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L’Afrique peut elle gagner la bataille des énergies renouvelables ?

Les besoins explosent face à la croissance démographique, photo Frédéric Douard

Face à la croissance démographique et à l’urbanisation auquel on peut rajouter une industrialisation progressive, les besoins énergétiques explosent en Afrique. Or les tensions géopolitiques notamment dans certains pays producteurs du brut et la forte demande des pays émergents notamment la Chine entraînent une flambée des prix du pétrole. En Afrique la croissance économique est soutenue depuis quelques années entraînent dans son sillage celle énergétique. Enfin la prise de conscience mondiale de la nécessité de la lutte contre le changement climatique oblige une décarbonisation de l’économie pour la rendre plus verte. Face à ce contexte le recours aux énergies renouvelables est donc inéluctable.

Les enjeux géostratégiques des énergies nouvelles

D’après Guillaume Sainteny, Maître de Conférence à X Paris, un positionnement stratégique sur les énergies renouvelles permet le contrôle de ces nouvelles filières industrielles et le partage de la valeur ajoutée qu’elles créent, l’atténuation de la contrainte énergétique globale pour les pays importateurs d’hydrocarbure et enfin une anticipation d’une éventuelle contrainte carbone croissante. Les Etats-Unies et l’Union Européenne sont positionnés sur l’aval de la filière. L’Asie mise sur l’amont et le milieu de la filière. On regrettera qu’il n’y ait pas un véritable positionnement stratégique de l’Afrique sur l’un des trois points évoqués. Or comme le rappelle Guillaume Sainteny, une structuration de la filière industrielle passe par plusieurs étapes. En amont il s’agit de la R&D, l’innovation et la conception des prototypes. Le milieu de la filière vise une maîtrise de la construction et de l’assemblage. En aval, les principaux enjeux se situent au niveau de l’installation des matériels et la production qui en découle, l’entretien et la maintenance de ces installations. Malgré l’absence d’une démarche globale pour l’ensemble du continent, on a tout de même des initiatives remarques de quelques acteurs comme l’Institut International de l’Eau et de l’Environnement (2IE) du Burkina Faso avec son innovation « Flexy Energy ». Le concept « Flexy-Energy » est une approche originale de systèmes hybrides, développée au laboratoire énergie solaire et économie d’énergie (LESEE) du 2iE, pour répondre aux problèmes rencontrés dans la production décentralisée de l’électricité surtout en milieu rural et périurbain. Il s’agit ici de systèmes hybrides solaire Photovoltaïque/groupe électrogène sans stockage dans les batteries et fonctionnant à la fois au diesel et/ou aux huiles végétales. On peut aussi mentionnée la start-up sénégalaise SPEC qui sera la première entreprise africain de fabrication des panneaux solaires sur le continent. Précisons qu’il existe actuellement deux entreprises de ce type en Afrique du Sud mais elles sont les filiales de sociétés transnationales.

