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Gardanne, la centrale biomasse qui réveille la forêt méditerranéenne

Article paru dans le Bioénergie International n°33 de septembre – octobre 2014

La centrale biomasse en travaux vue depuis le local de broyage de bois, octobre 2014, photo E.ON

La centrale biomasse en travaux vue depuis le local de broyage de bois, octobre 2014, photo E.ON

La conversion du charbon au bois de la centrale électrique Provence 4 de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône, confirmée le 16 mai 2013, déchaîne contre elle les passions depuis de nombreux mois. En cause, cette centrale électrique va faire sortir de la forêt des centaines de milliers de tonnes de bois impropres à l’industrie pour en faire de l’électricité. En fouillant un peu le sujet, on s’aperçoit rapidement que ces tonnages, si importants paraissent-ils, ne sont pourtant guère plus importants que ceux qui brûlent chaque année dans la forêt méditerranéenne française, que ce soit par incendie ou par brûlage volontaire. Et parmi les différents objectifs du projet, on peut noter l’opportunité offerte à cette forêt et à ce territoire de convertir le maximum possible de feux de forêts ou de brûlage à l’air libre en énergie maîtrisée et non polluante. À l’inverse donc de l’opinion générale, pas toujours bien documentée, ce projet pourrait donc ainsi être, nous l’allons découvrir dans cet article, de nature à attirer un regard plus bienveillant que celui qui a cours aujourd’hui.

Un projet industriel à la hauteur de grands défis

Perchis de châtaignier du Gard nécessitant un balivage St Martin de Lansuscle, photo Florian Hulin

Perchis de châtaignier du Gard nécessitant un balivage St Martin de Lansuscle, photo Florian Hulin

La forêt française produit annuellement près de 100 millions de m³ de bois alors que la récolte de bois s’établit à peine à 60% de ce volume, et ce en comprenant l’auto-approvisionnement des particuliers et l’économie parallèle. Ce taux de récolte induit, dans les zones faiblement gérées et exploitées, une lente dégradation de la fonction productive des forêts, une perte de capital économique et une sensibilité accrue aux ravageurs et aux phénomènes climatiques (sécheresses, tempêtes, précipitations). Ces inconvénients sont encore plus criants dans les régions méditerranéennes où la récolte est deux fois moins importante que dans le reste du pays. Dans ces régions, on assiste paradoxalement depuis 50 ans à une croissance forte des surfaces boisées et en parallèle à un abandon de l’économie forestière au profit de solutions de facilité (usages d’autres matériaux, importation de bois). La conséquence la plus spectaculaire de ce phénomène est l’abandon des forêts aux caprices des feux accidentels ou volontaires, des phénomènes dramatiques pour la biodiversité, pour la sécurité des personnes, pour le tourisme, pour les finances publiques et qui accentuent la pollution atmosphérique. Pourtant, depuis 50 ans, la situation reste figée sur un modèle où l’on ne fait qu’attendre le prochain feu à éteindre.

Notons également qu’au risque d’incendie, s’ajoute le brûlage des déchets verts à l’air libre qui génère une pollution très importante. Les régions méditerranéennes sont en effet les régions françaises qui pratiquent le plus cette manière de faire place nette, une pratique pourtant interdite !

La conversion de la centrale de Gardanne a donc été imaginée pour répondre à ces préoccupations mais pas seulement : quatre objectifs majeurs ont guidé ce choix :

  • Maintenir la production électrique en région PACA en réduisant le recours à l’énergie polluante qu’est le charbon. La région, rappelons-le, est en bout de réseau et se trouve potentiellement sujette dans un prochain avenir à des coupures par défaut de puissance ;
  • Éviter la fermeture de ce site industriel et les pertes d’emplois associées ;
  • Contribuer à l’objectif du pays en matière de production d’électricité renouvelable à 2020 (dans 6 ans seulement !) ;
  • Convertir la charge onéreuse et récurrente des feux de forêts (120 M€ par an rien que pour l’Etat) en source d’énergie génératrice de nouveaux emplois.
La centrale de Provence, photo Faust Favart

La centrale de Provence, photo Faust Favart

La conversion d’une tranche de la centrale de Gardanne est ainsi apparue comme une opportunité industrielle dont l’échelle permettait de tendre vers ces quatre objectifs en même temps, dans un laps de temps court et à moindre frais, puisqu’il suffisait d’adapter une chaudière.

