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Comment les Etats-Unis sont devenus premier producteur mondial de biocarburants

Article rédigé par le cabinet de conseil SIA PARTNERS et publié sur le blog énergie et environnement du cabinet.
L'usine d'éthanol cellulosqiue Poet de Scotland dans le Dakota du sud

L’usine d’éthanol cellulosqiue Poet de Scotland dans le Dakota du sud

Avec une production de 547,9 kBep/j1 en 2012, les Etats-Unis sont de loin le premier producteur de biocarburants et représentent 45,4% de la production mondiale2. Alors que le Brésil dominait ce secteur jusqu’en 2006, les Etats-Unis ont mis en place une législation volontariste qui a favorisé l’essor de cette industrie.

Premier consommateur mondial de carburants avec 503,5 milliards de litres en 20123– à titre de comparaison, la France n’a consommé que 50 milliards de litres4 -les Etats-Unis cherchent depuis de nombreuses années à réduire leur dépendance aux importations étrangères de pétrole et leurs émissions de gaz à effet de serre. A cette fin, le congrès américain a voté en 2005 le Energy Policy Act5 qui vient actualiser la législation de 1992 et marque le début d’une phase de croissance exceptionnelle pour la filière des biocarburants.

Le Renewable Fuel Standard crée un marché pour les biocarburants

Alors que les crédits d’impôts et autres subventions directes et indirectes constituaient les principales incitations en faveur des biocarburants, l’Energy Policy Actde 2005 a imposé le Renewable Fuel Standard (RFS1) comme l’outil central de la politique américaine en faveur des biocarburants (voir l’article « Biocarburants : une proposition d’amendement fait peser le doute sur l’avenir des filières » du blog Energies & Environnement de Sia Partners pour davantage d’informations sur la politique européenne en faveur des biocarburants). Le RFS1 est une obligation légale imposant l’incorporation d’un volume minimum de biocarburants dans les carburants vendus aux Etats-Unis. Lors de son adoption en 2005, l’objectif est d’incorporer 15,1 milliards de litres en 2006 (environ 3% de la consommation totale anticipée) et d’atteindre 28,4 milliards de litres en 2012 (environ 5%). Contrainte légale reposant sur les principes du marché, le RFS s’appuie sur la production, le négoce et l’utilisation de certificats, les Renewable Identification Numbers (RINs). Du côté de l‘offre, un RIN est créé lorsqu’un gallon6 de biocarburants est produit ou importé sur le sol américain. Lors de cette opération, l’Environmental Protection Agency (EPA) lui octroie un numéro d’identification unique permettant de le tracer jusqu’à sa consommation. Du côté de la demande, les distributeurs de carburants ont l’obligation d’acheter des RINs à proportion de leurs volumes de vente. Afin de respecter leurs obligations, les distributeurs ont deux possibilités : soit acheter les volumes de biocarburants requis, les incorporer puis les revendre à la pompe ; soit acheter directement des RINs sur le marché. Grâce à ce système la production de biocarburants se retrouve subventionnée à hauteur de la valeur des RINs sur le marché. En cas de non-respect de leurs obligations, les distributeurs s’exposent à de lourdes sanctions : 32 500 $/j auxquels s’ajoutent les gains liés au non-respect de leurs engagements. Sous l’effet de cette législation, la production de biocarburants a augmenté de 75% entre 2005 et 2007.

Le RFS2 porte les ambitions du gouvernement américain

Alors que le RFS1 commençait à produire ses premiers effets, le RFS2 associé à l’Energy Independence and Security Act7 de 2007 a accru les objectifs du premier plan, étendu l’horizon temporel du dispositif à 2022 et introduit des obligations différenciées en fonction des types de biocarburants utilisés. En effet, les biocarburants américains sont quasi-exclusivement issus d’éthanol produit à partir de maïs et le législateur a souhaité favoriser l’émergence et le développement de trois autres types de biocarburants: (1) les biocarburants cellulosiques, (2) le biodiesel, et (3) les autres « biocarburants avancés »8. L’objectif affiché du gouvernement est de supporter avant tout le développement des biocarburants cellulosiques qui doivent bénéficier d’un prix des RINs plus élevé (voir l’article « Biocarburants : la France vers la seconde génération » du blog Energie & Environnement de SiaPartners pour plus de détails sur les biocarburants cellulosiques). Depuis 2010 les distributeurs de carburants sont ainsi dans l’obligation d’incorporer une certaine quantité de ces différents types de biocarburants. Ces quantités sont fixées ou révisées chaque année par l’EPA afin de prendre en compte les évolutions du marché et le développement des unités de production. De plus, ces différents biocarburants doivent à présent répondre à des exigences en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Au travers de la confrontation de l’offre et de la demande, le prix des RINs associés à chaque catégorie fluctue tout au long de l’année et permet de diriger les investissements vers les types de biocarburants dont la production est la plus éloignée des objectifs.