Afrique de l'Ouest, photo Frédéric Douard

Des projets d’énergies vertes foisonnent sur le continent

Produire de l’énergie renouvelable à partir des courants marins au Cameroun. Tel est l’ambition du projet Tidal Wave Energy porté par la société MRS Power Cameroon avec l’appui du Chantier Naval et Industriel du Cameroon (CNIC). Ce dernier contribuera à la construction des équipements indispensables à la réalisation de ce projet. Malgré la phase pilote, l’Etat du Cameroun s’est déjà engagé pour un rachat de l’énergie produite à partir de ces courants marins pendant une période de 25 ans. Difficile de prédire si la révolution égyptienne aura raison des ambitions du pays dans le domaine des énergies vertes car l’objectif du précédent gouvernement était de porter à  20 % la part d’énergies renouvelables dans l’offre énergétique globale d’ici 2020. Sur financement de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement, l’Egypte a lancé la construction des centrales solaires. Dans le domaine de l’énergie éolienne, le pays bénéficie d’un énorme potentiel. En effet le Golf de Suez est l’une des régions les plus balayés par le vent du Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle l’objectif des autorités était d’y produire près de 2 690 MW d’énergies éoliennes dans les 5 prochaines années. Le pays a déjà lancé la construction d’une centrale solaire de 140 MW. En plus du lancement d’importants programmes d’énergies vertes, le continent attire également les entreprises de cleantech. C’est le cas de l’Afrique du Sud qui a signé l’année dernière un accord de partenariat avec Suntech, le leader mondial pour la fabrication des panneaux solaires, pour la construction d’une centrale solaire de 100 MW. Le coût estimatif du projet est de d’environ 400 millions d’euros. Il y a encore pas mal d’opportunités à saisir dans le pays car dans le domaine de l’énergie solaire, le marché sud-africain est estimé à 1 milliard de dollars. D’après la So­cié­té na­tio­nale d’élec­tri­ci­té de l’Ethio­pie (EEPCo) la capacité de production d’énergies renouvelables est de 45 000 MW pour l’hydroélectricité, 10 000 MW pour l’éolienne et 5 000 MW pour la géothermie. EEPCo vient de finaliser la construction de la ferme éolienne de 30 MW d’Ashegoda dans l’Etat de Tigray. A terme, l’entreprise vise la production de 120 MW d’énergie éolienne.

En août dernier, Salvador Namburete, Ministre de l’Energie du Mozambique annonçait la construction d’une usine de production de panneaux solaires, pour un investissement de dix millions d’euros, sur le parc industriel de Beluluane situé à Maputo. Avec le soutien de Exim Bank à hauteur de 150 milliards de shilllings, la Tanzanie va lancer la construction d’une unité de production de 50 MW d’énergies éoliennes.

Maroc, la locomotive africaine des énergies vertes

Même si la bataille n’est pas encore gagnée car les projets sont encore en cours de réalisation, le Maroc montre aujourd’hui la voie à l’Afrique pour le développement des énergies renouvelables. Cette stratégie à suivre par d’autres pays s’articule de la manière suivante :

  • Volonté politique forte : Charte nationale de l’environnement et du développement durable avec une élaboration participative. Ce qui est inédit au Maroc.
  • Présentation des ambitions selon les filières
  • Élaboration de porte-feuilles projets
  • Recherche de « green investisseurs »
  • Positionnement sur le marché du carbone
  • Priorité au Partenariat Public Privé pour la réalisation des projets d’énergies vertes
  • Engagement de l’ensemble des parties prenantes (États, collectivités territoriales, entreprises, ONG, associations, citoyens…)

La mise en œuvre opérationnelle de cette stratégie passe par le lancement de principaux programmes. C’est le cas du Plan Solaire Marocain (PSM) et du Programme Marocain Intégré de l’Energie Eolienne (PMIEE). Ce dernier vise le passage d’une capacité éolienne installée de 280 MW actuellement à 2 880 MW en 2020 et 6 000 MW pour 2030

L’objectif du PSM est l’augmentation de 2 000 MW de capacité de production électrique solaire d’ici 2020 grâce à un investissement de 9 milliards de dollars. Il se concrétisera sur le terrain par la construction de 5 centrales solaires :

  • Centrale de Ouarzazate (500 MW) mise en service en 2015
  • Centrale d’Aïn Béni Mathar (400 MW) mise en service en 2016
  • Centrale Foum El Oued (500 MW) pour 2017
  • Centrale Boujdour (500 MW) pour 2018
  • Centrale de Sebkha Tah (100 MW)

Partenariat Europe-Afrique pour le gain de la bataille des énergies renouvelables en Afrique

Faciliter l’accessibilité à l’énergie moderne et durable pour au moins 100 millions d’Africains à l’horizon 2020. Fresque du palais royal bamoun de Foumban, Cameroun, photo Frédéric Douard