Les besoins de la centrale

Origine prévisionnelle du bois forestier régional, source E.On

Origine prévisionnelle du bois forestier régional, source E.On

La tranche Provence 4 Biomasse produira 1125 GWh d’électricité par an (avec une puissance disponible de 150 MW électriques) et consommera pour cela 855 000 tonnes de biocombustible par an. Dès le démarrage, 35% de cette quantité proviendra de bois forestier des régions PACA, Languedoc-Roussillon et limitrophes, et 25% sera composé de bois de recyclage et de déchets verts. Le 40% restant sera constitué de plaquettes d’importation en provenance de la péninsule ibérique, des pays baltes et d’Amérique du nord. E.ON, l’exploitant, a en effet prévu d’atteindre un approvisionnement à 100 % local en 2026 pour éviter des tensions sur les prix, occasionnées par une demande plus forte que l’offre locale actuelle, et pour donner le temps nécessaire aux filières régionales de se mettre en place. Les filières locales auront ainsi 10 ans pour prendre la place des bois d’importation qui disparaîtront en 2026.

En 2026, le mix énergétique de la centrale sera ainsi composé de 90% de biomasse locale (855 000 tonnes/an) et de 10 % de charbons cendreux de récupération (127 000 tonnes/an) qui proviendront de terrils du Gard et d’Isère. La partie biomasse proviendra pour 50% de forêts, pour 40% de déchets verts et pour 10% de bois de recyclage. 85% des produits forestiers seront collectés dans un rayon de 250 km autour de la centrale, et 15% dans le rayon de 400 km.

La partie ligneuse des déchets verts fournira 15% du combustible biomasse au démarrage et 40 % à partir de 2026, dès l’arrêt de l’importation de biomasse internationale. Il s’agit de produits de taille des espaces verts, d’élagage agricole ou routier mais également d’une biomasse provenant des opérations de débroussaillement préventif contre les incendies. Aujourd’hui, cette ressource qui n’est pas récoltée, est abandonnée au sol ou brûlée sur place dans de mauvaises conditions. La totalité de ces produits sera collectée à moins de 250 km.

Plan d'approvisionnement prévisionnel en milliers de tonnes par an. Cliquer sur l'image pour l'agrandir.

Plan d’approvisionnement prévisionnel en milliers de tonnes par an. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Les bois de recyclage de classe A et B, représenteront 10 % du biocombustible et cette quantité restera stable dans le temps. Il s’agit de bois de palettes, d’emballage, de démolition et de mobilier. Ces bois de recyclage alimenteront Provence 4 qui est adaptée à leur combustion, conformément à la rubrique ICPE n°2771 (incinération). Les fumées seront épurées avec les meilleures techniques disponibles comme le prévoit l’arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter. L’ensemble de ces bois sera également collecté à moins de 250 km.

La part des plaquettes importées diminuera progressivement de 40 à 0 % en 2026 au rythme de la montée en puissance de la filière locale.. Ces bois respecteront le nouveau règlement bois de l’Union Européenne : leur importation fera l’objet d’une analyse du risque d’illégalité et de non-durabilité, ainsi que d’engagements d’éco-certification (FSC ou PEFC). Ces importations ne participeront donc pas à une potentielle déforestation ou dégradation des milieux forestiers hors de France. Ils arriveront par mer au port de Fos/Mer.

Mix énergétique de la nouvelle unité Provence 4 Biomasse

Mix énergétique de la nouvelle unité Provence 4 Biomasse

Notons que ces quantités et ces échéances figurent de manière contraignante dans le contrat CRE signé par E.ON et devront être respectées. Par exemple, un écart supérieur à 15% en énergie pour chaque composante du plan d’approvisionnement devra préalablement être accepté par le préfet. Durant les 36 premiers mois si cet écart n’est pas accepté par le préfet alors l’exploitant aura à rembourser la part du tarif de rachat issue de la CSPE (environ 71€/MWh, soit 62% du chiffre d’affaires annuel), et si le préfet accepte cet écart, alors le tarif de rachat (115€/MWh) sera diminué de 5%. Après les 36 premiers mois, seul un refus du préfet sur ces écarts génèrera le remboursement de la part du tarif de rachat issu de la CSPE.

Des questions légitimes

Face à l’arrivée d’une unité industrielle, il est bien légitime de se poser des questions. Faisant néanmoins abstraction des questions irrationnelles comme celle d’une déforestation, alors que la centrale va consommer deux à trois fois moins de bois forestier qu’une papeterie, il est des questions qui méritent qu’on s’y attarde un peu, comme par exemple le rendement global de l’installation.

