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Le marché de l’incinération a-t-il encore des opportunités viables en France ?

Usine d'incinération de Bellegarde-Ain, photo Roland Bourguet, ADEME

Toutes les politiques nationales le montrent : l’incinération est une solution prépondérante pour gérer durablement les déchets. Seules les méthodes divergent d’un pays à l’autre. Si la France possède le plus grand marché historique européen, la montée en puissance du recyclage et de la méthanisation, favorisés par la réglementation européenne, risque de changer la tendance. Alors que l’Allemagne et Danemark, autres leaders de l’incinération Europe, continuent d’investir dans ce traitement, le marché français, lui, semble s’essouffler. La France peut-elle tirer des enseignements potentiels de leur exemple ?

Une part importante pour l’incinération en France avec un tiers des déchets ménagers incinérés

En 2009, 33% du tonnage des déchets ménagers et assimilé(1) en France étaient incinérés suite à un recyclage préalable, ce qui en fait le 2ème mode de traitement, après le stockage qui représente 36% du traitement. De cette combustion, 4 TWh d’électricité et 6,5 TWhc de chaleur étaient ainsi générés, soit l’équivalent de la consommation électrique de 1,4 million d’habitant(2). Plusieurs avantages de taille ont motivé le choix français de l’incinération : une solution applicable à tous types de déchets solides, liquides, dangereux ou non, une réduction de 90% en volume des déchets et une valorisation énergétique optimale.

Ce marché de l’incinération des déchets ménagers représentait en 2010 23% du chiffre d’affaires du marché global du traitement des déchets non dangereux, soit 1,15 milliards d’euros, et le taux de croissance moyen annuel est de 4% par an depuis 2004. Et ce, malgré la fermeture depuis 1985 de nombreux incinérateurs ne respectant pas les normes d’émissions polluantes. Le parc actuel est constitué de 128 usines.
Outre les fermetures de sites, le rejet de l’incinération par les habitants a mené les incinérateurs hors des villes. A cause de cet éloignement, la valorisation énergétique est majoritairement concentrée sur la production d’électricité, au détriment de la cogénération, ressource alternative pour la production de chauffage et bien plus efficace que la production d’électricité seule(3).

De part la volonté de réduire de 15% des quantités de déchets stockés et incinérés les objectifs du Grenelle ne sont pas favorables à l’incinération, et la priorité est donnée au recyclage et à la méthanisation. Grâce aux incitations européennes, le chiffre d’affaires du recyclage connait une augmentation fulgurante de 27% entre 2003 et 2009, ralenti aujourd’hui par la crise économique. De même, le marché de la méthanisation croit rapidement avec une augmentation de 20% de son chiffre d’affaires depuis 2007, notamment tiré par la multiplication de ses quantités traitées(4).
Certes, la priorité doit être donnée au recyclage ainsi qu’aux traitements biologiques. Cependant, quid des déchets non biodégradables ni recyclables ? Dans ce contexte, l’incinération prend toute sa dimension en permettant la valorisation énergétique des déchets ne pouvant être traités et en présentant une alternative plus acceptable que le stockage.

Si le marché de l’incinération français demeure important en terme de chiffre d’affaire et de volume, quand est-il des perspectives d’avenir ? Le parc français est-il suffisamment efficace ? Comment la France se place-t-elle par rapport aux pays leaders en matière de traitement vert tels que l’Allemagne, la Suède ou le Danemark ?

Le parc français, pionnier déclinant du marché européen de l’incinération

Bien que le parc français soit le plus important en nombre de sites, la technologie employée est loin d’être la plus efficace. En termes de tonnages traités, les incinérateurs allemands sont loin devant en incinérant 19 millions de tonnes contre 13,7 millions de tonnes en France, alors qu’ils possèdent 70 usines, soit près de deux fois moins d’unités de traitement.

En terme de valorisation énergétique, Danemark, Suède et Pays-Bas font office de véritables leaders européens. Les rendements y sont beaucoup plus élevés qu’en France, et ce malgré des parcs très réduits, notamment grâce à l’utilisation massive de la cogénération. Le Danemark est en tête avec un rendement électrique de 520 kWh/tonne, et un rendement thermique de 1 959 kWh/tonne. Dans les pays nordiques, les incinérateurs alimentent en chauffages des villes entières.

Rendement d’électricité et de chaleur pour une tonne de déchets incinérés, SIA Conseil

Pourtant pionnière de cette solution de traitement des déchets, la France en souffre les conséquences avec un parc bien plus vétuste que ses voisins européens. Les incinérateurs français sont en réalité vieillissants et basés sur une combustion classique, peu efficace. Ailleurs en Europe, de nombreuses techniques améliorées d’incinération se développent, notamment en Allemagne. Entre autres, la gazéification des déchets permet d’obtenir un rendement plus élevé que pour l’incinération classique. A ceci s’ajoute que une capacité moyenne des installations bien plus faible en France : la capacité moyenne est de 94,6 Mt/an en France, contre 271 Mt/an en Allemagne par exemple induisant des coûts fixes beaucoup importants pour la France.
En définitive, avec un parc vétuste, une capacité de traitement faible et une efficacité relativement mauvaise, les coûts de production d’électricité par les Usines d’Incinération des Ordures Ménagères (UIOM) sont élevés et n’incitent pas à la construction de nouvelles usines.

Les réseaux de chaleurs : rédemption de l’incinération ?

Malgré la volonté française de réduire les quantités de déchets incinérées, les objectifs de production de chaleur par incinération dans les UIOM sont fixés à 10,5 TWh soit près du triple de la chaleur produite en 2009. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’augmenter de façon significative le parc d’usines ou du moins le rénover sérieusement.
Pour tous les pays leaders sur le marché de l’incinération, la production de chaleur est un biais majeur de rentabilisation des installations. De plus, tous ces pays ont des réseaux de chaleur très performants permettant d’exploiter efficacement cette ressource, alors qu’ils sont très peu développés en France. Au Danemark, 61% de la population est desservie par un réseau de chaleur contre 4% pour la France. La France, quant à elle, a pris beaucoup de retard dans ce secteur, mais le gouvernement souhaite promouvoir leur développement avec un objectif de 29TWh en 2010.
Ces réseaux de chaleur constituent notamment une opportunité majeure de valorisation des déchets ménagers. La chaleur des réseaux danois et finlandais provient à hauteur de 20% de l’incinération des déchets ménagers.

Les pays du Nord, leaders des réseaux de chaleur

Alors que la réglementation française semble se durcir envers l’incinération des déchets, il s’avère qu’il existe de véritables opportunités en terme d’alimentation des réseaux de chaleur. Ceux-ci pourront être alimentés par la combustion du biogaz issu de la méthanisation, et par les déchets ménagers incinérés dans des UIOM en complément de la thermique classique. Il est également à noter que la co-incinération des déchets ménagers avec la biomasse pourrait constituer une filière intéressante pour ces réseaux de chaleur.

En savoir plus : Pas de gestion durable des déchets sans incinération responsable.

C. Ducharme, SIA Partners

Notes :

  1. Source : EUROSTAT, données 2009
  2. Basé sur la consommation domestique d’un habitant en 2009, source Observatoire de l’Industrie Electrique
  3. La production d’électricité par incinération a un rendement de 15%, tandis que le rendement de la cogénération est d’environ 50 à 60%.
  4. Source : ADEME

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