Faciliter l’accessibilité à l’énergie moderne et durable pour au moins 100 millions d’Africains à l’horizon 2020, tel est l’ambition du Programme de Coopération sur les Energies Renouvelables (PCER). Il a été décidée le 14 septembre dernier lors d’une rencontre à Vienne en Autriche entre l’Union Européenne et l’Union Africaine. L’objectif de ce programme ambitieux étalé sur 10 ans est la réalisation des projets suivants : la construction de 10 000 MW d’infrastructures hydroélectriques, de 5 000 MW d’énergie éolienne et de 500 MW d’énergie solaire. Il vise également le triplement de la capacité énergétique offerte par les autres sources d’énergie renouvelable et l’augmentation de l’efficacité énergétique dans tous les secteurs. Le continent devra multiplier les collaborations de ce type avec d’autres partenaires comme la Chine, leader mondial des énergies renouvelables suivi par l’Allemagne et les Etats-Unis.

Prospective

D’après, le programme des Nations Unies pour l’Environnement, les énergies renouvelables représentent à peine 2 % de l’énergie primaire mondiale mais ont permis de créer environ 2,3 millions d’emplois. A l’échelle mondiale, les investissements pour un montant de 630 milliards de dollars dans le secteur des énergies renouvelables réalisés d’ici à 2030 se traduiront par au moins 20 millions d’emplois supplémentaires : 2,1 millions dans l’énergie éolienne, 6,3 millions dans l’énergie solaire photovoltaïque et 12 millions dans les biocarburants liés à l’agriculture et à l’industrie. L’enjeu est de savoir combien d’emplois verts reviendront à l’Afrique ? D’après la Banque Mondiale, il y a un potentiel de 3 227 projets de production d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique dans 44 pays africains. La mise en œuvre de ces projets permettrait une réduction de 9,7 milliards de tonnes de CO2. Pour un prix de 10 euros la tonne, l’Afrique pourrait lever près de 97 milliards d’euros sur le marché du carbone. Il revient donc à nous africains de saisir toutes ces opportunités dans les mois et années à venir.

Afrique centrale, photo Frédéric Douard

Énergies renouvelables, un développement indispensable en Afrique

Plusieurs indicateurs démontrent que l’Afrique est bien partie pour gagner la bataille des énergies renouvelables. Le premier est la flambée des cours du pétrole qui rende compétitif les énergies nouvelles. Le second est la possibilité de lever des fonds pour le financement des infrastructures dans le cadre de la finance carbone et du Mécanisme de Développement Propre (MDP). Comme l’indique quelques initiatives non exhaustives présentées ici, on observe une réelle volonté des décideurs politiques pour impulser le développement des énergies renouvelables sur le continent. Face à la crise économique au niveau mondial, un autre indicateur est la recherche par des investisseurs de nouvelles opportunités d’investissement et le financement des énergies renouvelables en Afrique offre des niches de croissance. Enfin l’énorme potentiel de l’Afrique dans le domaine des énergies vertes est probablement son principal atout. Le potentiel hydro-électrique de l’Afrique Centrale est d’environ 148 000 MW dont 49 000 MW sur le site d’Inga en RDC. Seulement 2,5 % de ce potentiel est actuellement en cours d’exploitation. Dans le domaine du solaire, l’Afrique bénéficie d’une situation géographique privilégiée. Le continent est situé sur le sunbelt qui la région la plus ensoleillée dans le monde. Les projets d’envergure continueront donc à être mis en œuvre. L’éolien connaîtra également un développement fulgurant puisque les côtes africaines et d’autres sites propices pour le développement d’une telle énergie sont au début de leur exploitation. Le potentiel géothermique africain n’est même pas encore amorcé pourtant dans la région du rift, il y a beaucoup à faire. Avec une gestion durable des forêts et une valorisation des déchets agricoles, forestiers et agro-alimentaires pour la production d’énergie, la biomasse est une source d’énergie d’avenir pour le continent.

Thierry Téné, Directeur de A2D Conseil

Auteur : Thierry Téné

Version originale de l’article paru dans le mensuel La Revue N°12 de mai 2011 du groupe Jeune Afrique

 

 

Source : Blog de Thierry Téné le 31 mai 2011