Vue aérienne de la Centrale de Provence, photo E.On

Vue aérienne de la Centrale de Provence, photo E.On

La transformation de la chaudière au charbon va faire passer son efficacité énergétique de 34 à 41%, ce qui est un rendement homorable en matière électrogène. Là où par contre, on pourrait trouver à redire, c’est quant à la valorisation de la chaleur : ici le rendement électrogène pur est bien entendu plus faible que celui d’une installation de cogénération au bois dont le rendement global est compris entre 50 à 90% sur PCI.

Et même si E.ON a promis de rechercher des usages à la chaleur pour faire tendre son rendement global vers 50%, et se rapprocher ainsi de la fourchette basse des installations de cogénération biomasse, le bois n’y sera pas valorisé à son maximum.

C’est là qu’il faut cependant faire remarquer que le cas de Gardanne est quand même particulier, le rendement n’étant pas son principal enjeux, et qu’il pouvait à plusieurs titres, et pour 20 ans, déroger à la règle d’un rendement supérieur à 50 ou 60% selon les cas et exigé habituellement aux centrales de cogénération bois par la CRE dans le cadre de ses appels d’offre. En effet, il faut se rappeler les quatre objectifs « politiques » du projet, évoqués précédemment, et nous allons ici nous focaliser sur la forêt.

À Gardanne, nous sommes au cœur de la forêt méditerranéenne française, une région boisée à plus de 45%, une région dont le taux de prélèvement de bois est le plus faible de France avec moins de 40% de l’accroissement biologique annuel (plus proche de 30% pour PACA). En ligne de mire de ce déficit de prélèvement, nous trouvons une série de risques qui s’aggravent d’année en année avec le changement climatique, dont le plus dramatique est le feu de forêt !

Parcelle forestière de l'ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Jonathan Pitaud

Parcelle forestière de l’ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Jonathan Pitaud

Dans cette configuration très particulière, n’est-il pas légitime de se demander, si face à la faible efficacité de la politique anti-feu depuis 50 ans, et faute d’alternative, il ne vaut pas mieux brûler sans délai ce bois sans débouché avec une efficacité de 40 à 50%, plutôt que d’attendre qu’il ne brûle dans la nature, défigurant les paysages, polluant l’atmosphère, appauvrissant la biodiversité, nuisant au tourisme et asséchant les finances publiques ?

Personnellement, moi qui suis depuis 25 ans assez prompt à réclamer la plus grande efficacité énergétique possible, ici, dans le contexte économique et social actuel, avec en perspective la fermeture possible de la centrale de Gardanne et son lot de pertes d’emplois, avec en perspective une mutation de la lutte anti-incendie vers une gestion forestière favorable à la diminution du risque, avec la nécessité de maintenir une production électrique propre en région, alors dans ces conditions exceptionnelles, je ne trouve pas aberrant que le gouvernement français ait accordé une dérogation exceptionnelle à durée déterminée de 20 ans à ce projet. Et je trouve même, que cette solution particulière, ici en PACA, avec ses limites, est indiscutablement meilleure à tous points de vue pour les 20 ans à venir que l’immobilisme néfaste dans lequel se trouve cette forêt depuis 50 ans.

Et dans 20 ans, loin de toute irréversibilité, en toute connaissance de cause, il sera alors tout à fait possible de faire un bilan de cette opération pour voir quelle suite lui donner ou pas. Mais en attendant, ce débouché ouvre, à cette forêt la moins valorisée de France, une réelle perspective de renouveau d’activité, avec la création de plus de 400 emplois directs, avec la possibilité de lutter plus efficacement contre la pollution atmosphérique du brûlage à l’air libre et contre les feux de forêts, avec la possibilité de construire une filière forestière régionale plus solide et qui pourra alimenter d’autres marchés, au lieu d’importer du bois depuis les régions voisines ou depuis d’autres pays comme le font occasionnellement les autres consommateurs industriels ou quotidiennement les revendeurs locaux de bois de chauffage. Pour toutes ces raisons, je pense aujourd’hui qu’il aurait été très dommageable de ne pas donner à ce projet la chance de tenter de prouver qu’il pouvait atteindre ces objectifs.