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Une réussite malgré des critiques persistantes

Grâce au RFS les Etats-Unis ont réussi à tripler leur production de biocarburants entre 2005 et 2012 et ont ainsi économisé plus d’un milliard de barils d’importation de pétrole – soit environ 2% de la consommation annuelle. Grâce à cette production, près de 10% de l’essence consommée aux Etats-Unis provient à présent de ressources renouvelables. De plus, le développement des biocarburants a un effet positif sur l’économie américaine. La Renewable Fuel Association estime ainsi que la seule filière de l’éthanol a contribué à accroître de près de 45 Mds $ le PIB américain en 2012, principalement au niveau du secteur agricole9. Plus de 380 000 emplois auraient également été créés l’an dernier et jusqu’à 2 millions pourraient l’être dans les 15 ans à venir si les objectifs de l’EPA à l’horizon 2022 sont maintenus10. La hausse de la production de biocarburants est néanmoins quasi-exclusivement tirée par celle d’éthanol issu du maïs alors que l’objectif du gouvernement est de favoriser avant tout le développement des biocarburants cellulosiques. Avec 0,08 millions de litres produits en 2012, ces derniers sont bien loin de l’objectif initial de 1 893 millions de litres et l’EPA a systématiquement revu à la baisse les obligations des distributeurs sur cette catégorie depuis 201011. Même si les premières unités industrielles de production sont entrées en service en 201312, les objectifs à long-terme de l’EPA sont encore loin d’être atteints.

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Le développement des biocarburants aux Etats-Unis n’a cependant pas que des effets positifs. Entre 2005 et 2012, sous l’effet d’une forte demande induite par le RFS, le prix du maïs a quasiment quadruplé13. Cette hausse des prix, associée à une plus grande volatilité, impacte la capacité des ménages vulnérables à se nourrir et a en partie contribué à la crise alimentaire mondiale et aux émeutes de la faim de 200814. De plus, pour répondre à la demande en maïs, les agriculteurs américains ont cherché à accroître leur productivité grâce à une moindre rotation des cultures et à une plus forte utilisation de produits phytosanitaires. En conséquence, le développement de l’éthanol comporte des risques tant au niveau de la fertilité des sols que de la pollution des nappes phréatiques. Enfin, les biocarburants induisent un coût non-négligeable pour le contribuable – plus de 6 Mds $ en 2011 et jusqu’à 16 Mds $ à l’horizon 202215 – et ceux-ci ont toujours besoin d’être subventionnés pour être économiquement rentables16.A l’inverse du but recherché, ces subventions détournent ainsi des investissements qui auraient pu aller vers des solutions alternatives plus pertinentes17.

Pour la première fois depuis 2000, la production de biocarburants aux Etats-Unis pourrait se contracter en 2013. Entre chute des prix de l’énergie aux Etats-Unis, baisse de la consommation d’essence, difficultés à industrialiser la production de biocarburants cellulosiques et désinvestissement politique, le secteur traverse sa première crise. Malgré cela les Etats-Unis bénéficient toujours d’une longueur d’avance, tout en préparant activement l’avenir grâce à une recherche dynamique dans le domaine des biocarburants de nouvelle génération.

Sia Partners

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Cet article s’inscrit parmi les nombreux dossiers rédigés par Sia Partners sur la gestion et le développement des énergies renouvelables en France. Parallèlement, SiaPartners a développé une offre sur ces thématiques. Pour tous renseignements, contactez Sia Partners.

Fondé en 1999, avec 300 consultants, le cabinet de conseil en management Sia Partners (initialement SIA-Conseil) est présent en France, Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc et à Dubai. Il a développé un magazine internet « Energies et environnement« .

Notes :
(1) Milliers de barils équivalent pétrole par jour
(2) BP – Statisticalreview of world energy 2013
(3) Source : United States Department of Transportation
(4) Union Française des Industries Pétrolières(2013)« Ventes de carburants automobile et structure du réseau de distribution »
(5) Energy Policy Act (2005)
(6) 1 gallon = 3,7854 litres
(7) Energy Independence and Security Act (2007)
(8) Les objectifs à long-terme de l’EPA sont fixés pour deux catégories : l’éthanol issu du maïs et les autres biocarburants. Au sein de cette seconde catégorie, l’EPA détermine à long terme l’objectif de production de biocarburants cellulosiques, à court-terme celui pour le biodiesel, et attribue aux autres biocarburants avancés le solde.
(9) Urbanchuck J.A. (2013), « Contribution of the Ethanol industry to the Economy of the United States », Renewable Fuel Association
(10) U.S. Department of Energy (2013), « Bioindustrycreates green jobs »
(11) Les objectifs fixés par l’EPA étaient initialement de 379 ML en 2010, 946 ML en 2011, 1 893 ML en 2012 et 3 785 ML en 2013. Face à l’absence de production, l’EPA a successivement revu ses objectifs à la baisse à 24,5 ML en 2010, 22,7 ML en 2011, 32,7 ML en 2012 et 53,0 ML en 2013.
(12) MIT TechnologyReview (2013), « The cellulosicethanolindustry faces big challenges »
(13) Schnepf R. &Yacobucci B.D. (2013), « Renewable Fuel Standard (RFS) : Overview and issues », CongressionalResearch Service
(14) FAO (2013) « Biofuels and foodsecurity », Rapport du groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition
(15) Center for Global Development (17.01.2012) « Ethanol Subsidy Win for Taxpayers-What About Developing Countries? » / Schnepf R. &Yacobucci B.D. (2013) « Renewable Fuel Standard (RFS): Overview and issues », CongressionalResearch Service
(16) Reuters (27.11.2013) « Analysis: High-ethanolgas – Not coming to a pumpnearyou »
(17) Hahn R. &Cecot C. (2009) « The benefits and costs of ethanol: an evaluation of the government’sanalysis », Journal of RegulatoryEconomics