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La hiérarchie des usages du bois ou comment ôter aux Français le pouvoir de bien se chauffer

Editorial du Bioénergie International n°97 de juin 2025

Tas de bois-énergie en attente de broyage, photo Frédéric Douard

Depuis l’aube de l’humanité, le bois-énergie a permis de s’éclairer, de cuire ses aliments, de produire des biens, et de se chauffer sans que cela lui coûte trop cher. Le bois est la source d’énergie renouvelable stockable la plus sociale de tous les temps, car c’est la plus répandue, la plus facile à produire, car elle n’est pas concentrée en quelques mains, tout cela la rendant peu sensible à la spéculation et aux régulations, et du coup encore la moins chère du marché de nos jours pour les consommateurs finaux.

Pourtant, la première énergie renouvelable utilisée sur la planète peine à décarboner les grands consommateurs d’énergie. Alors, pour essayer de résoudre cet épineux problème, on raconte qu’il faut privilégier les productions à la meilleure plus-value pour le bois. Sauf que dans une économie libre, la population qui achète des combustibles bois, simples, peu transformés même si très efficaces, les trouve peu chers à comparer à toutes les sources d’énergies qui ont à passer sous les fourches caudines de la grande économie. Et forcément, les particuliers disposent à cet égard d’un pouvoir d’achat supérieur à celui des opérateurs industriels qui doivent empiler une cascade d’investissements, de coûts de financement, de rendements de transformation et de rémunération aux actionnaires qui les contraint à ne pouvoir acheter qu’à prix bas. Et c’est précisément là que la décarbonation par la biomasse ne fonctionne avec ces grands acteurs.

Alors, pour essayer d’y parvenir quand même, malgré cette réalité, on invente des concepts et des mécanismes soi-disant vertueux, comme la hiérarchie des usages, l’ordre du mérite ou le cascading en anglais. On raconte aussi qu’il n’y en aura pas pour tout le monde, ce qui est vrai, mais en omettant soigneusement de dire c’est ceux qui payent mal qui n’en auront pas. Ces principes voudraient ainsi faire croire qu’il est par exemple plus vertueux d’aller faire un tour à New York en avion avec un vol bio plutôt que les Français ne brûlent stupidement ce bois pour réduire leur facture de chauffage, alors qu’il pourrait intelligemment faire fructifier certaines industries. Et comme les gens ont du mal à croire cela, on travaille dur pour que les personnes qui votent les lois inventent des régulations qui limiteront l’accès à la biomasse à ceux qui en disposent aujourd’hui.

Aujourd’hui, en 2025 en France, cela se matérialise dans la prochaine Programmation Pluriannuelle de l’Énergie qui introduit une notion de bouclage biomasse1 avec des objectifs clairement fléchés sur des secteurs où la biomasse n’intervient que marginalement comme l’industrie de haute température et le transport aérien. Et pour libérer des volumes pour ces activités, on envisage de demander aux citoyens qui se chauffent au bois de s’orienter vers l’électricité, l’énergie la plus chère du marché, mais aussi la plus contrôlable et la plus facile à taxer. Quel beau tour de passe-passe ! On y aurait presque vu que du feu si ces discussions n’avaient pas été rapportées et analysées par les prestigieuses Académie de technologies et Académie de l’agriculture dans un rapport paru en mai 2025.2 Sans surprise, on y lit qu’il faut donner la priorité aux usages non énergétiques de la biomasse, alors même que l’énergie constitue le deuxième poste de charges des Français derrière le logement3.

Le rapport conseille aussi « d’étudier plus finement le potentiel réel des importations », certainement pour jouer sur les prix nationaux lorsque ceux-ci augmentent ou risquent d’augmenter, une pratique très usitée par les grands acheteurs. On y lit aussi des phrases étonnantes qui rappellent d’autres époques, comme « la régulation de la biomasse ne saurait être intégralement décentralisée. Si en effet sa production est locale, son affectation à des fins énergétiques relève d’une Politique nationale de l’énergie. » ou encore « le marché, corrigé de ses défaillances permettra assez naturellement d’éliminer les secteurs qui ne doivent pas prétendre à la biomasse ».

La réduction des émissions de CO₂ ne saurait se faire en déshabillant Pierre pour habiller Paul, en imposant à toute la population de se chauffer à l’électricité, l’énergie de très loin la plus chère. Le pays a la chance de disposer d’une ressource renouvelable, stockable, bon marché, abondante et aujourd’hui parfaitement vertueuse lorsqu’elle est utilisée dans des appareils modernes, ce à quoi l’ADEME et les professionnels du chauffage au bois travaillent depuis 20 ans avec succès4. Cette énergie est plébiscitée par un foyer sur 4 et les Français doivent pouvoir continuer à choisir l’énergie qui correspond à leurs moyens, et chercher à leur enlever est une atteinte directe à leur liberté !

Sources :

  1. www.info.gouv.fr
  2. www.academie-technologies.fr
  3. www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
  4. www.citepa.org

Frédéric Douard, rédacteur en chef

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