Parmi les inquiétudes légitimes, figure également le risque de dérapage des prix du bois avec l’arrivée d’un gros consommateur, un dérapage dont les victimes seraient les autres consommateurs locaux de bois. Alors effectivement, le risque est bien réel, même si la ressource est potentiellement largement suffisante, le problème venant des capacités de mobilisation qui, aujourd’hui naturellement, ne sont pas adaptées. Et c’est bien évidemment ce qui a été anticipé dès l’origine du projet par l’industriel qui ne voulait pas subir lui-même les conséquences d’une telle augmentation des prix !

Une ressource disponible 10 fois supérieure au besoin

Le bassin d’approvisionnement de Provence 4 comporte 73 000 km² de surface boisée. L’ensemble constitue un gisement annuel estimé à près de 38 millions de tonnes/an, dont 11,5 millions de tonnes/an sont mobilisables en bois d’industrie et bois-énergie. La consommation actuelle de ce gisement par l’ensemble des filières bois en place est estimée à 7 millions de tonnes par an, laissant ainsi 4,5 millions de tonnes disponibles. Provence 4 consommera au maximum 450 000 tonnes par an de cette ressource forestière, soit seulement 10 % du gisement encore non valorisé.

Exploitation de surbilles par câble puis tri par qualité à Auron dans les Alpes Maritimes, photo Eon

Exploitation de surbilles par câble puis tri par qualité à Auron dans les Alpes Maritimes, photo Eon

Une stratégie de mobilisation de long terme

Pour éviter une compétition sur la ressource, E.ON a identifié et mis en place plusieurs stratégies :

  • baser en partie et temporairement son approvisionnement sur de l’importation afin de laisser le temps à la filière régionale de réaliser son développement ;
  • diversifier les types de ressources en privilégiant les gisements faiblement valorisés à l’heure actuelle ;
  • contribuer à l’augmentation de la surface forestière gérée durablement et à la mobilisation supplémentaire de bois.

Pour mettre à disposition ces quantités aujourd’hui non valorisées et non-valorisables à l’instant T0, E.ON a mis en place une « Stratégie de mobilisation PLUS ». Le « bois + » est une ressource en bois qui n’est pas mobilisée à ce jour du fait :

  • d’un manque de débouchés dans le marché actuel (taillis de châtaignier dépérissant ou surbilles de pin d’Alep par exemple) ;
  • de difficultés d’accès aux parcelles ou de conditions techniques d’exploitation défavorables (pentes, anciennes terrasses agricoles, absence de desserte…) générant un surcoût des opérations de récolte ;
  • du morcellement foncier limitant l’intérêt à l’échelle individuelle d’une récolte de bois ;
  • de réglementations environnementales entraînant des conditions d’exploitation particulières (engin forestier équipé de pneus basses pressions, calendrier de récolte contraint…).
Taillis de châtaignier à bois (Gard) atteint du chancre nécessitant une coupe de régénération, photo Florian Hulin

Taillis de châtaignier à bois (Gard) atteint du chancre nécessitant une coupe de régénération, photo Florian Hulin

Ces bois représentent une part significative de la ressource et en général, ne sont pas inclus dans les gisements qualifiés de mobilisables.

La mobilisation de ces produits, couplée à une animation foncière et à l’implication de gestionnaires forestiers locaux, relancera une sylviculture favorable aux enjeux environnementaux et à l’alimentation de toutes les filières d’utilisation du bois. La mobilisation de ces bois ne génèrera de fait aucune concurrence d’usages dans la mesure où ils n’étaient pas mis en marché.

Voyons quelques éléments d‘économie forestière ayant aidé E.ON à bâtir sa stratégie d’approvisionnement.

Inélasticité du prix du bois

Le marché du bois est un marché inélastique. L’augmentation de la demande en bois ne génère habituellement pas une augmentation proportionnelle de l’offre mais conduit plutôt à une concurrence entre les usages et à une augmentation des prix de marché. La stratégie qui vise à payer plus cher le bois ne conduit donc pas à une mobilisation supplémentaire de bois mais à une compétition sur la ressource. L’accès à une ressource supplémentaire nécessite des investissements, des innovations techniques, une animation foncière qui ne peuvent pas être financés par une simple augmentation du prix du bois. La stratégie d’approvisionnement de Provence 4 Biomasse a ainsi été orientée de façon à avoir un effet de levier sur cette ressource aujourd’hui absente du marché, et qui demande une coopération de tous les acteurs de la filière.

