Lien de bannissement

Décollage difficile pour l’intégration de l’aviation dans le marché carbone européen

Début 2012, l’entrée officielle de l’aviation dans le système de quotas carbone européens (EU ETS) a suscité de vives émotions et une levée de bouclier générale des acteurs du secteur, laissant planer le doute sur les modalités exactes de son application. Le coût induit constitue le principal argument des détracteurs du système, mais constitue-t-il réellement une menace pour la filière ? D’autres causes, plus profondes, mais moins avouables, sont en réalité en l’œuvre derrière cette résistance.

Le marché carbone et les quotas CO2 : un système complexe déjà mis en œuvre pour l’industrie

Le marché des quotas CO2 européen existe depuis 2005 et impacte quelques 13 000 installations industrielles (ex : centrales, fabriques de papiers, …) parmi les plus polluantes en Europe. L’objectif est de créer un signal prix, prenant en compte la dégradation de l’environnement lié aux activités humaines, et pénalisant les activités les plus polluantes. Sur la base des émissions historiques et des objectifs de diminution définis à l’horizon 2020 par la communauté, chaque état membre calcule une enveloppe globale de quotas disponibles pour l’ensemble des installations situées sur son territoire. Une part de cette enveloppe, variable en fonction du secteur d’activité et variable dans le temps est distribuée gratuitement, le reste, mis à disposition sur le marché CO2, obéit à la loi de l’offre et la demande.

Fonctionnement du marché CO2 européen

A la fin de chaque exercice, chaque installation inclue dans le système, doit justifier d’un nombre de quotas couvrant ses émissions ; sans quoi elle s’expose à des pénalités financières dissuasives (note 0). Ainsi, en plus des quotas perçus à titre gratuit, ces installations doivent acheter sur le marché, au prix du marché, le nombre de quotas dont elles ont besoin pour équilibrer leur bilan émetteur.

Un système évolutif, encore peu dissuasif mais qui doit se construire dans la durée

La part gratuite, distribuée à chaque installation, varie en fonction de son activité et du temps. Peu contraignante en 2005, celle-ci diminue et il est prévu qu’à terme (après 2013), la totalité des quotas soit échangée sur le marché. En parallèle, et pour créer un signal prix de plus en plus fort sur le marché, la taille globale de l’enveloppe de quotas doit diminuer (note 1) avec le temps. Cette théorie est mise à mal par la réalité pratique du système, car depuis 2008 la diminution d’activité (liée à la crise économique) a contribué à faire chuter le prix de la tonne CO2 (note 2) (quota carbone) en alimentant le marché avec un excédent de quotas disponibles. Le prix du quota est désormais à des niveaux historiquement bas, à moins de 6€ la tonne, un niveau, trop peu dissuasif pour être sûr d’atteindre les objectifs d’économies de CO2, souhaités par les pays membres pour 2020.

Évolution des prix des quotas historiques, Source MEDDTL

Malgré le faible niveau de dissuasion que représente le système, celui-ci possède le mérite d’exister et de déployer la stratégie d’efficacité environnementale de manière unifiée sur un large territoire. Avec plus de 3% des émissions polluantes à l’échelle mondiale et une croissance du trafic de près de 6% par an, l’aviation civile ne pouvait rester longtemps en dehors du système. Le faible prix de la tonne CO2 sur le marché carbone, représente même un atout pour intégrer en douceur ce nouveau secteur.

L’aviation, une entrée en fracas dans le système mais avec peu d’impacts réels sur les émissions du secteur

L’aviation civile a intégré le programme EU ETS début 2012. Selon un principe d’équité, le dispositif de quotas inclut tous les vols au décollage ou à l’atterrissage en Europe, et donc les compagnies aériennes européennes et étrangères. Imposé unilatéralement par la communauté européenne, le dispositif a instantanément déclenché des réactions de la part des pays non membres pour en être exclus. L’argument principal de ces pays est le coût prohibitif qu’il engendrerait pour leurs compagnies aériennes : cet argument ne résiste pas à l’analyse.
En effet, l’efficacité énergétique (note 3) de l’aviation européenne a augmenté en moyenne de 2,7% par an (note 4) sur la décennie écoulée ; c’est-à-dire que pour faire voyager une personne sur un trajet donné, les compagnies utilisent 2,7% de carburant en moins chaque année. Ainsi, les besoins énergétiques, et donc les émissions CO2 des compagnies aériennes travaillant en Europe, n’ont augmenté que de 6% par rapport à la période 2004-2006. Basé sur cette même période, le calcul des quotas disponibles pour l’aviation ne risque donc pas d’introduire beaucoup de tension sur le marché carbone, surtout si le signal prix reste faible (ndlr à 6€ la tonne). En retenant les hypothèses de croissance du trafic communément admises par les acteurs du secteur (+5,5% par an), et en supposant que l’intensité énergétique va continuer à diminuer au même rythme dans les années à venir, l’impact financier en 2020 pour l’ensemble des compagnies travaillant en Europe est estimé par Sia Conseil à moins de 1,3 milliards d’euros par an et seulement 4,5% du marché carbone. Ce surcoût, qui sera certainement intégré au prix des billets, ne devrait donc représenter pour les passagers que 90 c€ par tranche de 1000km aller-retour parcourues, soit beaucoup moins qu’une augmentation de seulement 3% du prix du baril de brut (note 5).

Évolution prévisionnelle du besoin en quota pour l’aviation, Source Sia Conseil

En réalité, ce sont surtout des considérations de souveraineté qui ont amené ces pays (la Chine et les Etats-Unis principalement) à « demander » leurs exclusions d’un système auquel elles n’ont pas apporté leur aval. D’autre part, les échanges musclés entre ces pays et l’Union Européenne leurs confèrent un avantage stratégique dans le cadre des négociations commerciales avec les entreprises aéronautiques européennes (notamment les constructeurs) tant l’importance de ces pays est vitale pour la santé du secteur. L’argument coût est donc diplomatiquement acceptable, mais ne tient pas sur le fond. Cependant, ce blocage met en péril tout le système puisqu’il risque de lui retirer une partie de sa substance, et offre aux acteurs européens un levier de négociation pour diminuer au maximum l’impact du système sur leurs activités. Les voix s’élèvent de toutes parts pour attaquer le système, et pour l’instant, l’Union Européenne et ses états membres restent fermes sur leurs positions, mais la bataille n’est pas terminée, et le suspense demeure entier.

J. Richard, SIA Partners

Notes :

  1. 100 €/tonne
  2. -1,74% par an après 2013
  3. 1 quota carbone = 1 tonne de CO2
  4.   consommation de carburant par passager transporté au kilomètre
  5. principalement grâce au renouvellement au sein des flottes des avions les plus énergivores
  6. en retenant un prix de 100€ par baril

Sources : MEDDTL, Boeing et eur-lex.europa.eu

>> Retrouvez tous les articles de Sia Partners sur les bioénergies