L’électricité nucléaire en France n’est pas une fatalité
Suite à la crise qui entoure le parc nucléaire japonais depuis le tremblement de terre survenu le 11 mars dernier, de nombreuses voix se sont élevées pour relancer, à juste titre et malgré les circonstances délicates, la question de l’avenir du parc nucléaire français. Cependant, le débat s’est souvent focalisé sur les alternatives au nucléaire pour produire de l’électricité alors qu’il existe de formidables possibilités pour répondre aux besoins énergétiques des Français… sans électricité !
AMORCE (association nationale des collectivités pour une gestion locale de l’énergie) propose d’aborder (enfin) le débat sur l’énergie en dépassant « l’électro-centrisme » qui règne dans notre pays depuis plus d’un demi-siècle, en s’appuyant sur l’exemple de collectivités volontaires en France et en Europe pour un chauffage « écologique et local ».
Contrairement à une idée reçue, l’électricité n’est pas un besoin énergétique majeur de la France. Sur les 169 millions de tonnes équivalents pétrole d’énergie finale consommées par la France, seules 37 millions, moins de 20% correspondent à des usages spécifiques de l’électricité : il s’agit en particulier des besoins en éclairage, en informatique, et pour l’électro-ménager sur lesquels les gisements d’économie d’énergie sont nombreux. En réalité, les 3 principaux besoins énergétiques de la France sont indiscutablement le transport (50 MTep), le chauffage et la climatisation (43 MTep), ainsi que les process industriels (33 MTep).
La question essentielle n’est donc pas de savoir comment produire de l’électricité (« avec ou sans nucléaire », « en couvrant ou pas l’Europe de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes »), mais bien d’optimiser nos besoins énergétiques, en déterminant les meilleures solutions énergétiques pour notre chauffage, pour nos déplacements et le transport de marchandises, et enfin pour le fonctionnement de nos entreprises et de nos industries.
Sur le chauffage, il est stupéfiant de constater que la France se chauffe principalement avec de l’électricité (75% des logements neufs), du gaz (et du fioul), énergies non renouvelables, issues de ressources importées de pays souvent instables, et dont le prix n’est absolument pas garanti sur les prochaines décennies, surtout si on y intègre un jour le coût environnemental réel. Sur le plan énergétique, il est également prouvé que les rendements du chauffage électrique et de la plupart des pompes à chaleur vendues sur le marché sont extrêmement faibles (moins de 30% de l’énergie primaire consommée est transformé en chaleur !).
Le chauffage électrique représente ainsi 15% de la consommation française d’électricité avec un énorme gâchis. Sur 441 TWh d’électricité consommée en 2009, 289 TWh sont consommés par le résidentiel et le tertiaire, soit 65,5% ! Sur 26 millions de logements en 2006, près de 7,6 M étaient chauffés électriquement.
On sait pourtant que les ressources énergétiques françaises mobilisables pour le chauffage (principalement le bois) sont immenses et qu’il existe sur le marché des technologies modernes et efficaces. Dans ces conditions, pourquoi ne pas envisager un plan de stabilisation de la consommation d’énergies non renouvelables et accélérer dans le même temps la relance récente par l’Etat français d’un mode de chauffage favorisant les ressources renouvelables (biomasse mais aussi géothermie profonde, biogaz, solaire thermique), et les énergies de récupération (chaleur industrielle et valorisation énergétique des déchets, issues d’une économie intrinsèquement locale et donc d’une facture mieux maîtrisée pour les usagers : les réseaux de chaleur ?
Cette solution qui consiste à produire de la chaleur à partir de chaufferies collectives fonctionnant principalement au bois-énergie et à distribuer cette chaleur sur des quartiers entiers, est extrêmement répandue et en forte croissance en Europe du Nord et dans les pays germaniques. Le Danemark a ainsi décidé de mettre en place un plan d’autonomie nationale pour le chauffage en s’appuyant principalement sur ses réseaux de chaleur (depuis 1988, une loi nationale interdit le chauffage électrique dans tous les bâtiments situés dans des zones définies pour un chauffage par un réseau de chaleur). Face à l’hégémonie du gaz et de l’électricité, cette solution a été beaucoup moins développée ces dernières décennies en France même si les 800 réseaux de chaleur fonctionnant dans de grandes agglomérations (Paris, Grenoble Lyon, Nantes, Strasbourg…), comme dans des petits villages, ne représentent que 6% des modes de chauffage. Depuis près de dix ans, les gouvernements qui se sont succédés ont eu le mérite de relancer cette solution énergétique, mais la culture énergétique de la France reste désespérément électrique et gazière.
AMORCE qui représente les collectivités qui gèrent ces réseaux de chaleur en services publics locaux propose donc de recentrer le débat énergétique sur les vrais besoins énergétiques de la France en favorisant, par un Plan EcoChaleur 2020.
Ce Plan EcoChaleur aurait pour objectif de stabiliser la consommation finale d’énergie pour le chauffage et viserait à couvrir la moitié des besoins de chauffage par des sources renouvelables ou de récupération locales d’ici 2020, favorisant ainsi le développement économique des territoires tout en maîtrisant durablement la facture énergétique du pays et des Français.