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Diminution du coût de mobilisation

Parcelle dégradée à exploiter, ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Margot Couvent-Maurin

Parcelle dégradée à exploiter, ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Margot Couvent-Maurin

La première stratégie vise à faire diminuer les coûts de mobilisation. Cette approche génère mécaniquement une augmentation du volume de bois pouvant être mis en marché. Plusieurs maillons de la chaîne de mobilisation-transformation peuvent être concernés par cette approche :

• Le transport : Une synthèse des données techniques existantes montre que le transport occupe au moins 20% du prix payé par le consommateur final (industriel) dans la filière bois-énergie. Cette charge importante doit nécessairement être optimisée, ce qui a priori est rendu possible par les quantités de biomasse consommée par cette centrale. L’impact de l’humidité du bois transporté est particulièrement sensible sur le coût du transport. En effet, la diminution d’une unité d’humidité diminue le coût du transport d’une unité et demie. Le transport d’un produit sec permet ainsi de maximiser la charge énergétique transportée. Si cette possibilité a un effet négligeable pour des projets consommant quelques centaines ou milliers de tonnes par an, l’effet est significatif sur les projets de taille importante. L’économie réalisée permet ainsi de garantir une rémunération des opérations amont (achat matière, abattage, débardage, transformation) pour des massifs éloignés des zones de consommation.

• Le broyage et le stockage : l’équipement en broyeur de la région PACA permet de produire 200 000 tonnes/an de plaquettes. Or, la production actuelle est inférieure à 90 000 tonnes. L’arrivée d’un nouveau consommateur va permettre d’améliorer le taux de fonctionnement de ces broyeurs et ainsi de diminuer le coût du broyage dont une partie sert à couvrir l’amortissement financier de ces investissements. Il en va de même pour les plates-formes de stockage qui ne sont pas utilisées à 100% sur toute l’année du fait de la saisonnalité de fonctionnement des unités locales dédiées au chauffage. L’augmentation de la consommation génèrera ainsi une économie structurelle qui comme pour le transport peut se répercuter sur les opérations amont.

Chantier de déchiquetage de l'ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

Chantier de déchiquetage de l’ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

• L’exploitation forestière : essentiellement adaptée à la mobilisation de bois à destination des industries du sciage et de la trituration, l’exploitation forestière française a peu développé des techniques adaptées au bois-énergie ou à la mobilisation de produits sur pente. Pourtant des pays comme l’Autriche, la Finlande ou l’Italie ont développé des techniques intéressantes : exploitation en arbres entiers, fagotage des rémanents forestiers, utilisation de câble de transport ou de petits grumiers, téléphériques mobiles sont autant d’innovations qui permettent de mobiliser une biomasse qui aujourd’hui reste en forêt. Ces techniques, qui peuvent présenter aujourd’hui un surcoût devraient, si elles sont généralisées, être de plus en plus compétitives et permettre un accès à des massifs aujourd’hui considérés comme non-mobilisables.

Diminution coñt de mobilisation - 550

Augmentation du prix

• L’organisation et les investissements nécessaires à la mobilisation de bois supplémentaire vont engendrer dans les premières années de fonctionnement un surcoût, notamment sur les opérations d’exploitation. Afin de stimuler les acteurs de la filière à s’engager dans la mobilisation de cette ressource, E.ON propose une politique incitative sous forme de bonus. Afin que ces bonus ne viennent pas perturber le marché du « bois conventionnel », E.ON conditionne cette rémunération supplémentaire à une garantie de traçabilité à la parcelle forestière, permettant de vérifier que le bois mobilisé est réellement du bois supplémentaire.

• Une autre stratégie permettant de proposer une rémunération cohérente aux propriétaires forestiers est la co-mobilisation. Si les pratiques de tri par qualité sont courantes dans les grands massifs gérés français (Nord-Est/Centre/Landes), la qualité de bois sur pied et le peu de débouchés diversifiés n’ont pas incité au développement de ces pratiques dans le quart Sud-Est de la France. Actuellement, l’exploitation de peuplements forestiers provençaux à destination de la trituration laisse sur le parterre de coupe entre 20 et 40% de la masse de biomasse. Ceci a pour conséquence :

  • De laisser un parterre de coupe encombré augmentant la perception du risque incendie et laissant un paysage peu apprécié des propriétaires et du grand public ;
  • D’entraîner une perte économique pour le propriétaire qui n’est rémunéré que sur le bois récolté et mobilisé ;
  • De rendre des parcelles économiquement non-exploitables du fait d’un volume financier trop faible généré par l’achat de la coupe.

