de la conversion d’huiles végétales ont d’ores et déjà été réalisés avec succès mais leur utilisation à grande échelle se heurte aux contraintes très spécifiques du transport aérien et à la disponibilité de la ressource huile.
A quels critères doivent répondre ces carburants alternatifs ?
N.J. : Dans le domaine aéronautique, les contraintes sont très fortes (sécurité, logistique, température, etc.). Tout nouveau carburant doit offrir de larges garanties :
- Le kérosène doit pouvoir être utilisé partout dans le monde : c’est le seul carburant doté de spécifications harmonisées à l’échelle internationale.
- En termes de spécifications, il doit pouvoir subir sans dégradation des changements importants de température (de – 60°C en très haute altitude à + 50°C lors du stationnement sur le tarmac) et de pression (de la pression atmosphérique au sol à une pression de l’ordre de 0,3 bar en haute altitude).
- Enfin, et surtout, les carburants pour l’aéronautique doivent démontrer leur compatibilité avec l’ensemble des organes moteur et des matériaux en contact avec le carburant.
Compte tenu de ces contraintes et des quantités très importantes de carburant nécessaire au transport aérien, aujourd’hui le choix se porte sur des carburants alternatifs dits « drop-in ». Il s’agit de carburants pouvant être incorporés, en toutes proportions, au kérosène d’origine fossile sans en perturber les propriétés et sans nécessiter de modification des organes moteur des avions.
Quels carburants alternatifs sont envisagés ?
P.P. : À court et moyen termes, deux types de biocarburants apparaissent comme étant les mieux adaptés au transport aérien et permettent de réduire sensiblement les émissions de CO2.
- Les huiles végétales hydrotraitées
Cette voie consiste à utiliser des huiles végétales (issues de ressources comme le jatropha, la cameline et à plus long terme des algues) pour produire des hydrocarbures (HVO ou Hydrogenated vegetable oil). En leur faisant subir une opération d’hydrotraitement, il est possible de transformer ces huiles en carburants, et en particulier en kérosène via un traitement complémentaire assurant une bonne tenue à froid des produits. Un premier carburant constitué de 50 % de HVO et de 50 % de kérosène pétrolier devrait être certifié par l’ASTM (American society for testing and materials) d’ici la fin de l’année 2011. La principale difficulté associée à cette voie est la disponibilité de la ressource huile et son prix. - Les carburants de synthèse issus de la biomasse
Il s’agit d’un biokérosène de type BtL (Biomass to Liquid), fabriqué à partir de biomasse lignocellulosique (résidus de bois, pailles de céréales, déchets forestiers). La biomasse est convertie en biokérosène de synthèse par gazéification suivie d’une synthèse Fischer-Tropsch. Ces carburants sont certifiés en mélange jusqu’à 50% depuis 2010.
Contrairement à la première voie, la ressource est dans ce cas plus vaste et moins onéreuse. La difficulté majeure réside dans le coût d’investissement des unités BtL.
A plus long terme, d’autres voies sont également à l’étude : transformation de l’éthanol en kérosène, transformation chimique des sucres et pyrolyse rapide de la biomasse.
Quels sont les travaux conduits par IFP Energies nouvelles ?
N.J. : En s’appuyant sur nos compétences dans le domaine des procédés de fabrication des carburants « bas carbone » et sur notre expertise en adéquation moteurs/carburants, nous avons engagé des recherches sur les solutions alternatives au kérosène pétrolier.
Nos travaux visent à définir les qualités optimales des carburants pour assurer le bon fonctionnement des avions (analyse des carburants, essais de combustion et de modélisation), à développer les procédés de production de ces carburants et à définir les stratégies d’incorporation. IFPEN conduit des recherches sur diverses voies, dont les HVO et le biokérosène de type BtL.
Nos travaux sont menés en partenariat avec les principaux acteurs du domaine aéronautique (Airbus, Dassault, EADS, Onera, Rolls-Royce, Safran, Sasol, Shell, Safran, etc.) dans le cadre de différents projets européens et nationaux (Alfa-Bird, Calin, Swafea, CAER…).
Quels sont les projets en cours ?
P.P. : IFPEN a développé, avec Axens, un procédé d’hydrotraitement d’huiles, mis sur le marché en 2011 sous le nom Vegan™. Ce procédé permet de produire du biokérosène à partir de sources renouvelables comme les huiles végétales , les graisses animales, voire à plus long terme les huiles algales.
Nous sommes aussi partenaire du projet BioTfueL, qui vise à développer à l’horizon 2015-2020 les technologies BtL permettant d’obtenir du kérosène bas CO2.
Source : site de l’IFPEN, mai 2011