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Le bioéthanol en Suisse : un marché semé d’embûches

Selon un rapport intermédiaire de la Régie fédérale des alcools suisse publié le 28 septembre 2010, malgré la promotion fiscale dont il bénéficie et la libéralisation de son importation, le bioéthanol est loin de s’imposer sur le marché suisse. Contrairement à ce qui se passe dans certains Etats membres de l’Union européenne, seules de faibles quantités de bioéthanol ont jusqu’à présent été vendues en Suisse.

Effectuée à la demande de la Régie fédérale des alcools (RFA), l’étude analyse les raisons du manque d’intérêt éprouvé par les milieux pétroliers pour le bioéthanol en Suisse. Pour procéder à cet examen, l’auteur de l’étude a mené plusieurs entretiens avec un certain nombre d’acteurs du marché des huiles minérales.

Les personnes qui ont participé à ces entretiens ont motivé leur décision actuelle de ne pas introduire les biocarburants à large échelle en Suisse de la manière suivante:

1) Des exigences minimales sur les plans écologique et social qui sont inconciliables avec la pratique.

Tous les acteurs du marché interrogés attribuent l’essentiel des difficultés rencontrées jusqu’à présent par le bioéthanol aux conditions à remplir pour prouver que les exigences minimales sur les plans écologique et social sont respectées.
Le bioéthanol n’étant plus fabriqué en Suisse depuis la fin de 2008, le marché doit être approvisionné au moyen d’importations. Prouver irréfutablement que l’ensemble du processus, allant de la culture des matières premières à la consommation finale, respecte les exigences minimales citées s’avère très fastidieux et possible uniquement pour de faibles quantités faisant l’objet d’une importation directe. Il est exclu d’entreposer dans les mêmes installations du bioéthanol et des biocarburants admis dans l’UE. Le caractère restrictif des prescriptions suisses empêche un approvisionnement en bioéthanol efficace et suffisant à partir de la zone ARA (Amsterdam, Rotterdam, Anvers) ou à partir d’Allemagne et d’Italie, comme c’est le cas pour l’approvisionnement en carburants fossiles.
Ces limitations d’ordre logistique ont un effet négatif sur la rentabilité du bioéthanol, qui n’est ainsi pas en mesure de concurrencer les carburants fossiles. La preuve du respect des exigences minimales constitue donc un obstacle à l’achat et à l’importation de bioéthanol en quantités suffisantes.

2) Absence d’obligation de constituer des réserves de bioéthanol

Les entreprises actives sur le marché des huiles minérales utilisent leurs citernes tant pour le transbordement de marchandises que pour la constitution de réserves obligatoires. Les stocks obligatoires d’essence suffisent à couvrir les besoins de 4,5 mois. Le taux de rotation des produits soumis aux réserves obligatoires est faible en raison du volume des citernes. C’est pourquoi la stabilité des produits durant le stockage est très importante.
Les stocks obligatoires d’huiles minérales existent pour diverses qualités d’essence telles que les essences pour automobiles 95 et 98. En revanche, le bioéthanol n’est pas concerné par l’obligation de constituer des réserves définie dans la loi sur l’approvisionnement économique du pays. L’essence de base (RBOB) qui, mélangée à de l’essence (E5), garantirait une diminution des émissions de polluants atmosphériques n’est pas comptée dans les stocks obligatoires, car elle ne satisfait pas à la norme essence.
Le bioéthanol a la propriété de fixer l’eau de condensation, ce qui le rend instable au stockage. Afin d’améliorer la capacité de stockage et d’éviter une corrosion supplémentaire des citernes, on mélange l’essence fossile et le bioéthanol peu avant la vente de ces carburants sous la forme d’E5 («rack blending»). Pour ce faire, le bioéthanol et la RBOB doivent être entreposés dans des citernes séparées. Puisque le bioéthanol et la RBOB n’appartiennent pas aux substances devant faire l’objet de réserves obligatoires, les capacités de stockage nécessaires pour respecter les quantités de carburants fossiles soumis au stockage obligatoire prescrites par la Carbura font défaut. Pour ces raisons, de nombreuses entreprises refusent de stocker de la RBOB et du bioéthanol dans leurs citernes.
De plus, les citernes utilisées pour le stockage de RBOB ou de bioéthanol ne bénéficient pas des indemnités versées au titre de stockage obligatoire, ce qui entraîne une distorsion de la concurrence par rapport aux citernes utilisées pour le stockage des carburants fossiles.
Conçu comme un instrument neutre sur le plan concurrentiel, l’obligation de constituer des réserves entrave fortement l’utilisation de bioéthanol.

3) Difficulté de répondre à la demande

Les entreprises interrogées ont des avis divergents sur la question de savoir s’il est possible d’acquérir suffisamment de bioéthanol pour répondre à la demande en cas d’harmonisation des prescriptions suisses avec celles de l’UE. Elles s’accordent toutefois sur le fait que le caractère restrictif des prescriptions actuelles empêche l’acquisition de marchandises en quantité suffisante pour approvisionner l’ensemble de la Suisse.
Jusqu’à présent, seuls deux importateurs ont suivi de bout en bout la fastidieuse procédure relative à la fourniture de preuves pour le bioéthanol. Cela a créé une situation de monopole à laquelle ni les importateurs ni les raffineurs ne veulent se soumettre.

4) Autres motifs

Les entreprises qui ont participé à ces entretiens ont évoqué d’autres motifs parlant contre l’utilisation de biocarburants. Ils ont par exemple nommé

  • les considérations morales et éthiques selon lesquelles l’utilisation de plantes alimentai-res pour la production d’énergie pourrait entraîner le renchérissement des denrées alimentaires;
  • l’impossibilité de garantir la stabilité des prix des biocarburants (couverture).
  • Les entreprises de stockage interrogées estiment à plusieurs millions les investissements (citernes, conduites et pompes séparées) nécessaires pour procéder au mélange lors du déstockage.
  • Pour des raisons stratégiques, certaines entreprises tablent seulement sur une introduction généralisée de mélanges à base de bioéthanol et d’essence, ce que les conditions générales actuelles ne permettent pas en Suisse.

5) Conclusion et évaluation

Les entretiens effectués ont montré que les principales causes des difficultés rencontrées par le bioéthanol sur le marché suisse résident dans l’application restrictive des prescriptions en matière de développement durable et dans la réglementation relative à la constitution de réserves obligatoires, qui n’est pas neutre sur le plan concurrentiel.
Si on ne parvient pas à trouver des solutions dans ce domaine, l’utilisation généralisée de bioéthanol en Suisse restera sans intérêt pour les milieux pétroliers dans les années à venir, et les biocarburants de deuxième génération n’auront aucune chance de se faire une place sur le marché. Selon l’avis du rédacteur, toutes les autres difficultés citées, même le montant élevé des investissements en matière de conduites, de pompes et de changement de citernes, sont moins importantes et peuvent être surmontées sans trop de problème.
Le rapport final sur l’étude sera disponible à la fin d’octobre 2010.

Source : Administration fédéral, Département fédéral des finances