La matière laissée sur place, correspond aux spécifications attendues pour la plaquette « bois d’élagage et d’entretien » entrant dans le mix d’approvisionnement de la Centrale biomasse de Provence. Une co-mobilisation de bois de sciage, de bois de trituration et de bois-énergie permettra d’augmenter la rémunération du propriétaire sans impacter le prix unitaire de chaque produit. Cela rendra de ce fait accessible une surface non-mobilisée à ce jour.

Augmentation ponctuelle du prix - 550

La structuration des filières d’approvisionnement

Pour mettre en oeuvre ses engagements, E.ON s’est engagé dans une démarche participative et territoriale. Six territoires ont été sélectionnés sur le bassin d’approvisionnement pour leurs caractéristiques particulières :

  • présence d’une ressource abondante et faiblement valorisée,
  • démarche de développement local et d’animation territoriale dynamique,
  • possibilité de mutualiser les actions et les investissements pour approvisionner conjointement les projets locaux et Provence 4.
Massif sur lequel est créée une Association Syndicale de Gestion forestière dans le Gard, photo Florian Hulin

Massif sur lequel est créée une Association Syndicale de Gestion forestière dans le Gard, photo Florian Hulin

Cette stratégie s’articule autour de 4 objectifs :

  • promouvoir le regroupement des propriétaires forestiers,
  • favoriser la rédaction et la mise en œuvre de document de gestion forestière,
  • développer des techniques de récolte de bois innovantes,
  • garantir des pratiques sylvicoles respectueuses.

Exemples d’outils qui ont été mis en place pour atteindre ces objectifs dans la région Languedoc-Roussillon :

  • un protocole de travail commun avec le Parc national des Cévennes.
  • un appel à initiatives doté de 200 000 € concernant les Cévennes et visant à financer des opérations innovantes de regroupement de propriétaires, de mobilisation de bois, de transport et logistique.
  • un partenariat de 20 ans avec la Société Forestière de la Caisse des dépôts et consignations, qui achète pour le compte d’Eon, gère les chantiers d’exploitation et la commercialisation des différentes qualités de bois, tout ne servant pas à approvisionner la centrale.
Chantier d'abattage mécanisé de l'ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

Chantier d’abattage mécanisé de l’ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

Parmi les initiatives engagées par E.ON avec les sylviculteurs locaux, citons celle avec l’Association Syndicale Libre Le Trévoux dans les Alpes de Haute Provence : des propriétaires regroupés sur 1000 ha mettent en œuvre des projets répondant à leurs attentes (protection de leur cadre de vie, respect des usages traditionnels (chasse, champignons…), gestion multifonctionnelle, etc.). Ils s’engagent en matière de gestion durable et de sa reconnaissance au travers du label PEFC. Leurs forêts sont jeunes, de faible qualité marchande et la valorisation des bois est difficile. Leur recherche de partenariats sur le moyen terme pour installer un modèle économique durable fondé sur trois objectifs :

  • Approvisionner prioritairement les chaudières rurales de proximité dans le cadre de contrats avec la filière courte ;
  • Améliorer le tri des bois pour dégager une valeur ajoutée accrue ;
  • Intensifier la gestion pour répondre aux besoins (notamment pastoraux et DFCI) en s’appuyant sur des contrats d’approvisionnement avec des acteurs industriels donnant une visibilité dans le temps de l’équilibre économique de la gestion, et en l’occurrence Eon.

L’apport de l’initiative E.ON est aujourd’hui de tester la faisabilité technico-économique de la gestion forestière conduite par l’ASL, en lien avec les contraintes d’approvisionnement des filières locales et industrielles.

Déchiquetage de pins pour l'ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

Déchiquetage de pins pour l’ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

Par ailleurs, les contrats d’approvisionnement signés par E.ON avec ses fournisseurs sont des contrats pluriannuels. Le cadre contractuel est généralement de 20 ans et les engagements quantité-prix ont une durée minimale de 5 ans. Ces contrats donnent une visibilité de moyen/long terme et des garanties financières aux acteurs de la filière leur permettant d’engager des investissements et de planifier leur développement.

Ces contrats ont été signés à des tarifs observés sur le marché et en ce qui concerne les produits forestiers locaux, la fourchette se situe entre 20 à 25 €/MWh. De plus, ces contrats distinguent le coût matière du coût transport afin d’éviter une spéculation du coût du transport et afin d’apporter une garantie sur la rémunération des opérations d’achat, récolte et transformation de la matière.

E.ON, a enfin mis en place des contrats avec bonus optionnels visant à favoriser :

  • Le transport de bois sec permettant une diminution globale du coût du transport et une diminution du nombre de camions en circulation ;
  • La mobilisation de biomasse forestière certifiée, E.ON s’étant d’ailleurs fixé l’objectif d’un approvisionnement en biomasse forestière 100% certifié d’ici 10 ans ;
  • La mobilisation de « Bois + » en finançant les surcoûts de récolte liés aux difficultés d’exploitation, sous réserve d’une traçabilité à la parcelle.

La logistique d’approvisionnement

Un parc à grumes est installé à environ 500 mètres de la centrale. Il est équipé d’un broyeur fixe Saalasti de 100 t/h avec maîtrise du bruit et des poussières. Mis en service le 21 octobre 2014, il pourra déchiqueter jusque 150 000 tonnes par an, soit 48% de l’approvisionnement en ressource forestière locale au démarrage. Le reste sera livré sous forme de plaquettes. E.ON travaille parallèlement à la mise en place d’un réseau de plateformes secondaires chez ses fournisseurs. À Fos/Mer, E.ON disposera d’une capacité de stockage de 40 000 tonnes de biomasse importée. Ces différents éléments de stockage permettront à la centrale de fonctionner jusque trois semaines sans approvisionnement.

Test de broyage le 21 octobre 2014 sur la plateforme E.On de Gardanne, photo E.On

Test de broyage le 21 octobre 2014 sur la plateforme E.On de Gardanne, photo E.On

Concernant la circulation des poids lourds, avant la conversion au bois, le trafic était de 200 camions par jour. Après la conversion, les estimations s’établissent à 250 camions dont 120 pour la biomasse. La conversion provoquera donc une augmentation de 2% du trafic journalier sur la route départementale n°6 desservant le site de Gardanne. Afin de limiter cet impact, E.ON a opté pour un système informatique de gestion des transports qui équipera l’ensemble des camions transportant la biomasse.

La ligne de broyage à poste fixe est équiée d'un broyeur de très fore capacité SAALASTI, photo E.On

La ligne de broyage à poste fixe est équiée d’un broyeur de très fore capacité SAALASTI, photo E.On

Ce système assure :

  • une gestion et une planification des livraisons évitant ainsi les encombrements routiers ;
  • une traçabilité des produits transportés aidant au suivi de l’origine géographique ;
  • le calcul des émissions carbone, indicateur permettant d’évaluer l’impact des mesures mises en œuvre pour optimiser l’empreinte carbone.
Construction du silo à plaquettes de la centrale Provence 4 par RBL-REI, été 2014, photo E.On

Construction du silo à plaquettes de la centrale Provence 4 par RBL-REI, été 2014, photo E.On

Enfin, E.ON cherche actuellement des solutions pour limiter l’impact de ce trafic, en ayant notamment recours au transport ferroviaire.

Une perspective plutôt souriante pour la forêt méditerranéenne

Le projet Provence 4 Biomasse participe à la structuration et au développement des entreprises de la filière forêt-bois qui vont créer de l’ordre de 400 emplois directs dans les 10 ans à venir. Le projet va aussi contribuer à la création d’infrastructures forestières qui profiteront à l’ensemble de la filière bois.

Chantier d'abattage manuel de l'ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

Chantier d’abattage manuel de l’ASL Le Tréboux dans les Alpes de Haute-Provence, photo Marie de Guisa, AgroParisTech

Le débouché bois-énergie va également favoriser un nettoyage plus régulier des massifs forestiers et permettre ainsi de lutter plus efficacement contre deux risques naturels qui s’amplifient avec le réchauffement climatique : les feux de forêt et le développement des pathogènes.

L’installation de plusieurs pathogènes, notamment pour le sapin pectiné, l’épicéa commun et surtout le châtaignier, a généré une mortalité importante et qui continue de croître. En proposant un débouché commercial pour les produits d’entretien de la forêt, la centrale va contribuer, par prélèvement des bois malades, à la revitalisation des peuplements.

Sur le front des feux, au cours des 10 dernières années, rien que pour la région Languedoc-Roussillon, la moyenne de surface forestière incendiée a été de 2300 ha/an, soit environ 175 000 tonnes de bois qui sont parties en fumée chaque année. Sur l’ensemble de la forêt méditerranéenne française, cela représente 450 000 tonnes par an, ce qui est du même ordre de grandeur que le besoin de bois forestier de la centrale ! L’objectif est clairement de réorienter ces tonnages de l’incendie vers la chaudière de Gardanne. Si cette politique fonctionne, la centrale ne prélèvera donc au final pas plus de bois que la quantité qui brûle aujourd’hui chaque année en moyenne en forêt ou par brûlage volontaire, sachant qu’avec le réchauffement du climat, cette quantité va mathématiquement croître.

Vue piste d'accès de l'ASL GF Gard, , photo Florian Hulin

Vue piste d’accès de l’ASL GF Gard, , photo Florian Hulin

Enfin, et c’est certainement le plus important, avec la création de ce débouché supplémentaire pour des bois de qualité médiocre (branchus, tordus, de petits diamètres…), les gestionnaires et propriétaires forestiers vont pouvoir mettre en oeuvre une sylviculture d’amélioration de la qualité de leurs peuplements, ce qui fait cruellement défaut aujourd’hui, et mobiliser du bois-énergie aujourd’hui conduira à produire du bois d’oeuvre demain.

Frédéric Douard

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2 réponses
  1. Bonjour,
    Sur la zone Prométhée que vous citez (PACA+LR+ Corse+ Drôme/Ardèche), durant les 10 dernières années (2004-2013), 71 169 ha de forêt ont brûlé, soit 7 115 ha/an en moyenne. En prenant le volume moyen de bois sur pied des formations boisées de la zone méditerranéenne (d’après IFN, GRECO J zone méditerranéenne), soit 56 m3/ha (ce qui est un chiffre faible car cela inclut des formations très peu boisées, on prend habituellement un ratio de 100 m3/ha), on trouve qu’il brûle en moyenne annuelle 321 525 tonnes de bois/an sur la zone Prométhée qui est plus petite que la zone totale d’approvisionnement de la centrale. Et cela, c’est sans compter le brûlage des déchets verts dans les jardins. Donc il n’y a pas d’erreur dans l’article !

    Et si vous me demandez pourquoi je me suis limité à 10 ans, c’est pour ne pas prendre en compte les grands feux des années 80/90 . Si je reprends votre raisonnement sur les 30 dernières années en PACA + LR, on trouve 10 000 ha/an et non 1000 !!!! Il vous manque un « 0 ». De plus, vous appliquez un volume par hectare de 9 m3/ha ce qui est complètement ridicule ! Enfin vous dites que la centrale consommera 1 000 000 de m3/an alors l’approvisionnement en bois forestier est de 311 000 tonnes/an soit 390 000 m3/an.
     
    Pour finir, par rapport aux émissions de la combustion des végétaux à l’air libre en particules fines : selon un rapport de l’INERIS, les émissions moyennes de particules générées par le brûlage à l’air libre sont au moins de 10 g/kg de déchets verts. Ainsi le brûlage de 5 000 tonnes de déchets verts émet 50 tonnes de poussières et particules fines, c’est-à-dire autant que Provence 4 Biomasse en une année (tout combustible confondu biomasse + produits cendreux de récupération = 980 000 de tonnes) !
    Ce calcul pour montrer qu’il y a un TRES GRAND intérêt en terme de pollution, à éviter le brûlage à l’air libre, et que les chaudières modernes à biomasse sont, à côté de ces pratiques courantes et peu contestées curieusement, extrêmement vertueuses.

  2. Richard Fay dit :

    bonjour,
    Vous écrivez à propos de la conso de bois de Provence 4 : « … ces tonnages, si importants paraissent-ils, ne sont pourtant guère plus importants que ceux qui brûlent chaque année dans la forêt méditerranéenne française, que ce soit par incendie ou par brûlage volontaire. »
    C’est pas sérieux. Les incendies ont parcouru environ 1 000ha/an sur les 30 dernières années en LR+PACA, soit, au volume moyen/ha fourni par l’IFN, environ 9 000m³/an (sources PROMETHEE ET IFN mémento 2014).
    Alors que la conso de Provence 4 dépassera le million de m³/an, soit au minium 110 fois le volume concerné directement par les incendies. Même en ajoutant les incinérations diverses, on est loin du compte.
    Voilà.

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